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Budget du Québec 2023: la CAQ affiche ses couleurs

21 mars 2023

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12min


Eric Girard présentait aujourd’hui son 5e budget à titre de ministre des Finances. En ce début de 2e mandat et en l’absence de pandémie, le conservatisme de la Coalition avenir Québec apparaît plus évident que jamais.

Fiscalité

Comme prévu, le gouvernement choisit d’adopter une mesure qui faisait pourtant pratiquement l’unanimité… contre elle, soit une baisse d’impôt qui coûtera près de 2 G$ au Trésor public. En tenant compte des autres baisses d’impôt entrées en vigueur depuis le dernier mandat libéral en 2018, ce sont 4,1 milliards de dollars par année qui auraient pu aller dans les coffres de l’État. Bien que le gouvernement ne prévoie plus de récession, l’État se prive ainsi de revenus qui auraient pu être utilisés pour soutenir l’économie dans les mois à venir, notamment par l’entremise d’un meilleur financement des services publics.

Par ailleurs, cette mesure profitera davantage aux personnes qui n’en ont pas besoin, comme nous l’avons montré dans une récente étude. Grâce à cette baisse, un ménage dans lequel les deux conjoints gagnent 100 000 $ paieront 0,81 % de moins en impôts alors qu’un ménage où les conjoints gagnent un revenu moyen obtiendra une réduction de 0,66 % (656 $) de l’impôt à payer, comme on peut le voir au tableau ci-bas. Pour un couple où les conjoints gagnent tous les deux 30 000$, la baisse d’impôt sera de 0,43 % (256 $).

Source : Budget 2023, p. B.9

Le gouvernement annonce par ailleurs un nouveau congé fiscal pour les grands projets d’investissement. Ce congé élargira un programme qui existait pour cinq secteurs d’activité et qui s’appliquera désormais à huit secteurs, en plus d’être plus généreux. Les entreprises qui investissent au moins 100M$ pourraient voir le gouvernement défrayer jusqu’à 25 % de leurs coûts sous forme de congé de déduction au Fonds des services de santé et en impôt sur le revenu.

À terme, le gouvernement se privera de 150 M$ par année à travers cette mesure qui se fonde sur l’espoir que des conditions d’investissement favorables aux grandes entreprises entraîneront des retombées intéressantes pour les populations, mais aucune garantie n’existe à cet effet.

Cadre financier

Les revenus du gouvernement québécois pour l’exercice 2023-2024 s’élèveront à 148 G$, tout comme les dépenses (qui incluent 9,5 G$ pour le service de la dette). Toutefois, comme le gouvernement prévoit aussi une « provision pour éventualités » de 1,5 G$ et versera 3 G$ au Fonds des générations, le déficit s’élèvera à 4 G$ (2,7 %).

Ce déficit sera moins élevé que prévu lors du dépôt du budget en mars 2022. Cela signifie que pour sept des neuf derniers budgets, les résultats ont été bien meilleurs que ce qui était anticipé.

Notons par ailleurs que quelques mois après une mise à jour économique où le gouvernement proposait la mise en place d’un bouclier anti-inflation, le gouvernement a largement mis de côté le thème de la hausse des prix.

Même si le gouvernement reconnaît d’entrée de jeu que la dette du Québec est 5 points de pourcentage inférieur à l’objectif établi au moment de l’instauration du Fonds des générations, il ambitionne maintenant de rejoindre la moyenne canadienne et d’atteindre une dette nette équivalent à 30 % du PIB d’ici 15 ans.

Plutôt que de se comparer à l’Ontario comme il le fait dans moult enjeux, le gouvernement se compare à la moyenne canadienne pour établir une nouvelle cible de réduction de la dette. En effet, la dette nette du Québec au 31 mars 2022 (38,1 %) était désormais inférieure à celle de l’Ontario (39,8 %), mais cela ne dissuade pas le gouvernement de poursuivre sur la voie du masochisme fiscal.

Et alors qu’on aurait pu croire que la suspension des versements au Fonds des générations, qui servent cette année à financer les baisses d’impôt, allait perdurer, ces versements continueront d’augmenter à partir de 2024-2025, signe que la CAQ n’est pas prête de se débarrasser de la camisole de force qui limite depuis les années libérales la marge de manœuvre financière du gouvernement.

