Yves Bolduc, le rapport Demers et la marchandisation de l’éducation

Depuis le mois d’août, les nouvelles à propos de la réforme prochaine du système d’éducation et les annonces de compressions budgétaires se multiplient presqu’au même rythme que les déclarations consternantes du ministre Yves Bolduc. On se rappellera son fameux « Il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça », le ça en question étant les coupures dans l’achat de livres pour les bibliothèques scolaires. On ignore encore le contenu définitif de ce projet de réforme allant du primaire à l’université, mais ce qu’on en sait par les médias tire dans tous les sens : abolition des commissions scolaires, révision du financement des cégeps et des universités, anglais intensif en 6e année pour tous, nouvelles technologies dans les classes, évaluations des enseignant.e.s, révision des programmes au cégep, et j’en passe.

Ce qui ressort toutefois assez clairement de ce lot disparate d’idées, ainsi que des propos d’Yves Bolduc, c’est un certain mépris de la culture allant de paire avec une vision marchande de l’éducation. Son accueil favorable du Rapport final du chantier sur l’offre de formation collégiale rendu public le 20 octobre dernier, et son intention de mettre en œuvre rapidement un certain nombre de ses recommandations, en attestent. Aux voix du ministre et de Guy Demers (auteur du rapport), s’ajoute celle de d’autres acteurs du milieu collégial (directions de cégeps ou président de la Fédération des cégeps) pour défendre la nécessité d’un arrimage encore plus grand entre la formation collégiale et le marché du travail.

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L’internationalisation de l’éducation, ou l’envers d’un buzzword à la mode

Il se tient cette semaine un colloque autour de « l’internationalisation » de l’enseignement, un « buzzword » à la mode et a priori sympathique. On présente toujours ce phénomène comme relevant d’une dynamique d’ouverture à l’international dont on constaterait l’apparition spontanée, sans qu’on ne sache trop pourquoi, dans d’autres pays, et à laquelle il conviendrait de s’adapter pour ne pas être en retard sur les autres. L’internationalisation permettrait aux systèmes d’enseignement de se libérer de leur ancrage national pour s’ouvrir à « L’Autre », bref, aux autres cultures. Sympathique!

Or, dans les faits l’internationalisation participe plutôt d’un projet politique, poussé notamment par les grandes institutions économiques internationales, et visant à transformer les pratiques d’enseignement pour créer un « nouvel espace mondial de l’enseignement supérieur » [1], le tout pour des motivations économiques. Les entreprises sont déjà devenues transnationales ou multinationales, le capitalisme est de plus en plus globalisé. C’est maintenant au tour des individus de devenir mobiles et aux institutions d’enseignement d’internationaliser leurs pratiques, c’est-à-dire de participer à l’enseignement transfrontalier à visée commerciale.

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Les spécialistes de l’éducation ne sont pas ceux et celles que vous croyez

Certain.e.s prétendent avoir les compétences requises pour donner des conseils judicieux en ce qui concerne le système d'éducation québécois et propagent une idée invalide comme si elle était fiable et rigoureuse.

C'est le cas de bien des économistes et politicien.ne.s qui croient pouvoir juger et décider des règles de fonctionnement dans le domaine de l'éducation alors que leur maîtrise des problèmes et des solutions qui lui sont rattachés ne se limite qu'à l'éloge de la financiarisation de l'économie. Motivé.e.s par leur volonté de diriger, voire de contrôler leur public, ces faux spécialistes compensent leur manque de connaissances par une image inflexible, autoritaire et implacable et usent de propos décontextualisés, fragmentés et souvent déconnectés de la réalité.School course in a high school. Students following a lesson.  Cours dans une classe de secondaire d'un établissement scolaire. Elèves suivant une leçon.

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L’anglais intensif au primaire: la mise en garde du Conseil supérieur de l’éducation

Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) vient de présenter au ministre de l’éducation, Yves Bolduc, son avis fort intéressant concernant l’enseignement de l’anglais comme langue seconde au niveau primaire. L’avis ne pouvait pas mieux tomber, considérant l’intention du gouvernement de repenser l’approche pédagogique en place pour imposer de manière globale l’enseignement de l’anglais intensif pour les élèves de 6ème année.

Tout d'abord, malgré ses mises en garde, le CSE ne se dresse pas contre l'utilisation de l'anglais intensif mais qu'il pose toutefois quelques bémols quant à son implantation. Il est en effet plus que pertinent, dans un contexte de changement de méthode d’apprentissage, de réfléchir profondément aux impacts d’un tel changement et surtout au potentiel de succès (et d’échec) de cette manœuvre.

