Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Intersectionnalité : pourquoi se priver d’un outil efficace?

8 mars 2023

Lecture

5min

  • Julia Posca

L’intersectionnalité a suscité de nombreuses discussions après que la ministre responsable de la Condition féminine eut rejeté une motion de la députée solidaire Ruba Ghazal visant à encourager le recours par les parlementaires de « l’analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle afin de défendre les droits de toutes les femmes au Québec ». 

Tous ne s’entendent pas, notamment au sein de la classe politique, sur la pertinence de ce concept qui, comme le rappelait l’anthropologue et chroniqueuse Emilie Nicolas dans les pages du Devoir, « est un outil qui permet de mieux nommer et comprendre des inégalités sociales qu’il est difficile d’envisager si on prend [le racisme, le sexisme, etc.] isolément, et donc de mieux agir sur elles. »

L’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle, en mettant en lumière les différences entre certains groupes de la population, doit permettre à un gouvernement de prendre des décisions (en matière de politiques publiques, d’investissement, d’embauche, etc.) en phase avec les objectifs sociaux qu’il s’est donnés, par exemple la réduction des inégalités socioéconomiques.

Un exemple? Le gouvernement a adopté en 2002 la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Il s’est alors doté d’une stratégie afin d’« améliorer les conditions de vie des plus pauvres » et d’« [a]mener progressivement le Québec […] au nombre des nations industrialisées comptant le moins de pauvreté. » 

Bien des mesures peuvent être mises en place pour atteindre ces objectifs, mais comment savoir lesquelles sont les plus propices à corriger la situation? Si l’on sait ce que signifie vivre dans la pauvreté et qui sont les personnes pauvres, on a de meilleures chances de pouvoir corriger la situation.

À cet égard, l’IRIS calcule chaque année pour 7 villes québécoises le seuil du revenu viable, soit le revenu après impôt nécessaire pour atteindre « une réelle inclusion sociale, économique et culturelle ». On considère que ce montant permet une sortie de la pauvreté, car il fournit une marge de manœuvre supplémentaire que ne fournit pas le niveau de couverture des besoins de base (ce qu’on appelle la Mesure du panier de consommation ou MPC). 

Pour les fins de ce billet, nous examinerons les données pour Montréal. Une personne y vivant seule en 2021 avait besoin d’un montant de 21 132$ pour couvrir ses besoins de base, mais il lui fallait un revenu de 28 783$ pour sortir de la pauvreté.

Le plus récent Recensement de la population réalisé par Statistique Canada montre que le revenu d’emploi médian (donc avant impôt) dans la métropole était de 36 400$ en 2020, ce qui signifie qu’une moitié de la population se trouve en dessous de ce seuil, et l’autre moitié, au-dessus. On pourrait donc se réjouir en se disant que beaucoup de gens dépassent le niveau du revenu viable simplement avec leurs revenus d’emploi. En décortiquant ce chiffre, on constate cependant d’importantes disparités de revenus au sein de la population. 

Prenons par exemple le revenu médian de la population non immigrante (il s’élevait à 39 200$ en 2020), et voyons quel niveau il atteint pour 4 catégories de la population, soit les femmes et les hommes n’appartenant pas à une minorité visible (c’est la catégorie qu’emploie Statistique Canada), ainsi que les femmes et les hommes étant identifiés comme minorités visibles. Les résultats apparaissent au graphique suivant.

On voit alors que le revenu des hommes blancs (45 600$) et des femmes blanches (36 000$) est au-dessus du seuil de couverture des besoins de base et du revenu viable, mais que celui des hommes racisés (22 000$) et des femmes racisées (20 800$) est inférieur à ces deux seuils.

Avec ces données en main, on est en mesure de constater non seulement que les revenus des femmes sont généralement moins élevés que ceux des hommes, mais aussi que les personnes racisées sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté. 

On se trouve aussi mieux outillé pour déterminer les meilleures stratégies à déployer pour « améliorer les conditions de vie des plus pauvres ». Bien entendu, on pourrait hausser le salaire minimum pour qu’il permette l’atteinte d’un revenu viable ou encore hausser les prestations d’aide sociale pour qu’elles parviennent à couvrir les besoins de base. 

Mais on pourrait aussi inclure des mesures pour éviter la ségrégation professionnelle, qui cantonne les femmes dans des emplois moins bien rémunérés. À cela pourraient s’ajouter des mesures de lutte contre la discrimination à l’embauche, un phénomène qui explique en partie les revenus inférieurs observés chez les personnes racisées.

Au fond, l’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle permettrait simplement au gouvernement d’améliorer l’efficacité de ses actions, dont celles déployées pour atteindre des objectifs qu’il s’est lui-même donnés – comme celui de rehausser le niveau de richesse de la population québécoise. Pourquoi alors vouloir s’en priver, si ce n’est, oserons-nous dire, pour des raisons idéologiques?

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

2 comments

  1. Ici, on parle d’un outil pouvant montrer que l’ostracisation et la ségrégation vont bon train au Québec. (Avec une seul race d’humains actuellement présente sur la Terre, il est incorrect d’utiliser le mot “racisme”).

    Je propose ici un changement de paradigme qui réglerait la situation.

    Au lieu de parler d’homme, de femme et d’égalité, il faudrait commencer par penser “individu et équité”.

    De plus, il est clair que la discriminations est acceptable uniquement quand elle se fonde sur deux faits:L’âge et la qualification. Aucune autre forme de discrimination n’est envisageable.

    Cette cour suprême qui a créé la discrimination positive est à mettre à la porte. Le judiciaire n’a pas le pouvoir de légiférer!
    … Mais, au Canada, il n’y a pas de séparation entre les quatre pouvoirs sociaux que sont le législatif, le judiciaire, l’exécutif et les médias. Ils sont tous achetés par les monopoles et les giga-corporations!

  2. Je comprends l’utilisation pour analyser une situation. Cependant dans le champs politique, l’intersectionnalité est un courant de pensée pour fragmenter l’unicité d’un tout en occurence d’un NOUS pour l’individualiser.
    Cela ne rend service à personne.

Les commentaires sont désactivés