Santé et éducation

Comme à l’habitude, l’IRIS présente les dépenses annoncées par le gouvernement sur une base annuelle plutôt qu’en cumul de cinq ans comme le fait le gouvernement, cette dernière méthode ayant pour effet de gonfler considérablement les chiffres annoncés.

Le gouvernement réitère que sa priorité est l’éducation et annonce des dépenses de 2,3 G$ sur cinq ans, pour une moyenne de 460 M$ par année.

Il annonce ainsi 160 M$ par année pour soutenir la réussite des élèves, dont environ 100 M$ par année pour « rehausser le niveau de littératie et de numératie des jeunes », dans un contexte où la pandémie a eu un impact négatif sur les élèves.

En ce qui a trait à l’amélioration de la performance du réseau scolaire (environ 45 M$ par année), des mesures sont prévues pour améliorer l’accès aux données et la transformation numérique, ainsi qu’accroître l’efficience du réseau et du ministère de l’Éducation.

Le gouvernement prévoit aussi des dépenses de 40 M$ par année pour accélérer l’entretien du parc immobilier scolaire.

Enfin, une partie des dépenses en éducation (environ 55 M$ par année) est destinée à rendre la formation professionnelle plus attrayante et contrer la pénurie de main-d’œuvre.

En ce qui a trait à l’éducation supérieure, le ministre annonce des dépenses à terme de 145 M$ par année qui serviront principalement à soutenir financièrement les étudiant·e·s (75 M$) et à améliorer la diplomation (50 M$).

En santé, les dépenses augmenteront de 1,1 G$ par année. De cette somme, près de la moitié ira à « adapter le secteur de la santé aux réalités postpandémie », ce qui implique notamment la pérennisation de « la nouvelle approche pour le dépistage et la vaccination ». 400 M$ iront aux soins de longue durée (soins à domicile, hébergement, personnes proches aidantes) et 110 M$ au soutien aux personnes vulnérables.

Dans les prochaines années, plus de 100 M$ iront aussi à soutenir les résidences privées pour aîné·e·s (RPA). L’IRIS a largement critiqué ce modèle de prestation des soins, en raison des coûts des services dans ces établissements, de la qualité des services qu’on y offre, ainsi que de la précarité financière dans laquelle ces entreprises sont susceptibles de sombrer avec des conséquences lamentables pour les personnes âgées qui y vivent.

Le gouvernement continue en outre de rattraper très lentement son important retard en services à domicile. Le nombre d’heures de soins offerts atteindra 30 millions en 2023, en hausse de 10 millions depuis 2019. Le gouvernement prévoit aussi accroître cette offre à 44 millions en 2028. Le problème est que, malgré cette augmentation, l’IRIS évaluait les besoins au Québec à 125 millions d’heures de soins avant la pandémie. Cette insuffisance contribue à l’engorgement du reste du système de santé.

Notons que hormis les 60 M$ non récurrents prévus sur deux ans pour la création de l’agence Santé Québec, le budget ne nous apprend rien d’autre sur la réforme Dubé qui s’amorcera sous peu en santé et services sociaux.

Environnement

Le GIEC soulignait dans son plus récent rapport combien la lenteur des changements en matière environnementale menaçait notre capacité à contenir le réchauffement planétaire à l’intérieur d’une limite viable. Pourtant, la CAQ semble ignorer ces avertissements. Le gouvernement se rassure en comparant les émissions québécoises (8,6 tonnes équivalent CO2 par habitant) à la moyenne de l’OCDE (10,5t eq. CO2/habitant). Or, malgré ce résultat, le Québec rate actuellement les cibles qu’il s’est données pour 2030.

Si la CAQ nous a habitués à des mesures peu ambitieuses en matière de protection de l’environnement et de lutte contre les changements climatiques, elle se surpasse nettement dans ce budget en ajoutant un maigre 122,4M$ en 2023-2024. Le Plan pour une économie verte sera pourvu de 1,4G$ additionnels sur 5 ans, pour un total de 9G$ pour 2023-2028, mais les détails de cette annonce seront connus plus tard.