Les frais de scolarité ont un effet sur la fréquentation universitaire

Ça n’étonnera pas beaucoup les lecteurs et lectrices assidu.e.s des travaux de l’IRIS, car voilà des années que nous le répétons : augmenter les frais de scolarité a un impact sur la fréquentation universitaire. L’étude du Centre interuniversitaire sur la science et la technologie (CIRST) qui l’affirme cette semaine est cependant d’une ampleur bien différente de celles qui ont été menées jusqu’à présent. Il vaut la peine de se pencher sur ses résultats avec un peu d’attention.

Soyons créatifs : détruisons l’université

Dans son premier numéro de juillet, la revue The Economist proposait, en première page, la photo d’un mortier de diplômé transformé en bombe sur le point d’exploser sous le titre : « Creative destruction : reinventing the university ». Reprenant la célèbre expression de Joseph Schumpeter, on nous annonçait cette fois que la vénérable institution subirait une véritable révolution à cause de ses coûts croissants, d’une transformation du monde du travail et d’une rupture technologique importante.

Le plus étonnant dans la série d’articles est le fait qu’ils aient été écrits si récemment. En effet, The Economist reprend essentiellement le même discours sur l’université qu’on entend de la part de l’OCDE et d’une série d’agences internationales depuis bientôt 20 ans. Depuis le milieu des années 1990, tant des intellectuels comme Michael Gibbons et Helga Nowotny que des gouvernements comme celui du Québec ou celui de la Grande-Bretagne n’ont eu cesse de nous dire que le marché de l’emploi avait changé et qu’il fallait que l’université participe à un nouveau mode de production du savoir. À cela se sont ensuite greffés les impacts d’Internet sur l’enseignement, les vagues successives de compression des coûts dans les missions d’enseignement et les investissements pour favoriser la recherche commercialisable. Bref, la « révolution » qu’attend The Economist est déjà en cours depuis longtemps.

Royaume-Uni : échec du programme d’aide financière aux étudiant.e.s

Dans la série « L’IRIS vous l’avait bien dit »…

Ces dernières années, les défenseurs des hausses de frais de scolarité ont souvent cherché à rassurer l’opinion publique en utilisant l’argument des prêts et bourses. Certes, étudier deviendrait beaucoup plus cher, mais les impacts négatifs sur les moins nantis seraient, prétendaient-ils, neutralisés par un bon système d’aide financière. C’est souvent le Royaume-Uni, avec son système de remboursement proportionnel au revenu (RPR), qui était brandi comme modèle à suivre. Or voici, nous apprend le Figaro que ce système est au bord «de l’effondrement ».

Quand le Québec s’inspire du RPR britannique

En 2008, comme nous le soulevions ici l’économiste Claude Montmarquette, consulté par le gouvernement, défendait le RPR comme mesure permettant «d’accroître les montants de prêts ou l’endettement des étudiants. En d’autres termes, si une contribution financière supérieure est demandée aux étudiants, le RPR est le système qui facilite cette décision ». En 2009, Yves-Thomas Dorval, président, Conseil du patronat du Québec, proposait une « différenciation des droits de scolarité selon les niveaux d'étude et les secteurs disciplinaires, afin de mieux refléter les différences dans les coûts de formation et dans les rendements ultérieurs». Par exemple, le coût de la formation d’un médecin devrait être haussé pour refléter non seulement ce que ça coûte de former le médecin, mais aussi ce qu’il obtient comme «rendement» sous la forme de son salaire futur.

Les résultats du PISA : L’Asie et la Finlande, que faut-il comprendre?

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Les résultats du PISA 2012 ont été dévoilés la semaine dernière par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le Program for International Student Assessment (PISA), ce test qui évalue les aptitudes académiques de jeunes de 15 ans en sciences, mathématiques et lecture dans 65 économies et pays, révèle une réalité bien différente que celle mise de l’avant par les PISA des années précédentes. En effet, si les résultats de 2000 et 2006 dévoilaient un partage des meilleurs scores entre pays européens et asiatiques (ainsi que le Canada), les résultats de 2012 exposent une ascension fulgurante des pays et économies asiatiques qui s’emparent des sept premières places, sans équivoque. La Finlande et le Canada ne sont pas loin derrière (12 et 13ème positions respectivement), tout deux ayant été des pays dominants en 2000 et 2006.

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Le gouvernement fédéral est-il responsable du mal-financement des universités?

