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Le revenu viable 2023: dans la spirale de l’inflation et des baisses d’impôt

3 mai 2023

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86min


Le revenu viable, publié annuellement depuis 2015 par l’IRIS, permet d’évaluer le revenu nécessaire à trois types de ménage, dans sept localités québécoises, pour atteindre un niveau de vie digne et sans pauvreté, au-delà de la seule couverture des besoins de base telle qu’établie par la Mesure du panier de consommation (MPC). Il offre ainsi un repère nécessaire, crédible et complémentaire à la MPC pour l’analyse des situations de pauvreté dans le continuum des revenus. Il est révisé annuellement par l’IRIS depuis 2015.

Dans la première partie de cette édition, nous décrivons les seuils du revenu viable tels qu’ils se présentent en 2023 selon la méthode utilisée lors des années précédentes, avec un ajustement relatif à l’évolution de la méthodologie du Dispensaire diététique de Montréal1. Dans la seconde partie, nous examinons les pressions inflationnistes sur le revenu viable 2023 comparativement aux données de l’année précédente. Dans la troisième partie, nous continuons de situer la contribution du revenu viable au suivi des situations de pauvreté par rapport à celle de la MPC, qui s’en tient à la couverture des besoins de base. Le revenu viable permet en effet de décrire un niveau de vie un peu plus élevé qui peut être comparé conjoncturellement au seuil de la Mesure de faible revenu à 60 % du revenu médian (MFR-60), utilisée au Québec pour les comparaisons internationales. Dans la quatrième partie, nous resituons le revenu viable et les diverses mesures de faible revenu dans l’ensemble de l’échelle des revenus. Nous observons comment, en 2020, les mesures fédérales de soutien du revenu des travailleurs et travailleuses ont eu un effet recentrant, bien que ponctuel, sur la distribution des revenus dans la population. Nous examinons aussi l’impact des baisses d’impôt prévues dans le budget du Québec 2023-2024, une mesure inégalitaire qui va priver le Québec de ressources précieuses pour redistribuer équitablement les revenus, ainsi que pour adopter des politiques axées sur l’amélioration de la qualité de vie collective et sur la résolution de la crise climatique.

1. Quel est le revenu disponible nécessaire pour une vie digne, exempte de pauvreté, dans différentes villes du Québec en 2023 ?

Dans cette section, nous décrivons le revenu viable pour 2023, autrement dit, le revenu disponible nécessaire pour vivre dignement pendant l’année en cours, pour trois types de ménage : une personne seule, une famille monoparentale avec un·e enfant en CPE et une famille de deux adultes et de deux enfants en CPE. Nous analysons leur situation dans le contexte des localités de Montréal, Québec, Gatineau, Sherbrooke, Saguenay, Trois-Rivières et Sept-Îles2.

Pour déterminer le revenu viable, l’IRIS établit depuis 2015 un panier de consommation pour les trois types de ménage mentionnés. Historiquement, le coût de ce panier a été calculé d’abord dans deux3, puis dans cinq4, puis dans sept localités québécoises5.

En 20196, les composantes du revenu viable ont été reclassées de la façon illustrée dans l’encadré ci-contre7.

Le calcul du revenu nécessaire pour permettre une réelle inclusion sociale, économique et culturelle et une vie exempte de pauvreté suppose une certaine continuité dans les repères, même si le monde dans lequel nous sommes n’est plus celui de 2019 dans la mesure où les habitudes de consommation, les habitudes de déplacement, les paramètres de production et le marché du travail ont connu des changements importants. Nous continuons de maintenir dans cette édition le panier de consommation qui prévalait dans les éditions prépandémiques. Nous supposons qu’il demeure pour le moment la meilleure approximation pour établir un revenu viable pouvant être comparé aux éditions précédentes, en indiquant cependant que 2024 sera une année de rebasage pour le panier de consommation qui détermine le revenu viable.

Nous maintenons donc pour le moment la méthode de calcul utilisée depuis 2019, sauf pour deux composantes, soit la nourriture et le coût de l’essence dans l’usage d’un véhicule, qui ont nécessité un ajustement conjoncturel en 2022. Dans le cas de la nourriture, une évolution de la base de calcul du Dispensaire diététique de Montréal nous amène à introduire un coefficient d’ajustement qui restera à perfectionner dans les prochaines années pour refléter le niveau de vie représenté dans les années précédentes8. Nous revenons par ailleurs à la méthode antérieure en ce qui concerne le mois de référence pour l’ajustement du coût de l’essence9.

Le graphique 1 présente les montants du revenu viable ainsi calculés en 2023 pour les sept localités et les trois types de ménage considérés.

Coût de la vie pour un ménage d’une
personne seule

Pour qu’une personne seule puisse vivre dignement en 2023, nous évaluons qu’elle doit pouvoir compter sur un revenu disponible se situant entre 27 047 $ (Saguenay) et 37 822 $ (Sept-Îles). Les montants liés à différentes catégories de dépenses dans chacune de ces localités apparaissent au tableau 1. Ces montants sont calculés à titre indicatif : il est probable et même inévitable qu’un ménage équilibre ses dépenses autrement en fonction de sa réalité.

On remarquera que, dans la section transport, le transport en commun est privilégié, tant pour ses avantages sur le plan environnemental que pour réduire les coûts du panier de consommation, mais qu’il n’est pas retenu pour la localité de Sept-Îles. Cela s’explique par le fait que l’offre de transport en commun est fonctionnelle pour une personne seule à Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay, Gatineau et Sherbrooke, mais pas à Sept-Îles.

Coût de la vie pour un ménage monoparental avec un·e enfant en CPE

Le tableau 2 indique le revenu disponible annuel nécessaire pour vivre hors de la pauvreté pour un ménage monoparental avec un·e enfant fréquentant un CPE dans les sept localités retenues10. Nous ajustons à l’échelle les montants énumérés pour le panier de dépenses convenu. Notons que le coût du loyer est calculé selon les chiffres de la Société canadienne d’hypothèques et de logement pour que ces ménages aient accès à un appartement de deux chambres. En comparaison du calcul pour les personnes seules, nous avons retenu le même type de moyen de transport pour l’ensemble des localités excepté Saguenay, où une voiture devient nécessaire lorsqu’on a la charge d’un·e enfant11. L’augmentation encore plus importante à Gatineau du coût des appartements de 4 ½ pièces (23 %) en 2023 se répercute ici aussi dans le revenu viable de ces familles12.

Coût de la vie pour un ménage de deux adultes et de deux enfants en CPE

Le tableau 3 présente le revenu disponible annuel nécessaire pour vivre hors de la pauvreté pour une famille composée de deux adultes et de deux enfants en CPE, dans chacune des sept localités étudiées.

Pour le panier de dépenses de ce type de ménage, nous optons pour un appartement de deux chambres, où les deux enfants, d’âge préscolaire, partagent une chambre, ce qui respecte la Norme nationale d’occupation pour des enfants de cet âge13. Nous budgétons un titre de transport en commun mensuel et une voiture pour les villes de Montréal, Québec, Gatineau, Sherbrooke, Saguenay14 et Trois-Rivières. Pour Sept-Îles, nous incluons deux voitures et les dépenses afférentes, en raison de l’offre insuffisante de transport en commun dans cette localité et en supposant que les deux adultes doivent se déplacer pour leur travail.

2. Pressions inflationnistes sur le revenu viable

L’inflation fait couler beaucoup d’encre par les temps qui courent, et avec raison : c’est un phénomène économique qui, laissé à lui-même, peut causer beaucoup de tort aux travailleuses et travailleurs, particulièrement celles et ceux qui se trouvent dans les premiers quintiles. Voyons maintenant comment ce phénomène se répercute sur les niveaux du revenu viable en 2023.

Pour comparer 2023 à 2022, le taux d’inflation indiqué par l’indice des prix à la consommation (IPC) est de 6,7 % pour Montréal, 6,4 % pour Québec et 6,3 % pour le reste du Québec15. Ce taux est calculé en fonction d’un panier de consommation large et varié qui comprend plus de 150 000 biens et services. Le coût de chaque bien ou service peut varier de façon indépendante, et c’est le mouvement agrégé qui permet de déterminer le taux d’inflation. Il sera ensuite possible de regarder la variation de chaque catégorie pour mieux comprendre les dynamiques qui poussent le coût de la vie à la hausse.

Afin de mieux comprendre l’impact de ces hausses sur les ménages à faibles revenus, nous les comparons à la hausse du salaire minimum. Entre 2022 et 2023, celui-ci est passé de 14,25 $ l’heure à 15,25, soit une augmentation de 7 %, ce qui est un peu plus élevé que l’inflation générale. Il importe toutefois de porter attention à l’impact différencié des différents postes budgétaires en cause, dont certains, comme le logement, l’alimentation et le transport, peuvent prendre une part plus grande d’un budget au bas de l’échelle des revenus. En regardant les différentes catégories de dépenses, il est possible de mieux voir où l’écart est le plus grand avec les revenus attendus au salaire minimum.

