La croissance des voitures de luxe au Québec
17 janvier 2024
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Depuis les années 1970, la proportion de voitures par habitant a triplé au Québec. Et depuis 1990, le poids médian du parc automobile de promenade a augmenté de 30%, à la faveur de la popularité croissante des camionnettes et des VUS. À ces deux mutations du parc automobile québécois – la quantité et la taille des véhicules – s’en ajoute une troisième: un processus de « luxification » du parc automobile.
Un taux de croissance supérieur à la moyenne
Les graphiques suivants montrent l’évolution du nombre de voitures au Québec selon les quelque 20 marques les plus prestigieuses, répertoriées à partir de différents guides automobiles. Ensemble, ces modèles ont cru en moyenne de 7,4% par année au cours des 22 dernières années, soit un taux de croissance près de cinq fois supérieur au taux moyen de l’ensemble des véhicules sur cette période (1,5%). En 2000, les voitures appartenant à une marque de luxe représentaient 2,0% du parc automobile, une proportion qui a grimpé à 7,1% en 2022.
Cette hausse est en bonne partie attribuable à la popularisation des voitures de luxe d’entrée de gamme, soit les véhicules produits par les fabricants Audi, BMW, Mercedes et Lexus, dont le nombre sur les routes du Québec a bondi de plus de 250 000 en 20 ans, ce qui représente 14% des 1,8 million de voitures supplémentaires depuis l’an 2000. Or, même en excluant ces quatre modèles et en isolant les marques de luxe dites exclusives et plus dispendieuses – McLaren, Ferrari, Porsche, etc. – le taux de croissance des véhicules de luxe observable sur 20 ans demeure 2 fois supérieur au taux d’augmentation moyen des véhicules usuels.
Électrifier les voitures de luxe, les taxer davantage ou en finir avec elles?
Quel est l’avenir de la voiture de luxe? À regarder les statistiques des 20 dernières années, le futur est prometteur pour cette industrie et son électrification massive, la production de batteries parvenant à obtenir la faveur des gouvernements par de généreuses subventions publiques. Le renouvellement électrique des voitures de luxe est pourtant synonyme d’enfer écologique puisque leur production requiert énormément de ressources naturelles. Il faut jusqu'à trois fois plus de matières premières pour produire une voiture électrique qu’une voiture à essence, a fortiori pour les voitures de luxe et leurs composantes additionnelles.
Au sein d’une société viable sur le plan écologique, la conception et la fabrication des voitures seraient planifiées selon de stricts critères d’atteinte minimale à l’environnement. À terme, les voitures devront circuler en bien moins grand nombre sur les routes et être conçues selon des finalités de durabilité écologiques plutôt que de profitabilité économique.
Ce scénario de baisse marquée du nombre de voitures et de hausse conséquente de l’offre de transport en commun semble malheureusement improbable au sein d’une société administrée par un gouvernement qui ne comble que partiellement les déficits des sociétés de transport en commun. Pour renverser cette tendance, une fiscalité écologique et sociale plus agressive prévoirait une contribution annuelle additionnelle au transport en commun pour les propriétaires de voitures haut de gamme, qu’on peut estimer à 62 000 au Québec[1]. À titre indicatif, une taxe de 5000 $ à l’immatriculation générerait des recettes de plus de 310 millions de dollars par année, ce qui représente près de 80% du montant que réclamaient en 2023 les maires de la Communauté métropolitaine de Montréal pour éponger les déficits des sociétés de transport en commun. Pour ce faire, le gouvernement pourrait bonifier les droits d’immatriculation additionnels pour les véhicules de luxe, qui sont fondés sur la valeur des véhicules.
La légitimité sociale et écologique de la voiture de luxe en perte de vitesse?
La voiture, en plus de constituer un mode de déplacement, est un important marqueur de classe sociale. Entre la collection de 30 Ferraris de l’entrepreneur Luc Poirier et l’usager de transport en commun qui peine à défrayer les coûts des billets, il existe un large spectre de positionnement de classe produit par l’industrie de la mobilité et son offre de jets privés, de voitures, de bicyclettes, de souliers, etc.
La maison habitée, les vêtements portés, les voyages entrepris, la nourriture et les boissons consommées, la voiture conduite… Tous expriment des marqueurs de classe socioéconomique et un degré de prestige, de sorte que la consommation de biens et de services répond à la fois à des besoins vitaux et à des besoins sociaux et identitaires. On appelle « économie de positionnement » cette tendance des entreprises à stratifier leur production en permettant à leur clientèle de se positionner et de s’élever dans l’échelle sociale. L’exclusivité de certains éléments de consommation garantit ainsi à la minorité acquérante une distinction réservée à l’élite, tandis que la plus grande accessibilité d’autres produits renvoie une image ordinaire de ses détenteurs et détentrices.
Or, dans un contexte de crise, les conséquences écologiques de l’économie de prestige et de l’émulation associée au luxe sont de plus en plus dénoncées. Bien qu’ils soient encore admirés par certains, les moteurs de McLaren, Maserati et autres, plus polluants que la moyenne étant donné leur puissance, inspirent désormais à d’autres le dégoût.
La transition écologique et l’insuffisance de son discours politique actuel
La réussite de la transition écologique dépendra de la capacité des sociétés à tenir un discours politique sur l’économie de positionnement et ses objets quotidiens banalisés. À terme, certaines industries et leurs grandes entreprises multinationales devront être fortement réglementées, voire éliminées. À ce jour, elles parviennent néanmoins à résister à toute intrusion politique substantielle dans leur modèle d’affaires. La production de Porsche ou de Hummer électriques, tout comme la surenchère de modèles de téléphones intelligents et leur promotion publicitaire devraient ainsi être tout simplement interdites. Un des obstacles demeure à cet égard une élite au pouvoir acquise à l’idéologie politique et économique dominante, et souvent issue des classes sociales les plus à même de bénéficier de l’économie capitaliste et de ses privilèges érigés en droits, tels que celui de posséder une voiture de luxe tandis que la crise écologique s’aggrave.
[1] Alfa Romeo, Aston Martin, Bentley, Bugatti, Cadillac, Ferrari, Genesis, Jaguar, Lamborghini, Land Rover, Lotus, Maserati, McLaren, Porsche, Rolls-Royce.
3 comments
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Excellent article M. Pratte. Complet et accessible.
Merci beaucoup.
En France, chacun des citoyens a au moins 600 esclaves à son service: Tout ce que la technologie a à offrir pour faciliter la vie.
Au Canada, c’est probablement au dessus de 800.
L’affaire des véhicules de luxe montre à quel point tout le monde est devenu égocentrique.
Il nous faut arrêter cette cette “Première Extermination de Masse” dont nous sommes responsables.
La seule solution, c’est de réduire notre train de vie pour sauver l’humanité et ce qui reste de la nature.
Mais de le réduire dans un rapport de 4:1 ou même 8:1, ça ressemble plutôt à un cauchemar.
Il faut se débarrasser de l’oligarchie ploutocratique qui est en train de détruire le monde.
Il faut mettre fin au capitalisme monopolistique qui concentre la richese.
Il faut détruire à tout jamais le pouvoir des banques privés de créer et d’utiliser l’argent-dette.
Excellente publication qui n’a pas peur de nommer entre autres l’économie de positionnement et de prôner des solutions énergiques et réalistes. Une chance qu’il y a l’Iris pour publier de telles informations dans l’espace public!!! Continuez!!!