On se souvient tous et toutes du printemps érable de 2012. Comment ne pas s’en rappeler? De la grève étudiante aux manifestations en passant par les concerts de casseroles, ce printemps a laissé sa trace. À l'arrière-plan de ces événements souvent spectaculaires, un débat de chiffres n’a pas cessé de se tenir. La hausse des droits de scolarité étant le plus souvent justifiée par les besoins financiers des universités, plusieurs, dont l’IRIS, ont fortement critiqué cette manière simpliste de voir les choses.

Pour le dire sommairement, les universités québécoises ne souffrent pas d’un « sous-financement », mais bien d’un « mal-financement ». Une part de plus en plus importante de leur budget va aux projets immobiliers, à la recherche commercialisable et à l’appareil administratif. Bref, le problème n’est pas tant un manque de fonds, mais bien que le financement de l’enseignement, qui est pourtant ce qui doit être au cœur d’une université,  se voit systématiquement marginalisé. Résultat des courses, plus on met de l’argent dans une machine universitaire devenue dysfonctionnelle, plus on aggrave le problème.

La “qualité”, Cheval de Troie de la marchandisation

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Dès l'automne 2014, de nouvelles procédures pilotes "d'assurance-qualité" seront mis en place dans des CÉGEP témoins: (André-Grasset, Sainte-Foy et Shawinigan). La soumission des CÉGEP à ces mécanismes d'évaluation externes, déjà entamée à l'époque de la Réforme Robillard (1993) se parachève. Les CÉGEP sont ainsi amenés à emboîter le pas aux universités et à mettre en place des mécanismes d'évaluation importés du secteur privé. En clair, l'assurance-qualité participe d’un processus de mise en marché du secteur de l’éducation.

Mesurer la rentabilité du savoir

Des mesures d'audit seront mises en place pour évaluer non plus le plan stratégique des collèges, mais leurs procédures d'évaluation et leur capacité à atteindre "leurs objectifs" en matière de "qualité" de l'éducation. Le Larousse définit "l'audit" comme suit: "Procédure consistant à s'assurer du caractère complet, sincère et régulier des comptes d'une entreprise, à s'en porter garant auprès des divers partenaires intéressés de la firme et, plus généralement, à porter un jugement sur la qualité et la rigueur de sa gestion."

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Le Conseil des universités : Réforme managériale et soumission des universités à la concurrence internationale

Ces derniers mois, les annonces gouvernementales quant à l’enseignement supérieur se sont multipliées : lancement de la Politique nationale de la recherche et de l’innovation, dépôt du Rapport sur la loi-cadre des universités, dépôt du Rapport sur le Conseil national des universités, etc. Principalement issus des consultations menées durant le Sommet sur l’enseignement supérieur, ces dossiers doivent garder toute notre vigilance en raison de leur importance quant à l’orientation future de nos universités.

Dans des notes de recherche publiées aujourd'hui, l’IRIS arrête son regard sur le Rapport issu du chantier sur le Conseil national des universités (CNU) déposé par Claude Corbo en juin dernier et dont le mandat était d’élaborer une proposition de structure et de mandat du futur CNU. Dans la mesure où une annonce du ministre de l’enseignement supérieur est prévue cet automne à propos des suites à donner au Rapport ainsi que de l’encadrement législatif proposé, il est important d’y faire retour et d’en proposer une analyse complète.

La vraie valeur de l’éducation : bientôt une réponse?

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Les nombreux débats des dernières années au Québec concernant l’éducation font ressortir un constat flagrant : on ne s’entend pas sur ce qu’est la valeur de l’éducation. La Loi sur l’instruction publique précise que l’école a pour mission d’instruire, de socialiser et de qualifier les élèves. Mais encore? Comment mesure-t-on réellement les effets de l’éducation au sein d’une société? Pour y répondre, il faut comprendre la portée de chacun des aspects de la mission de l’école.

L’impasse de l’argumentation

L’aspect de la qualification a depuis toujours l’avantage d’être quantifiable et clair, ce qui en fait un instrument constamment utilisé pour mesurer l’efficacité d’un système d’éducation. En effet, on emploie régulièrement les variables de « taux d’emploi » et de « salaire moyen » pour évaluer l’apport de l’éducation sur les plans individuel et collectif. Le caractère « qualifiable » de l’éducation est également apprécié pour sa capacité de comparaison entre les différents systèmes, cette valeur étant présente et mesurable partout. Mais la facilité avec laquelle on mesure la capacité du système d’éducation à qualifier les étudiant.e.s signifie-t-elle que cette mesure soit la plus appropriée pour examiner l’efficacité du système d’éducation? La qualification des étudiant.e.s reflète-t-elle l’efficacité des autres aspects de la mission de l’école, soit socialiser et instruire? Bien sûr que non. Mais comment évalue-t-on les bienfaits de la socialisation et de l’instruction au sein de la société?