Si l’inflation était particulièrement marquée en ce qui a trait au prix de l’essence en 2022, cette année, son impact se remarque notamment sur le logement, certaines localités ayant connu des variations à la hausse du coût du loyer allant de 9 % (les 4 ½ à Trois-Rivières) jusqu’à 23 % (les 4 ½ à Gatineau). Cette hausse des coûts explique, en partie, pourquoi Gatineau est la localité où le coût du panier de biens et services calculé pour le revenu viable a le plus augmenté.

De tous les types de logements recensés selon les localités dans cette note, seuls ceux de Québec, les 4 ½ à Saguenay et les 4 ½ à Sept-Îles ont connu des augmentations que la hausse du salaire minimum permet de couvrir. Dans tous les autres cas, la hausse du coût du loyer surpasse celle du salaire minimum, comme on peut le voir dans le tableau 4.

Tout comme l’an dernier, en matière de déplacement, l’inflation est également plus forte pour les ménages qui sont dépendants de la possession et de l’entretien d’une automobile que pour les ménages qui peuvent compter sur un système de transport en commun. On peut voir dans le tableau 5 le coût des titres mensuels de transport en commun par localité. Dans tous les cas, sauf un, la hausse, s’il y en a une, est en dessous de la hausse du salaire minimum. La seule exception est le titre mensuel du Réseau de transport de la Capitale. Elle s’explique par le fait que, depuis cette année, le RTC offre ce qu’il appelle un titre « Bus + FLEXauto », grâce auquel l’usager ou l’usagère a accès aux mêmes services de transport en commun qu’avec un abonnement régulier (ce qui était inclus dans notre panier de l’an dernier) plus 10 trajets FLEX Communauto de 30 minutes chacun. Considérant que la flexibilité en matière de transport peut bonifier grandement le bien-être des usagers et usagères, et ce, pour moins de 10 $ mensuellement, nous avons décidé de l’intégrer dans notre panier. Cela nous amènera cependant, dans une prochaine édition, à repenser les options du panier de services et de produits liés au transport en commun des ménages concernés par ce critère.

De leur côté, les coûts liés à la possession d’une voiture ont fortement augmenté, comme on peut le voir dans le tableau 6. Le coût d’une voiture d’occasion moyenne a augmenté de 24% en un an. Celui de l’entretien a augmenté de 13% et celui des assurances a augmenté de 6%. La relative baisse du coût de l’essence par rapport aux sommets de 2022 et la baisse du coût du permis de conduire n’auront d’aucune façon compensé la hausse des coûts d’ensemble d’un véhicule, qui s’élève à près de 10 % pour les situations à un conducteur considérées pour le revenu viable, bien au-dessus de la hausse de 7 % du salaire minimum16.

À la lumière de ces données, on peut constater que la sortie de la pauvreté par le revenu de travail des bas salariés se fait plus difficile, dans la mesure où la hausse du salaire minimum reste inférieure à la hausse du coût de la vie dans plusieurs postes de dépenses importants et incontournables. L’obstacle est encore plus important dans les situations de vie où les ménages ne disposent pas d’un salaire minimum à plein temps, qui plus est quand ce dont on dispose pour vivre se limite aux garanties minimales de revenu assurées dans le pacte social et fiscal, comme c’est le cas par exemple des personnes touchant l’aide sociale.

Au total, comme on peut le voir au tableau 7, entre 2022 et 2023, le revenu viable varie de 4,4 % à Québec pour une famille d’un·e adulte et un·e enfant17 et de 11,9 % pour une famille de deux adultes et de deux enfants à Gatineau. Cette dernière ville est celle où le coût du panier de biens et services calculé pour le revenu viable a le plus augmenté, notamment en raison de la hausse importante du coût des logements. Dans 15 des 21 situations examinées pour le revenu viable, le coût de ce panier est plus élevé que le taux général d’inflation et que le taux d’augmentation du salaire minimum. Il y a là une indication de l’importance de porter attention au coût de ces premières dépenses et aux revenus nécessaires pour les assumer.

Quand l’inflation touche principalement le coût des aliments de base, comme les céréales et les produits laitiers, l’accès à un revenu suffisant devient littéralement une question de pain et de beurre. La livre de beurre à 7 $, et même plus dans les épiceries de quartier, pèsera davantage sur un revenu disponible de 20 000 $ que sur un autre de 40 000 $ ou de 80 000 $. Et elle sera tout simplement inabordable pour une personne ne disposant que de la garantie de revenu minimale, soit l’aide sociale de base. Il en va de même pour le coût du logement, qui plus est dans un marché à faible taux d’inoccupation, d’une part, et aux logements sociaux manquants, d’autre part18.

3. La contribution du revenu viable au suivi des situations de pauvreté

Dans une société où l’accès à un revenu est vital pour assurer sa subsistance, la distinction entre la couverture des besoins de base et la sortie de la pauvreté est importante pour motiver les décisions publiques relatives à la protection du revenu. Rappelons d’abord brièvement certains concepts19 nécessaires pour comprendre notre approche du revenu viable20.

Même si la pauvreté est une réalité multidimensionnelle, son aspect économique, exprimé par le revenu, est incontournable. Dans le continuum des revenus, divers repères peuvent servir à mesurer ce que l’on désigne comme une « situation de pauvreté ». Comme le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE) l’a d’emblée reconnu et l’a rappelé à quelques reprises21, situer la frontière entre la pauvreté et son absence en fonction d’un seuil unique pose problème22. En fait, les différents seuils de faible revenu en usage marquent des étapes différentes de la transition entre la pauvreté et son absence.

À cet égard, le revenu viable complète utilement les trois mesures de revenu officiellement retenues pour suivre les situations de pauvreté au Québec23, soit la MPC, pour la couverture des besoins de base24, la MFR-50, ou la Mesure de faible revenu correspondant à 50 % du revenu médian après impôt, pour les comparaisons interrégionales, et la MFR-60, soit la même mesure correspondant cette fois à 60 % du revenu médian après impôt, pour les comparaisons internationales.

La MPC et la couverture des besoins de base

Il faut savoir que la Mesure du panier de consommation est utilisée depuis 2009 au Québec pour suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins de base, à la suite d’une recommandation du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion25. Dans sa recommandation, le CEPE précisait que ce niveau ne suffisait pas à la sortie de la pauvreté aux fins de l’application de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale26. Au printemps 2019, la MPC a malgré tout été désignée et adoptée par le Parlement canadien comme seuil officiel de la pauvreté au pays dans la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté27. Une loi québécoise et une loi fédérale imposent donc maintenant un suivi des situations de pauvreté, pour lequel la MPC sert de repère.

La MPC est calculée par Statistique Canada depuis 2002. Elle fournit « un ensemble de seuils basés sur le coût d’un panier de biens et de services correspondant à un niveau de vie de base28 ». Ce niveau de vie de base, aussi décrit comme « modeste », doit permettre de pourvoir aux besoins de base sur le plan de la survie, et aussi de la vie sociale, comme la capacité de pouvoir étudier et travailler. Il est fondé sur le coût, pour un ménage de deux adultes et de deux enfants, d’un panier de consommation de base comprenant cinq types de dépenses : la nourriture, les vêtements, le logement, le transport et d’autres éléments de première nécessité. Ce coût varie selon les provinces et la taille des agglomérations.

Pour calculer les seuils de la MPC, contrairement au revenu viable qui est calculé spécifiquement pour chaque type de ménage, Statistique Canada estime d’abord ce qu’il en coûte à cette famille de deux adultes et de deux enfants dans diverses localités pour se procurer le panier de référence convenu, et ajuste ensuite la somme obtenue à d’autres tailles de ménage selon l’échelle d’équivalence en usage29. La base de calcul est révisée périodiquement. La dernière révision a été effectuée sur la base de l’année 201830. La prochaine se fera sur la base de l’année 2023.

Pour le moment, on peut décrire ce panier comme suit pour la famille de référence :

  • une alimentation nutritive, selon le Guide alimentaire canadien ;
  • un panier de vêtements et de chaussures nécessaires pour la famille ;
  • un logement chauffé et éclairé basé sur le coût médian des logements locatifs de trois chambres à coucher en tenant compte de la présence ou non d’une hypothèque pour les propriétaires ;
  • des frais de transport en commun là où il est disponible plus un aller-retour mensuel en taxi, et une automobile modeste et d’occasion de sept ans ailleurs, avec des frais modestes d’assurance, d’essence et d’entretien ;
  • d’autres biens et services de base31.