Pour l’instant, le gouvernement met en place le Fonds bleu, dans lequel sont injectés 50M$ cette année provenant des redevances exigibles pour l’utilisation de l’eau. Ces sommes permettront de financer des mesures de gestion de l’eau. Considérant les ratés de l’ancien Fonds vert, maintes fois critiqué étant donné la difficulté à évaluer l’effet des projets qu’il finançait, cette stratégie apparaît risquée.

Le gouvernement met aussi sur pied le Plan nature 2030, assorti d’une enveloppe de 63,1M$ en 2023-2024, et dont l’objectif est de protéger la biodiversité. Il met de l’avant l’objectif de protéger 30% du territoire d’ici 2030, mais se mêlent ici la création d’aires protégées et l’adoption de « nouvelles approches de conservation », ce qui laisse planer le doute sur les portions de territoire qui seront réellement exemptes de tout développement. Surtout lorsqu’on considère la volonté du gouvernement de soutenir l’industrie forestière, avec des sommes de 40M$ en 2023-2024 qui sont accordées à ce secteur, de même que l’industrie minière à travers le soutien au développement de la filière des minéraux critiques à hauteur de 5M$ cette année.

Dans les mesures pour « Soutenir les Québécois », le budget prévoit en outre 244M$ en 2023-2024 pour améliorer les services et les infrastructures en transport en commun, dont 200M$ pour assurer la relance du transport collectif, gravement affecté par la pandémie de COVID-19.

Si des investissements massifs sont nécessaires pour rendre le transport en commun attrayant, des mesures d’écofiscalité auraient permis de décourager l’achat de véhicules polluants tels que les VUS, dont la popularité ne se dément pas depuis plusieurs années. Rappelons que dans une étude parue en septembre dernier, l’IRIS estimait que la mise en place de nouvelles mesures d’écofiscalité telle qu’une hausse de la taxe sur les véhicules dits de luxe permettrait d’ajouter 1G$ par an dans les coffres de l’État québécois.

Main-d’œuvre et retraite

Le gouvernement modifie le Régime de rentes du Québec afin « d’encourager le maintien en emploi des travailleurs de 65 ans et plus » et « d’aider les travailleurs à améliorer leur sécurité financière à la retraite ». La cotisation au RRQ devient facultative pour les travailleuses et les travailleurs âgés de 65 ans et plus, tandis que l’âge maximal pour demander une rente de retraite passe de 70 à 72 ans.

Tout est donc fait pour inciter les personnes âgées à demeurer en emploi ou à retourner sur le marché du travail. Pourtant, l’âge moyen de départ à la retraite et le taux d’activité de la population âgée de 65 ans et plus sont déjà en hausse depuis au moins vingt ans. Et rappelons que plusieurs personnes âgées travaillent par nécessité, et non par choix. Plutôt que d’utiliser le RRQ comme outil de retour au travail, il faudrait plutôt s’assurer d’améliorer les revenus des personnes âgées, peu importe qu’elles travaillent ou non.

94,4M$ en 2023-2024 serviront aussi à appuyer l’intégration des personnes immigrantes, dont 42,7M$ pour la francisation et 23,6M$ pour la reconnaissance des compétences. Si ces mesures sont nécessaires, elles masquent le fait que ce sont les immigrant·e·s temporaires, dont le nombre a considérablement augmenté dans les dernières années, qui sont actuellement privés des moyens de s’intégrer pleinement à la société québécoise.

Services de garde

Parmi les mesures de 36,2M$ pour aider les familles, 18,5M$ sont consacrés en 2023-2024 pour la conversion de 5000 places de garderies non subventionnées d’ici 5 ans, tandis que 12,5M$ serviront à développer le réseau québécois des centres de pédiatrie sociale en communauté.

La conversion des garderies non subventionnées est certainement une mesure intéressante pour les parents dont les enfants fréquentent ces services de garde, car ils dépenseront des sommes moins grandes pour y accéder. Toutefois, elle ne fait rien pour les parents, surtout les mères, qui ne peuvent retourner sur le marché du travail faute d’avoir une place en garderie. Rappelons que plus de 20 000 places en milieu familial ont disparu depuis 2016. Investir massivement dans de nouvelles places en centres de la petite enfance : voilà une mesure qui non seulement permettrait à des travailleuses d’occuper des postes actuellement vacants dans les entreprises et institutions québécoises, mais contribuerait à l’égalité entre les hommes et les femmes en assurant la participation de ces dernières au marché du travail.