Le tableau 8 présente une estimation indexée32 à 2023 des seuils de 2021 de la MPC au Québec33 selon cette base de 2018.

Le revenu viable et la sortie de la pauvreté

Vivre sans pauvreté ne signifie pas uniquement couvrir ses besoins de base. Dans son avis de 2009, le CEPE a rappelé que, selon la définition donnée par la loi québécoise, on doit aussi disposer « des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société ». Il a rappelé aussi qu’une personne doit être en mesure de jouir « d’un niveau de vie suffisant ainsi que de la possibilité d’exercer les droits qui lui sont reconnus34 ». Et il a indiqué que si la MPC ne suffisait pas à satisfaire ces critères, un indicateur pouvant le faire manquait dans la gamme des indicateurs disponibles.

D’une édition à l’autre depuis 2015, le revenu viable s’est avéré un candidat intéressant pour remplir le rôle de cet indicateur manquant, plus apte à indiquer un niveau de vie exempt de pauvreté, au-delà de la seule couverture des besoins de base. Un exercice d’harmonisation a été mené en 2019 afin de réorganiser les composantes du revenu viable pour les rendre comparables à celles de la MPC. Cela nous a permis de voir que le niveau de vie estimé à partir du revenu viable est généralement cohérent pour l’ensemble de ses composantes avec celui que procure la MPC, tout en étant plus élevé. Autrement dit, il permet plus de latitude aux ménages concernés, tout en demeurant un revenu modeste35.

Le tableau 9 en fait la démonstration détaillée pour le ménage de deux adultes et de deux enfants, qui sert de référence pour le calcul de la MPC par Statistique Canada. Au total, en 2023, pour les composantes comparables au panier de la MPC, le panier de consommation considéré pour le revenu viable équivaut ainsi à plus ou moins 1,32 fois le panier de la MPC, sauf à Gatineau, où il est 1,45 fois plus élevé en raison de la hausse du coût du logement, et à Sept-Îles, où il est 1,55 fois plus élevé en raison des coûts du transport.

Il n’est pas possible de comparer la situation des autres types de ménage de façon aussi détaillée, puisque Statistique Canada s’en tient à l’échelle d’équivalence convenue pour établir les seuils des autres tailles de ménage, sans faire un calcul de coûts pour les différentes sections du panier, dont le poids varie selon la taille du ménage36.

Le tableau 10 présente tout de même les totaux comparés entre la MPC et le revenu viable pour les ménages monoparentaux avec un·e enfant en CPE. Le tableau 11 fait de même pour les ménages de personnes seules.

Rappelons que le CEPE a établi en 2010 qu’il fallait ajouter 7 % en moyenne à la MPC pour estimer un revenu après impôt permettant de tenir compte de ces dépenses qui restent invisibles dans les seuils de la MPC37. À partir des 21 cas considérés pour le revenu viable en 2023, on constate que la part de ces composantes dites non discrétionnaires du revenu viable par rapport aux composantes comparables de la MPC varie de 4,3 à 6,2 % pour les ménages de personnes seules et de 11,3 à 16,2 % pour les ménages avec enfants. Il s’agit là de montants substantiels qu’on ne peut ignorer dans le budget de ménages pour qui chaque dollar compte.

Les tableaux 9, 10 et 11 exposent les différences de revenu viable entre des localités de même taille (qui présentent un seuil identique selon les calculs de la MPC). Les résultats pour Gatineau, Sherbrooke, Saguenay et Trois-Rivières – 4 villes classées pour la MPC dans les agglomérations de 100 000 à 499 999 habitants – permettent de constater une variation de 6 674 $ pour les ménages de 2 adultes et de 2 enfants, de 5 311 $ pour les ménages de personnes seules et de 8 811 $ dans le cas des ménages monoparentaux avec un·e enfant.

Ces résultats montrent l’intérêt de l’association entre la MPC et le revenu viable sur plusieurs points et appellent une vigilance des parties prenantes pour :

  • déterminer deux niveaux de vie différents pour le suivi des situations de pauvreté, le premier s’en tenant à la couverture des besoins de base, tandis que le second prend en compte un ensemble plus large de ressources nécessaires pour assurer des conditions de vie dignes et exemptes de pauvreté, autrement dit viables ;
  • rappeler que les seuils de la MPC ne sont pas des revenus après impôt et qu’il faut leur ajouter un coefficient pour tenir compte des dépenses non discrétionnaires exclues de leur calcul si on veut évaluer le revenu après impôt permettant de les atteindre ;
  • montrer que l’échelle d’équivalence utilisée dans le calcul des seuils de la MPC demande à être comparée aux réalités du coût de la vie pour les divers types de ménage ;
  • indiquer les variations effectives de coût de la vie entre des localités dont les seuils de la MPC sont les mêmes parce qu’elles sont de même taille.

La MPC, la MFR-50, la MFR-60 et le revenu viable de 2015 à 2020

Pour continuer de situer cette contribution possible du revenu viable, il nous faut revenir aux deux autres indicateurs liés à la médiane des revenus après impôt qui étaient recommandés dans l’avis du CEPE de 2009 pour des fins de comparaison, soit la MFR-50, pour les comparaisons interrégionales, et la MFR-60, pour les comparaisons internationales. Ces indicateurs servent de références communes pour divers pays en l’absence de mesures de panier comparables. Ils impliquent eux aussi un critère minimal et un critère plus élevé (50 % et 60 % du revenu médian) dans une zone de seuils décrivant la transition entre la pauvreté et son absence. Or si, dans la conjoncture québécoise ayant suivi l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, les seuils de la MPC ont donné une idée d’un niveau de vie et de consommation pouvant être comparé à celui de la MFR-50, une telle information manque pour la MFR-60.

Le graphique 2, qui suit l’évolution de la MPC, du revenu viable, de la MFR-50 et de la MFR-60 de 2015 à 202038 en dollars constants de 2020, permet d’apprécier le potentiel du revenu viable à cet égard pour une des localités étudiées, soit Montréal, qui regroupe la plus grande population39. Comme on peut le voir, le revenu viable se compare favorablement au niveau de revenu décrit par la MFR-60, la mesure qui sert au Québec pour les comparaisons internationales, à tout le moins pour les trois types de ménage considérés dans le calcul du revenu viable. Il donne ce faisant une bonne idée du niveau de vie concret auquel cet indicateur relatif peut être associé.

(pour voir le graphique, téléchargez la note ici.)

Ce graphique permet un certain nombre d’observations. Tout d’abord, on peut constater la relative stabilité de la MPC dans le temps en dollars constants. Les seuils de la MFR-50, et par conséquent de la MFR-60, se sont quant à eux appréciés d’année en année, ce qui nous indique que la valeur du revenu médian a augmenté au cours de ces années. De son côté, bien que calculé de façon indépendante de la MFR-60, le revenu viable semble suivre cette tendance d’assez près, surtout quand on examine les seuils pour une personne seule.

Le tableau 12 complète ce tour d’horizon en montrant comment, en 2020, le revenu viable permettait de mettre en relation ces quatre indicateurs en tant qu’indicateur de type panier situé en haut de zone par rapport à la MPC et comme mesure valable pour indiquer un niveau de vie et un potentiel de consommation correspondant concrètement à la MFR-60 québécoise, qui doit normalement servir aux comparaisons internationales pour l’atteinte de la cible de réduction de la pauvreté de la loi québécoise.

Il sera intéressant d’examiner l’évolution de ce quatuor d’indicateurs quand les données de 2021, 2022 et 2023 seront accessibles. En quoi la pandémie de COVID-19, qui a commencé au début de l’année 2020, et l’inflation qui s’est fait sentir en 2022 et en 2023 auront-elles affecté la distribution des revenus dans la société, et, conséquemment, le revenu médian de même que les valeurs de la MFR-50 et de la MFR-60 ? Déjà, les données disponibles pour 2020 laissent voir des mouvements importants dans l’échelle des revenus.

4. Les disparités de niveaux de vie dans l’échelle des revenus

Une fois posés et calculés, les repères fournis par le revenu viable, la MFR-50 et la MFR-60 en complément de la MPC permettent de poser un regard d’autant mieux informé sur les disparités de niveaux de vie et leur évolution, tant au bas de l’échelle des revenus qu’en regard de l’ensemble de la population.

Cette section présente deux constats relatifs à ces disparités. Elle montre d’abord, à partir des données de 2020, les effets positifs qu’une politique de soutien du revenu qui vise les personnes au bas de l’échelle peut avoir sur la couverture des besoins de base et la sortie de la pauvreté au Québec, tout en contribuant à l’élargissement de la classe moyenne. À l’inverse, elle montre ensuite les effets inégalitaires de mesures budgétaires québécoises mal ciblées en 2022 et dans le budget 2023-2024, au détriment des ménages sous le niveau du revenu viable et à l’avantage de ménages dont les revenus, beaucoup plus haut dans l’échelle des revenus, leur permettent déjà un niveau de vie bien au-delà de la couverture des besoins de base, de la sortie de la pauvreté, et même des critères pouvant servir à délimiter la classe moyenne.

La démonstration de 2020 : la possibilité de lever les obstacles réglementaires au bas de l’échelle des revenus de façon avantageuse pour la classe moyenne

Les décisions politiques de l’année 2020 ont fait la démonstration qu’il était possible d’avoir un effet à la fois rapide sur la distribution des revenus dans la société, efficace pour la population travailleuse à plus faibles revenus et avantageux pour la classe moyenne, en priorisant le soutien des revenus au bas de l’échelle plutôt qu’au haut de celle-ci. Comme on peut le voir au tableau 1340, dans la continuité des statistiques du faible revenu, l’année 2020 se démarque par la baisse phénoménale du taux de la population sous le seuil de la MPC, moindrement sous les seuils de la MFR-50 et de la MFR-60. Cela est un résultat observable des mesures fédérales de soutien du revenu, notamment la Prestation canadienne d’urgence, qui a assuré pendant quelques mois un revenu proche des seuils de la MPC pour les travailleuses et travailleurs dont l’emploi, et par conséquent le revenu, était affecté par la pandémie41.

Alors que 8,9 % de la population québécoise se trouvait sous le seuil de la MPC en 2019, ce taux a diminué pratiquement de moitié en 2020, en passant à 4,8 %. Ces tendances à la baisse ont toutefois débuté avant 2020, avec des diminutions moins prononcées entre 2018 et 2019, ce qui montre que d’autres facteurs sont en jeu, notamment du côté des allocations familiales, et que, considéré sur trois ans, cet effet ne peut être attribué aux seules mesures pandémiques de 2020.

Le taux de population sous le seuil de la MFR-50, légèrement plus élevé que les seuils de la MPC, est passé quant à lui de 10,6 % en 2019 à 7,7 % en 2020. Même si les deux mesures ne sont pas directement comparables42, cette observation peut laisser entendre que si une fraction de la population sous les seuils de la MPC, et probablement juste en dessous, est passée de l’autre côté de ces seuils, probablement juste au-dessus43, une partie de la population entre les seuils de la MPC et le seuil de la MFR aura aussi connu une certaine amélioration dans l’ensemble de ses revenus pour l’année 2020. Par ailleurs, les taux de personnes de 65 ans et plus sous le seuil de la MFR-50 entre 2018 et 2020 sont restés stables, rappelant que les mesures se sont peu appliquées à elles.

Pour la première fois cette année, nous disposons également des taux pour la MFR-6044. La baisse des taux y est aussi visible, passant de 17,3 % en 2018, à 16,8 % en 2019, à 13,9 % en 2020, tout en maintenant une plus grande prévalence des femmes sous ce seuil (18,6 % contre 15,9 % en 2018 et 15,2 % contre 12,6 % en 2020), soit une différence d’environ 2,5 points de pourcentage. Si on se rappelle que la MFR-60 donne une indication apparentée à la sortie de la pauvreté, cette baisse des taux a eu peu d’effet sur la prévalence de la pauvreté pour les 65 ans et plus (27,4 % en 2020 comme en 2018) et pour les personnes seules (entre 41 et 42 % en 2020 comme en 2018). L’accès à ces taux permet ainsi de différencier l’impact des mesures de 2020, important pour la couverture des besoins de base selon la MPC pour ces deux catégories de population et quasi nul pour la sortie de la pauvreté selon la MFR-60. C’est donc ailleurs que se sera produit l’effet d’ensemble.

Si on reporte maintenant cette distribution du revenu disponible sur l’ensemble de l’échelle des revenus, on peut observer un autre fait étonnant. Les décisions politiques qui ont priorisé le soutien du revenu au bas de cette échelle en 2020 ont favorisé un repositionnement de la population, principalement depuis le bas de l’échelle, à l’intérieur d’une définition de la classe moyenne en usage45, soit la population disposant d’un revenu ajusté46 situé entre 75 et 150 % du revenu médian. Cette situation est illustrée au tableau 14.

Non seulement le revenu après impôt médian ajusté47 a-t-il progressé en dollars constants en 2020, passant de 46 500 $ en 2019 à 48 700 $ pour une personne seule, mais une plus grande proportion de la population québécoise s’est aussi trouvée comprise à l’intérieur de cette fourchette de 75 % à 150 % du revenu médian, soit 55,1 % de la population en 2020, comparativement à 52,1 % en 2019. Ce recentrage de 3 % est attribuable pour les deux tiers (2 %) à la diminution de la population sous la barre de la MFR-50, et notamment sous la barre de la MPC, avec des mouvements vers les catégories au-dessus et leurs meilleurs revenus. Un autre tiers est attribuable à l’amélioration du revenu médian, qui s’est trouvé à incorporer une partie de la population qui, sans nécessairement perdre de niveau de vie, s’est retrouvée ainsi à l’intérieur du critère de 150 % du revenu médian.

Dans la mesure où le revenu viable décrit un niveau de vie comparable à celui d’un revenu disponible à 60 % du revenu disponible médian, en montrant la proportion de la population qui se retrouve entre 60 et 75 % du revenu médian, soit 11 % de la population, le tableau 15 rappelle également un point important : le revenu viable n’est pas un revenu d’entrée dans la classe moyenne, et il ne détermine pas non plus la limite supérieure du faible revenu. C’est un faible revenu qui permet une vie digne, qu’on peut dire exempte de pauvreté.

Le graphique 3 montre l’ampleur de ce recentrage par rapport aux années précédentes. Conçu pour rappeler qu’il y a une échelle des revenus florissante au-dessus du niveau du revenu viable, il en donne un tableau de bord tel qu’il peut être constitué pour l’année la plus récente où les quatre indicateurs utilisés dans la présente édition, soit la MPC, le revenu viable, la MFR-50 et la MFR-6048, sont compilés pour le Québec, soit l’année 2020. Cela étant, on peut constater que la courbe de 2020 se distingue à plusieurs égards de celles qui l’ont précédée depuis 2012, dans la mesure où elle s’élargit à sa base, alors que le revenu s’y améliore, plutôt qu’à son sommet où le niveau de vie est maintenu sans progresser autant, comme cela était le cas dans les dix années précédentes49. Elle fournit ce faisant une illustration d’un principe d’action préconisé dans la proposition de loi citoyenne de 2000 pour jeter les bases d’un Québec sans pauvreté50 et non repris en 2002 dans la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale : l’amélioration prioritaire des revenus du cinquième le plus pauvre de la population par rapport à ceux du cinquième le plus riche.

(pour voir le graphique, téléchargez la note ici.)

Il faudra attendre les données de 2021, une année marquée par la fin des mesures pandémiques de soutien du revenu, celles de 2022, marquée par une forte inflation et des interventions ponctuelles peu ciblées, et celles de 2023, marquée dans le budget 2023-2024 par des baisses d’impôt bénéficiant principalement aux plus hauts revenus, pour mettre en contexte les observations relatives à cette année 2020 atypique. Accident de parcours, occasion de prises de conscience, ou les deux, elle aura par ailleurs mis en évidence les possibilités d’amélioration rapide des soutiens publics en bas de l’échelle des revenus quand la volonté politique est présente. Pour une fois, des mesures publiques ont privilégié la couverture des besoins de base d’une population, travailleuse, il faut le dire, plutôt que d’autres considérations, avec un résultat visible à l’intérieur d’une seule année. Cette année offre ainsi une bonne démonstration du potentiel d’une action étatique servant de levier pour avancer en direction d’une société sans pauvreté.

La contre-démonstration du budget du Québec 2023-2024 : quand les décisions publiques favorisent l’enrichissement énergivore des plus riches aux dépens des plus pauvres et du bien commun

À cet égard, et en toute insouciance climatique au lendemain d’un rapport accablant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)51, le budget du Québec 2023-2024 rendu public le 21 mars 202352 fournit une contre-démonstration tout aussi éloquente de décisions publiques gaspillant les finances publiques pour augmenter les inégalités de revenu et privilégier la consommation inutile plutôt que la couverture des besoins de base et la suffisance des revenus pour le plus grand nombre.

Malgré le tollé soulevé par l’éventualité de cette mesure et des critiques venues de toutes parts53, le gouvernement a baissé d’un point les taux d’imposition des deux premiers seuils d’imposition54. Cette mesure, au coût annuel de 1,7 milliard de dollars, ne retournera aucun revenu au 30,2 % de la population non suffisamment en moyens pour payer de l’impôt55, et en retournera le montant maximal (814 $) aux particuliers gagnant 100 000 $ et plus.