Logement

Alors que sa prédécesseur a admis du bout des lèvres (et après avoir refusé longtemps de le faire) qu’une crise du logement sévissait au Québec, l’actuelle ministre de l’Habitation a dit vouloir miser sur le secteur privé pour venir à bout du problème.

Dans les faits, le budget prévoit 173,4M$ pour « favoriser l’abordabilité du logement » en 2023-2024. De cette somme, 119,5M$ servent à accroître et entretenir le parc de logements sociaux et abordables. 105M$ sont dédiés à la rénovation du parc de logements à loyers modiques, mais seulement 9,5M$ iront à la construction de 1500 nouveaux logements abordables. De cette somme, 3,2M$ seront utilisés pour construire des logements abordables en collaboration avec le secteur privé. Cette approche est hautement problématique, puisque c’est précisément la contradiction entre le besoin de se loger et la volonté d’acteurs dans le marché de tirer profit des biens immobiliers et locatifs qui explique en bonne partie la situation actuelle.

De plus, le glissement du logement social vers le logement abordable se poursuit, or ce dernier ne peut être confondu avec une offre accessible aux ménages à faible revenu. Par ailleurs, rien n’est prévu pour le logement étudiant, ce qui représente une autre opportunité ratée de réduire la demande sur le marché locatif, alors que le taux d’inoccupation s’élève actuellement à 1,7% au Québec.

53,9M$ sont enfin prévus pour soutenir les individus face à la hausse des coûts du logement, ce qui prend majoritairement la forme d’une bonification de la composante logement du crédit d’impôt pour la solidarité (42,6M$). À titre d’exemple, avec cette bonification, une personne seule recevra une somme supplémentaire de 39$ cette année (et de 78$ en tenant compte de l’indexation déjà prévue du crédit d’impôt). Bref, des sommes fort maigres pour se loger dans un contexte où le loyer moyen atteignait 973$/mois en octobre 2022 selon la SCHL, qui sous-estime cela dit le prix des loyers.

En somme, on comprend à travers les quelques mesures présentées ici et contenues dans le budget 2023 du Québec que le gouvernement n’est toujours pas disposé à encadrer l’économie québécoise afin de répondre aux multiples crises qui affectent les ménages québécois.

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3 comments

  1. Il y a presque absence de financement pour de nouveaux logements sociaux nécessaire face à la croissance des prix et la diminution du pouvoir d’achat.
    Aucune réponse valide en ce qui concerne la pandémie et les mouroirs qu’étaient les CHSLD privés, pas de nationalisation.
    Pour contrer l’inflation, c’est près de 2 800$ qui est perdu par revenu pour l’année 2022, que se soit sur l’aide social, le salaire minimum et tout autre revenu, aucune mesure pour conserver le pouvoir d’achat de masse dans l’économie interne.

  2. Sortir des accords de Bâle est la solution.
    Il suffit que nos gouvernements puissent emprunter sans intérêt à la banque du Canada, notre banque centrale.
    Nous aurions ainsi plus de 13,000,000,000$ de plus au Québec pour donner des biens et services aux citoyens.

    Qu’a t-on fait de la constitution qui dit que les provinces, et le fédéral, ne peuvent emprunter que sur leur propre valeur? Cela signifie, entre autre, que toute taxe collectée ne peut servir qu’à donner des biens et services aux citoyens canadiens.

  3. Comme tous le savent, nos ministres qui occupent les fonctions relatives à l’économie et aux finances incluant le premiers ministre sont des personnes qui sont indépendante de fortune. Comme nous pouvons le constater, le budget reflète cette réalité puisque que nos politiciens millionnaires sont complètement décollectés de réalité et des préoccupations de plusieurs millions de québécois qui sont dans en situation de précarité. En matière d’environnement et d’urgence climatique ceux-ci ont des préoccupations qui sont de l’ordre du nihilisme ou presque. Dommage pour la collectivité et les générations futures.

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