L’outil de calcul du revenu disponible du ministère des Finances56, mis à jour à l’occasion du budget, est encore plus révélateur. En plus de la baisse d’impôt, il tient en effet compte de l’ensemble des indexations fiscales et des impacts du budget sur les revenus en les comparant avec les mêmes revenus en 2022, avec ou sans les montants ponctuels pour l’inflation distribués à coups de milliards cette année-là à la grande majorité des adultes au Québec sans prise en compte, structurelle et durable, des besoins plus vitaux.

Voici d’abord ce qu’on apprend de cet outil à propos du plancher de revenu assuré au Québec, soit l’aide sociale de base sans revenus de travail, pour les trois situations de ménage considérées pour le revenu viable. Comme le montre le tableau 15, une personne seule disposera en tout de 11 327 $ pour couvrir une fraction de ses besoins de base selon la MPC, soit 599 $ de moins que les 11 926 $ qui lui ont été versés en 2022, cela alors que le coût de la vie a augmenté entre temps. Comparativement, les ménages d’un·e adulte et d’un·e enfant et de deux adultes et de deux enfants se trouvent à disposer respectivement de 834 $ et de 436 $ de plus que l’année précédente avec ces mêmes montants ponctuels. Autrement dit, on aura pérennisé pour ces ménages les montants ponctuels de l’année précédente et plus, alors que les personnes seules devront survivre avec moins que l’année précédente. Ce nouvel exemple du manquement chronique à l’équité horizontale dans la couverture des besoins de base entre les ménages sans emploi à l’aide sociale avec ou sans enfant frise l’acharnement.

Voici maintenant ce qu’on aperçoit quand on étend le regard à différentes situations de revenu sur l’ensemble de l’échelle des revenus. Nous nous en tenons ici à la situation des personnes seules. Comme on peut le constater au tableau 16, il se dégage qu’à revenu égal, l’ensemble des personnes seules sous le niveau du revenu viable disposeront de moins de revenus en 2023 qu’en 2022 pour subvenir à leurs besoins. L’État ne maintiendra pas le niveau de soutien de 2022 aux personnes seules en situation de pauvreté. Par ailleurs, ce soutien se trouvera pérennisé à 90 % pour un niveau de revenu de 50 000 $, à 100 % plus 23 $ pour un revenu de 80 000 $, et à 100 % plus 439 $ pour un revenu de 100 000 $. À un niveau de revenu de 150 000 $, ce sera comme si le montant ponctuel de 2022 auquel ce niveau de revenu n’était pas admissible lui était dorénavant versé plus 892 $, et plus 1 193 $ à un niveau de revenu de 200 000 $. Cette mesure a ainsi pour effet d’augmenter structurellement les écarts de revenu et les disparités de niveaux de vie, en hypothéquant la couverture vitale des besoins de base, d’une part, et en investissant dans des dépenses de consommation très au-delà des seuils de suffisance qu’on devrait plutôt viser, d’autre part. Qui plus est, agir ainsi est imprudent alors qu’il devient de plus en plus urgent de contenir la consommation humaine en deçà des plafonds d’émissions de gaz à effet de serre ciblés et convenus pour contenir le réchauffement planétaire dans des limites viables.

Tout cela se produit, comme le montre le tableau 1757, alors que le revenu disponible à l’aide sociale de base ne couvre pas la moitié des besoins de base selon le seuil de la MPC pour une personne seule à Montréal, et que le nouveau revenu de base qui remplace le programme de solidarité sociale de longue durée n’atteint pas encore ce seuil qu’il devrait atteindre. Le salaire minimum à temps plein y donne tout juste accès et ne fournit que 78 % du revenu viable calculé pour une personne seule à Montréal en 2023. Il faut en fait travailler plus de 35 heures par semaine au taux horaire de 20 $ pour l’atteindre, et plus de 15 heures par semaine au salaire minimum si on a 65 ans et seulement les pensions assurées par le gouvernement fédéral.

Nous ajoutons cette année une nouvelle observation. Qu’en est-il d’une personne qui prend sa retraite après avoir travaillé à faible revenu toute sa vie et qui retirera comme seul revenu de retraite supplémentaire une rente mensuelle de 1 000 $ de la Régie des rentes du Québec (RRQ) ? Sans autre revenu de travail, son revenu disponible sera de 26 249 $, soit 2 372 $ de plus que si elle ne disposait que de la Pension pour la vieillesse et du Supplément de revenu garanti. Il lui faudra travailler 10 heures par semaine au salaire minimum pour atteindre le niveau du revenu viable. Si, pour avancer vers un Québec sans pauvreté, il est incontournable que les protections sociales de base en viennent à couvrir les besoins de base et que le salaire minimum à temps plein permette une vie exempte de pauvreté, cette affirmation conduit à une troisième et nouvelle affirmation : il devrait également aller de soi qu’une vie de travail à temps plein et de cotisation au RRQ permette une retraite sans pauvreté, autrement dit, au niveau d’un revenu viable58.

Conclusion : quelles voies de passage ?

Pour qui souhaite une évolution des règles du jeu collectif compatible avec de telles aspirations, entre la démonstration du possible en 2020 et les contresens du budget du Québec 2023-2024, quelles sont les possibles voies de passage ? Quoi qu’il en soit, tenir bon, démontrer, proposer et convaincre en font nécessairement partie.

Depuis 2015, la publication annuelle du revenu viable, comparé depuis 2019 aux données disponibles pour la MPC, la MFR-50 et la MFR-60, a permis d’éclairer certains enjeux relatifs au bas de l’échelle des revenus qui ont pris de l’évidence à la lumière de ces repères concrets. Une révision des critères de calcul du panier de biens et services associé au revenu viable est prévue pour 2024. En même temps, comme mentionné dans les éditions précédentes, au-delà du projet de démonstration que permet la compilation, révisée périodiquement, effectuée par l’IRIS, il y aurait assurément un intérêt à sa prise en charge par une institution statistique en mesure de la systématiser sur une base plus large, au même titre qu’il est possible de le faire pour la MPC, la MFR-50 et la MFR-6059. L’actualité offre aussi des occasions de mettre l’enjeu d’un bien-vivre mieux partagé à l’avant-plan des préoccupations collectives et du débat public. À quelques heures du dépôt du budget 2023-2024, le Collectif des fondations québécoises contre les inégalités a exprimé son « espoir que le gouvernement utilise tous les leviers à sa disposition pour réduire les inégalités, et qu’il en mesure les effets » et il a manifesté sa conviction « que la réduction des inégalités devrait guider l’ensemble de l’action gouvernementale60 ». En octobre 2022, une publication du Scientifique en chef du Québec a fait état de préjugés tenaces à l’égard des prestataires de l’aide sociale61, observés dans le cadre de travaux de recherche menés par Normand Landry62. À la suite de l’annonce du budget du Québec 2023-2024, le Collectif pour un Québec sans pauvreté a dénoncé l’absence de la lutte contre la pauvreté dans ce budget, une pièce manquante majeure, alors que le gouvernement doit procéder à la révision périodique du plan d’action requis par la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale63. Une telle unanimité de préoccupations entre philanthropie, recherche scientifique et action communautaire de défense de droits est rare et doit être soulignée.

Devant la spirale de l’inflation et les baisses d’impôt du budget du Québec 2023-2024 insensibles à ces pressions ambiantes, et creusant davantage les disparités de niveaux de vie, l’heure serait-elle à la proposition ? Les statistiques du revenu de 2020, année de la Prestation canadienne d’urgence, ont montré l’intérêt, y compris pour la classe moyenne, du principe de la proposition de loi citoyenne de 2000 visant à privilégier l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre de la population plutôt que celle des revenus du cinquième le plus riche. Le résultat, une baisse importante des taux de faible revenu et des conséquences positives pour la classe moyenne, est convaincant. À quoi une société québécoise qui irait de l’avant dans cette direction pourrait-elle ressembler ?

Le gouvernement québécois devrait se rappeler que les dollars vitaux64 , c’est-à-dire les dollars servant à la survie, sont des dollars locaux qui contribuent à l’enrichissement des économies locales, ce qui n’est pas le cas des dollars ajoutés en haut de l’échelle des revenus, là où leur utilité marginale est la plus faible. Les finances publiques devraient de plus être en mesure d’assurer ce qui nous rend plus riches collectivement, soit des services de qualité, ainsi que la protection des ressources et des biens communs. Cela suppose la reconsidération, tout à fait possible, de notre rapport à la richesse et à la vie ensemble.


1 Voir la section suivante.

2 Il est à souligner que, pour Montréal, il est question de l’île de Montréal et non de l’ensemble de la région métropolitaine de recensement. Pour Saguenay, nous avons étudié le revenu viable dans l’arrondissement de Chicoutimi.

3 Philippe HURTEAU et Minh NGUYEN, Quel est le salaire viable ?, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), 2015, iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-viable2015.

4 Id., Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2016 ?, IRIS, 2016, iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-viable2016.

5 Id., Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2017, IRIS, 2017, iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-viable2017.

6 Philippe HURTEAU, Vivian LABRIE et Minh NGUYEN, Le revenu viable 2019 et les situations de pauvreté, IRIS, 2019, iris-recherche.qc.ca/publications/revenuviable2019.

7 Le panier du revenu viable n’inclut pas les retenues et cotisations salariales obligatoires, de même que les pensions alimentaires à payer, mentionnées parmi les dépenses non discrétionnaires aux fins de la MPC. Ces dépenses correspondent à une variété de situations particulières difficiles à intégrer dans une approche par cas types. On peut comprendre que ces frais, s’ils existent, doivent être soustraits du revenu après impôt pour évaluer le revenu nécessaire aux fins du revenu viable. Voir l’édition 2019 du revenu viable pour une exploration plus détaillée de ces enjeux.

8 Par le passé, le Dispensaire diététique de Montréal (DDM) publiait trois fois par année l’indice du Panier à provisions nutritif (PPN) dans lequel il chiffrait le prix par jour pour se nourrir convenablement selon le sexe, l’âge et la localité. L’IRIS utilise depuis 2015 le PPN pour quantifier le poste budgétaire de la nourriture en vue de calculer le revenu viable (voir Philippe HURTEAU et Minh NGUYEN, Quel est le salaire viable ?, IRIS, 2015, iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-viable2015). Depuis 2022, le DDM a mis de côté le PPN pour mettre à jour quatre fois par année un nouvel indice qui s’appelle le Panier à provisions nutritif et économique (PPNE) et qui, en plus d’avoir le même mandat que le PPN, doit aussi viser le coût le moins cher possible. Le PPN et le PPNE n’étant pas comparables car n’ayant pas les mêmes finalités, l’IRIS utilise cette année un multiplicateur conçu à partir des chiffres fournis par le DDM pour convertir le PPNE en un PPN comparable aux années précédentes en matière de capacité de consommation. Pour plus de détails, voir l’annexe 1.

9 Dans les éditions précédentes, l’IRIS utilisait le prix de l’essence réaliste de la CAA d’une journée du mois de janvier de l’année en cours pour prévoir le prix de l’essence réaliste pour l’année. Compte tenu de la variation du prix de l’essence entre janvier et mars 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la faible probabilité d’assister à une correction rapide à la baisse, dans l’édition 2022, nous avons choisi de déplacer exceptionnellement la journée de référence du calcul du coût d’utilisation d’un véhicule vers le prix réaliste de l’essence d’une journée en mars, quelques jours après le début de la guerre. Pour plus de détails, voir ici aussi l’annexe 1.

10 Les détails de ces calculs se trouvent à l’annexe 1.

11 Ce choix a été fait en 2019 après une centaine de simulations en ligne sur l’application Google Maps pour déterminer s’il était possible de quitter différents lieux de travail à 17 h pour aller à différents CPE en transport en commun pour ensuite revenir à la maison avec l’enfant. Il était évident que, dans plus de 65 % des cas, il était impossible d’arriver à la maison avant 18 h. Considérant que les enfants de 4 ans doivent dormir entre 11 et 14 heures par jour (incluant les siestes), il était évident que le transport en commun à Saguenay n’était pas adapté aux ménages monoparentaux dans cette localité, d’où notre choix d’inclure une voiture au calcul.

12 Comme on peut le voir à l’annexe 1, la taille du logement, un 4 ½ comportant deux chambres à coucher, est la même que pour la famille de deux adultes et de deux enfants, où le couple occupe une chambre et les deux enfants en CPE, une autre chambre.

13 On pourrait s’attendre à ce que le coût prévu dans la MPC pour un logement de trois chambres (en raison de la même norme, qui prévoit toutefois une chambre distincte pour une fille de 9 ans et un garçon de 13 ans) soit plus élevé que le coût d’un logement de deux chambres prévu ici pour le revenu viable. Ce n’est pas le cas, comme on le verra au tableau 9, sauf à Saguenay et à Trois-Rivières. En fait, ce coût est établi pour la MPC en fonction du coût médian d’un loyer de trois chambres pour des ménages du deuxième décile, alors que, pour le revenu viable, il s’agit du coût moyen d’un logement de deux chambres, lequel s’avère plus élevé dans les cinq autres localités.

14 Pour ce type de ménage à Saguenay, nous considérons qu’un des parents peut utiliser la voiture familiale pour conduire les enfants à la garderie pendant que l’autre peut utiliser les transports en commun.

15 Comme pour les éditions précédentes du revenu viable, pour comparer l’inflation entre 2022 et 2023, nous utilisons les taux désaisonnalisés de décembre 2021 (taux d’entrée dans 2022) et de décembre 2022 (taux d’entrée dans 2023) tels qu’ils apparaissent dans le tableau 18-10-0004-01, Indice des prix à la consommation mensuel, non désaisonnalisé, de Statistique Canada, mise à jour du 17 janvier 2023, www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/cv.action ?pid=1810000401.

16 Voir l’annexe 4 pour plus de détails sur les coûts relatifs à un véhicule.

17 On pourrait s’interroger sur le fait que les situations de variation moindre concernent toutes des familles monoparentales. On peut faire l’hypothèse d’une combinaison de facteurs, dont le coût différencié de l’alimentation, l’accès au transport en commun et l’inflation moindre pour les 4 ½ dans quelques localités. Lors de la révision périodique de 2024, cette particularité sera examinée plus attentivement.

18 Les loyers des logements sociaux sont proportionnels aux revenus des locataires, ce qui atténue d’autant le poids du logement dans un petit budget.

19 Ceux-ci sont expliqués plus en détail dans les précédentes éditions du revenu viable. Voir aussi cette nouvelle publication de l’IRIS : Vivian LABRIE, Prendre en compte l’ensemble des revenus en direction d’un bien-vivre mieux partagé : pourquoi, comment, avec quelles questions ? Apports du revenu viable, de l’indice panier et du revenu décomposé selon la MPC, IRIS, mars 2023, iris-recherche.qc.ca/publications/revenus-bien-vivre/.

20 Philippe HURTEAU, Minh NGUYEN et Vivian LABRIE, Le revenu viable 2021 : pour une sortie de pandémie sans pauvreté, IRIS, avril 2021, iris-recherche.qc.ca/publications/revenu-viable-2021-pour-sortie-pandemie-sans-pauvrete/.

21 CENTRE D’ÉTUDE SUR LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION (CEPE), Prendre la mesure de la pauvreté, 2009, p. 31, cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/travail-emploi-solidarite-sociale/cepe/publications/RA_avis_pauvrete_2009_cepe.pdf?1641397468. Voir aussi les rappels faits en 2019 et en 2020 par la présidente du CEPE, Céline Bellot, dans La pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociale au Québec : État de situation 2018, 2019, p. 1, cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/travail-emploi-solidarite-sociale/cepe/publications/RA_etat_situation_2018_CEPE.pdf?1641395991, et dans La pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociale au Québec : État de situation 2019, 2020, p. 12, cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/travail-emploi-solidarite-sociale/cepe/publications/RA_etat_situation_2019_CEPE.pdf?1641395857.

22 Voir aussi Alain NOËL, « Une zone plutôt qu’un seuil : repenser la mesure de la pauvreté », Options politiques, IRPP, 18 janvier 2021, policyoptions.irpp.org/fr/magazines/january-2021/une-zone-plutot-quun-seuil-repenser-la-mesure-de-la-pauvrete/.

23 CEPE, Prendre la mesure de la pauvreté, op. cit.

24 Compte tenu de ce qui précède, l’IRIS a choisi de maintenir l’usage qui prévaut au Québec depuis. Nous continuons donc de considérer la MPC comme un indicateur de ce qu’il en coûte pour couvrir ses besoins de base au Québec, une étape incontournable, bien qu’insuffisante, dans l’atteinte d’une « société sans pauvreté », une visée mentionnée à la fois dans la loi québécoise et dans la stratégie fédérale.

25 CEPE, Prendre la mesure de la pauvreté, op. cit., p. 31.

26 Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale [L.R.Q., chapitre L-7], Assemblée nationale du Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 2002, legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/L-7. Cette loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec en 2002. Elle engage à « tendre vers un Québec sans pauvreté » et à agir dans le cadre d’un plan d’action, publié en 2004 et révisé périodiquement depuis (2010 et 2017).

27 EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA, Une chance pour tous, 2018, www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/reduction-pauvrete/rapports/strategie.html; Loi concernant la réduction de la pauvreté, intégrée au projet de loi budgétaire C-97 (Loi no 1 d’exécution du budget de 2019 [L.C. 2019, chapitre 29]), laws.justice.gc.ca/fra/LoisAnnuelles/2019_29/page-1.html.

28 STATISTIQUE CANADA, Les lignes de faible revenu : leur signification et leur calcul, 2016, p. 9, www.statcan.gc.ca/pub/75f0002m/75f0002m2016002-fra.pdf.

29 Il s’agit de la racine carrée de la taille du ménage. Autrement dit, on estime qu’il en coûtera deux fois moins à une personne seule qu’à un ménage de quatre personnes, soit le seuil pour ce ménage divisé par deux (la racine carrée de quatre), ce qui s’avère généralement une bonne estimation en raison des économies d’échelle réalisées quand plusieurs personnes vivent ensemble. Cette estimation vaut dans la mesure où on l’applique au coût total du panier de référence, mais non à ses composantes, lesquelles vont s’équilibrer différemment dans ce panier selon la composition des ménages (Guy FRÉCHET et autres, Échelles d’équivalence : une validation empirique, Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion, 2010, cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/travail-emploi-solidarite-
sociale/cepe/publications/RA_compar_seuils_cepe.pdf ?1641397276
). Cette façon de procéder ne tient par ailleurs pas compte de la composition du ménage. Autrement dit, ce qu’il en coûte pour un couple est jugé équivalent à ce qu’il en coûte à une famille monoparentale avec un·e enfant.

30 À moins d’une mention autre, quand elle réfère à la MPC, la présente édition du revenu viable réfère à la MPC en base 2018. Voir au besoin l’édition 2021 du revenu viable pour une présentation détaillée des différences de seuils entre cette base et la base de 2008.

31 Voir les publications suivantes : Samir DJIDEL, Burton GUSTAJTIS, Andrew HEISZ, Keith LAM et Sandra MC DERMOTT, Vers une mise à jour du panier de consommation, Statistique Canada, 6 décembre 2019, www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75f0002m/75f0002m2019013-fra.htm; Id., Définition du revenu disponible dans la mesure fondée sur un panier de consommation, Statistique Canada, 20 décembre 2019, www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75f0002m/75f0002m2019014-fra.htm; Id. avec l’addition d’Isabelle MARCHAND, Rapport du deuxième examen approfondi de la mesure fondée sur un panier de consommation, Statistique Canada, 24 février 2020, www150.statcan.gc.ca/n1/fr/catalogue/75F0002M2020002.

32 Statistique Canada calcule la MPC avec au moins deux ans d’écart. Il n’est donc pas possible d’avoir les montants pour 2023 avant 2025. Afin de rendre possible la comparaison avec l’année en cours, nous avons procédé nous-mêmes à l’indexation du seuil de 2021. Comme par les années précédentes, nous avons travaillé à partir de l’IPC mensuel non désaisonnalisé de décembre (Statistique Canada, Tableau 18-10-0004-01). Nous avons utilisé l’IPC de Montréal et de Québec pour ces deux régions métropolitaines de recensement, et celui de l’ensemble du Québec pour les autres villes. Il est à noter que dans le rapport publié par Statistique Canada en février 2020 (Samir DJIDEL, Burton GUSTAJTIS, Andrew HEISZ, Keith LAM et Sandra MC DERMOTT, Rapport du deuxième examen approfondi de la mesure fondée sur un panier de consommation, Statistique Canada 6 décembre 2019), des indications sont données pour l’indexation annuelle de chaque composante du panier en base 2018 à partir des calculs initiaux pour chaque type d’agglomération et en utilisant ensuite les IPC provinciaux. Par cohérence avec la méthode d’indexation utilisée pour le revenu viable quand il y a lieu, nous nous en tenons toutefois à cette dernière méthode.

33 STATISTIQUE CANADA, Tableau 11-10-0066-01, Seuils de la Mesure du panier de consommation (MPC) pour la famille de référence selon la région de la Mesure du panier de consommation, la composante et l’année de base, mise à jour du 17 janvier 2023, www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1110006601.

34 CEPE, Prendre la mesure de la pauvreté, op. cit.

35 Par exemple, contrairement à la MPC, le revenu viable prévoit un montant pour une sortie mensuelle au restaurant et un autre pour deux semaines de vacances dont une dans un chalet. Il permet de répondre aux besoins en vêtements plutôt que de devoir économiser sur le montant prévu et fréquenter les comptoirs vestimentaires en raison d’autres nécessités. Il prévoit aussi une marge de manœuvre pour divers besoins de formation, de perfectionnement et de développement personnel et un petit fonds de prévoyance. Il calcule des frais non inclus dans le calcul de la MPC comme des soins de santé non assurés et des frais de garde. Pour une description détaillée des différences, voir l’édition 2022 du revenu viable.

36 Selon une étude réalisée en 2010 par le CEPE (Guy FRÉCHET et autres, Échelles déquivalence : une validation empirique, op. cit.), même si cette échelle d’équivalence semble bien fonctionner pour le calcul des seuils totaux, la manière de dépenser le seuil évalué variera. Il en coûtera par exemple plus cher proportionnellement à la personne seule pour le logement que la moitié du loyer de la famille de quatre personnes, et moins que la moitié du coût de l’alimentation et des vêtements de cette même famille. Par ailleurs, comme on peut le constater en comparant le tableau 9 aux tableaux 10 et 11, le calcul du revenu viable permet de tester l’échelle d’équivalence utilisée pour la MPC, soit la racine carrée de la taille du ménage. En effet, le revenu viable d’une famille de quatre dépasse le multiplicateur de deux prévu par cette échelle par rapport au revenu d’une personne seule, qu’on obtiendrait en calculant la racine carrée de la taille d’un ménage de quatre personnes. Ce multiplicateur varie en fait entre 1,906 à Sept-Îles et 2,320 à Saguenay. L’écart entre les ménages d’une et de deux personnes varie quant à lui de 1,228 à Sept-Îles à 1,694 à Saguenay, autour de la racine carrée de 2, soit 1,414.

37 Le CEPE (Guy FRÉCHET, Pierre LANCTÔT et Alexandre MORIN, Du revenu après impôt au revenu aux fins de la mesure du panier de consommation [MPC], CEPE, 2010, 18 p.) avait proposé un coefficient moyen pour l’ensemble des ménages. Étant donné que cette étude date de 2010, il serait intéressant de voir ce que donnerait une mise à jour tenant compte des ménages avec et sans enfants.

38 Cette période est liée à la disponibilité concomitante des données, soit de 2015 à 2020. Le revenu viable est calculé annuellement depuis 2015. Les seuils de la MPC en base 2018 publiés par Statistique Canada sont accessibles de 2015 à 2021. Si les seuils de la MFR-50 publiés par l’Institut de la statistique du Québec sont disponibles depuis plus longtemps, ils s’arrêtent pour le moment à 2020. Quant aux seuils de la MFR-60, qui ne sont pas publiés directement, ils peuvent être calculés à partir de la MFR-50. Il s’agit d’une simple opération arithmétique : il suffit de calculer la médiane des revenus, soit deux fois les seuils de la MFR-50, et de calculer ensuite 60 % de cette médiane. Il en va autrement des taux liés à la MFR-60, qui demandent quant à eux des compilations plus sophistiquées. En raison de cela, il serait utile de voir une institution officielle comme l’Institut de la statistique du Québec en publier les seuils et les taux comme pour la MFR-50, d’autant plus que c’est avec la MFR-60 que le Québec doit se comparer à d’autres nations industrialisées pour réaliser la cible donnée à l’article 4 de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale : « La stratégie nationale vise à amener progressivement le Québec d’ici 2013 au nombre des nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres, selon des méthodes reconnues pour faire des comparaisons internationales. » Cette cible reste à atteindre. Il y a donc un intérêt évident sur le plan des politiques publiques à suivre de plus près l’évolution des seuils et des taux relatifs à la MFR-60.

39 Des graphiques similaires pour les six autres localités étudiées sont présentés à l’annexe 5.

40 Nous nous en tenons dans ce tableau à des catégories de population dont les résultats sont statistiquement fiables.

41 Ces mesures n’auront toutefois pas modifié la situation de la population sans revenus d’emploi, par exemple à l’aide de dernier recours, qui aura continué de se trouver en déficit de couverture de ses besoins de base, notamment les prestataires de l’aide sociale sans enfant, dont les revenus disponibles les auront maintenu·e·s dans un déficit grave, à la moitié des seuils de la MPC.

42 Ces deux mesures ont une définition différente de leur unité de mesure, soit l’unité familiale pour la MPC (personnes seules et familles de deux personnes et plus) et le ménage quand l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) calcule la MFR pour le Québec. Cela peut donner dans certaines circonstances des taux moindres pour la MFR-50 que pour la MPC, malgré des seuils plus élevés pour la MFR-50. Les deux catégories où ce phénomène s’observe peuvent comporter des situations de colocation expliquant des taux moindres pour la MFR quand plusieurs revenus de colocataires s’additionnent dans un revenu de ménage.

43 Voir Nancy DEVIN et Raphaël LANGEVIN, Recherche sur la mesure du panier de consommation : indicateurs supplémentaires d’inégalité de revenu à l’aide de la mesure du panier de consommation, Statistique Canada, 20 décembre 2022, www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75f0002m/75f0002m2022007-fra.htm.

44 Nous remercions ici l’ISQ de nous en avoir fourni une compilation.

45 Voir Eve-Lyne COUTURIER et Vivian LABRIE, Qui a accès à un revenu viable au Québec ?, IRIS, 2020, iris-recherche.qc.ca/publications/qui-a-acces-revenu-viable-quebec.

46 Le revenu ajusté ramène les revenus après impôt des ménages à leur équivalent pour une personne seule en fonction de l’échelle d’équivalence en usage, soit la racine carrée de la taille du ménage, et attribue ce revenu ajusté à chacun des membres du ménage. Pour estimer le revenu réel d’une famille de quatre personnes, il faut plutôt multiplier le montant par deux, soit la racine carrée de quatre. Cette méthode permet de comparer les niveaux de vie de l’ensemble de la population, même si les personnes vivent dans des ménages de tailles différentes.

47 STATISTIQUE CANADA, Tableau 11-10-0193-01, Limite supérieure du revenu, part du revenu et revenu moyen du revenu ajusté du marché, total et après impôt, selon le décile de revenu, 22 mars 2022, www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/cv.action?pid=1110019301. Le revenu médian ajusté correspond à la limite supérieure du cinquième décile.

48 La légère différence de taux obtenue (14,1 % plutôt que 13,9 % selon le calcul de l’ISQ au tableau 14) est liée au fait que ce taux est inféré ici à partir des données arrondies des limites supérieures indiquées par Statistique Canada.

49 En principe, quand la courbe se déplace vers la droite, le revenu augmente tout comme le niveau de vie, si les courbes qu’on compare sont en dollars constants. Plus la courbe s’étend, plus les écarts de revenus augmentent. Plus elle se resserre, plus les écarts diminuent. Ici, le bas de la courbe de 2020 s’est déplacé vers la droite par rapport à celui de 2019 et la courbe s’est resserrée d’autant : les écarts de revenus ont été réduits en améliorant les revenus au bas de l’échelle.

50 COLLECTIF POUR UNE LOI SUR L’ÉLIMINATION DE LA PAUVRETÉ, Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, 2000, pauvrete.qc.ca/IMG/pdf/prop0420.pdf.

51 Alexandre SHIELDS, « L’humanité brûle ses dernières chances de limiter le réchauffement climatique », Le Devoir, 21 mars 2023, www.ledevoir.com/environnement/786019/l-humanite-brule-ses-dernieres-chances-de-limiter-le-rechauffement-climatique.

52 MINISTÈRE DES FINANCES DU QUÉBEC, Budget 2023-2024. Un Québec engagé, 21 mars 2023, www.finances.gouv.qc.ca/Budget_et_mise_a_jour/budget/.

53 Guillaume HÉBERT et Julia POSCA, Budget du Québec 2023 : la CAQ affiche ses couleurs, Billet, IRIS, 21 mars 2023, iris-recherche.qc.ca/blogue/etat-finances-publiques-et-secteur-public/budget-quebec-2023.

54 MINISTÈRE DES FINANCES DU QUÉBEC, op. cit., p. B.6.

55 Geoffroy BOUCHER, Qui bénéficiera des baisses d’impôt promises par le gouvernement du Québec ?, Observatoire québécois des inégalités, 13 mars 2023, www.observatoiredesinegalites.com/fr/blogue/qui-beneficiera-des-baisses-dimpot-promises-par-le-gouvernement-du-quebe.

56 Voir www.budget.finances.gouv.qc.ca/Budget/outils/revenu_fr.asp. Au moment de préparer cette note, il manquait toujours à cet outil de calcul mis à jour le 21 mars 2023 l’apport additionnel du remboursement unique pour l’épicerie (maximum 234 $ pour une personne seule) annoncé dans le budget fédéral du 28 mars 2023. Les montants indiqués ici n’incluent donc pas ce crédit.

57 Il faut ajouter à ces montants le versement unique « remboursement de l’épicerie » de 234 $ ajouté au crédit pour la TPS dans le budget fédéral 2023-2024 du 28 mars 2028. Voir Marc GOSSELIN, « Dix mesures budgétaires qui vous toucheront en 2023-2024 », Radio-Canada, 28 mars 2023, ici.radio-canada.ca/nouvelle/1966914/mesures-budget-federal-dentiste-epicerie-taxe-accise-alcool. Dans ses comparaisons, l’outil de calcul du revenu disponible du ministère des Finances du Québec (version du 21 mars 2023 utilisée dans la présente publication) n’incluait pas ce montant pour 2023.

58 Voir aussi Eve-Lyne COUTURIER, Guillaume HÉBERT et Pierre TIRCHER, Vieillir au Québec. Constats et solutions pour un meilleur système de retraite, IRIS, 2023, iris-recherche.qc.ca/publications/vieillir-au-quebec/. Avec une méthodologie différente, cette publication arrive à des résultats similaires.

59 Tout en souhaitant leur publication régulière, nous soulignons dans ce dernier cas la contribution de l’ISQ, qui nous a donné un accès apprécié cette année aux taux, non régulièrement publiés, de la MFR-60 pour les années 2018 à 2020.

60 Jacques BORDELEAU, au nom de ce Collectif, « Un plan pour réduire durablement la pauvreté et les inégalités sociales », La Presse, 20 mars 2023, www.lapresse.ca/debats/opinions/2023-03-20/un-plan-pour-reduire-durablement-la-pauvrete-et-les-inegalites-sociales.php. Ce collectif fédère 17 fondations philanthropiques québécoises majeures.

61 Catherine COUTURIER, « 4 mythes sur les assistés sociaux », Agence Science-Presse, 13 octobre 2022, www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impacts/ddr-4-mythes-sur-les-assistes-sociaux/.

62 Normand LANDRY et autres, « Représentations médiatiques et opinion publique de l’assistance sociale au Québec », Nouvelles pratiques sociales, vol. 32, no 1, printemps 2021, p. 84-112, www.erudit.org/fr/revues/nps/2021-v32-n1-nps06317/1080871ar/.

63 COLLECTIF POUR UN QUÉBEC SANS PAUVRETÉ, Budget du Québec 2023-2024 – Un aveuglement de mauvais augure pour la lutte contre la pauvreté, 21 mars 2023, www.newswire.ca/fr/news-releases/budget-du-quebec-2023-2024-un-aveuglement-de-mauvais-augure-pour-la-lutte-contre-la-pauvrete-885842077.html.

64 Expression mise au jeu en 1998 par les participant·e·s du CARREFOUR DE SAVOIRS SUR LES FINANCES PUBLIQUES, qui se préparaient à un dialogue « entre cennes noires et milliards » avec des fonctionnaires du ministère des Finances du Québec désignant les premiers dollars, servant à la survie, dans un revenu (« Des concepts économiques pour tenir compte du problème de la pauvreté et de l’exclusion », Carrefour de pastorale en monde ouvrier, 1998, archive.capmo.org/Carrefour_finances_publiques_concepts_economiques.pdf).

Faits saillants

  • En 2023, le revenu viable calculé pour une personne seule varie entre 27 047 $ (Saguenay) et 37 822 $ (Sept-Îles). À Montréal, il est de 32 252 $ pour une personne seule, en hausse de 2 676 $ (9 %) par rapport à 2022, alors qu’il s’élève à 71 161 $ pour 2 adultes avec 2 enfants en CPE, en hausse de 6 129 $ (9,4 %) par rapport à 2022.
  • En 2020, les mesures fédérales temporaires de soutien du revenu des travailleurs et travailleuses en temps de pandémie ont été favorables à une meilleure couverture des besoins de base selon la MPC (4,8 % de la population sous le seuil en 2020 comparativement à 8,9 % en 2019) et à un recentrage de la population vers la classe moyenne (55,1 % de la population en 2020 comparativement à 52,1 % en 2019).
  • À l’inverse, les baisses d’impôt dans le budget du Québec 2023-2024, qui profiteront essentiellement aux ménages à revenus élevés, prennent le relais des aides ponctuelles pour le coût de la vie de 2022, en retirant aux plus pauvres des soutiens encore plus vitaux en 2023 qu’en 2022.