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L’empreinte matérielle de la couverture des besoins de base au Québec

18 mai 2023


Le consensus scientifique entourant la gravité de la crise écologique oblige nos sociétés à revoir leur rapport à la nature, qui est marqué par une dilapidation systématique des ressources et une pollution à large échelle. On comprend de plus en plus que le siège de cette destruction se trouve dans les gestes quotidiens les plus banals des sociétés riches de la planète : se nourrir, se déplacer, se loger, se vêtir et se divertir. Les systèmes de production qui rendent possibles ces activités n’ont pas été planifiés dans une perspective d’atteinte minimale à l’environnement. Dans cette note, nous développons une approche exploratoire et montrons que la simple couverture des besoins de base au Québec et au Canada n’est pas viable sur le plan écologique puisqu’elle dépasse du double les seuils écologiques viables proposés dans la littérature scientifique.

Au tournant des années 1950, la production et la consommation de masse ainsi que la standardisation et l’intensification des chaînes de production ont reposé sur une croissance importante de l’extraction et de la transformation de ressources naturelles. Aujourd’hui, la dépendance envers ces processus d’extraction est à l’origine de graves problèmes de pollution, puisque tout ce qui est extrait est nécessairement rejeté d’une façon ou d’une autre dans l’environnement. Que ce soit l’atmosphère et les gaz à effet de serre qui s’y accumulent ou les océans et les polluants divers qui s’y déversent, neuf limites planétaires ont été identifiées et soulèvent des débats sur la transition écologique et énergétique des systèmes socioéconomiques mondiaux.

Le graphique 1 montre la trajectoire d’augmentation exponentielle de l’extraction des ressources naturelles à l’échelle mondiale.

Les données les plus à jour montrent qu’en 2019, les sociétés humaines ont extrait 96,19 milliards de tonnes de matière, ce qui dépasse de près du double le seuil maximal annuel de 50 milliards de tonnes établi par des scientifiques, notamment dans une étude commandée par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel1. Ce contexte de non-durabilité a stimulé une production d’outils méthodologiques visant à mesurer l’impact écologique de diverses pratiques sociales à travers la notion « d’empreinte », divisée en quatre grandes catégories : l’empreinte carbone, l’empreinte matérielle, l’empreinte eau et l’empreinte terre. L’empreinte carbone, la plus connue des quatre, mesure la totalité du gaz carbonique émis lors de la production et de l’usage des biens et services. Or, l’utilité de cet indicateur se limite principalement à l’enjeu de la crise climatique, renvoyant à la limite planétaire de l’atmosphère. En effet, en tant qu’indicateur écologique, l’empreinte carbone demeure muette face aux autres dimensions de la crise socioécologique globale. La perte de biodiversité, l’altération des sols (pollution, érosion, déforestation, etc.), la perturbation des cycles de l’eau douce ainsi que ceux du phosphore et de l’azote sont notamment éludés par les indicateurs proprement climatiques2.

Cette note de recherche met de l’avant l’indicateur de l’empreinte matérielle, dont l’objectif est de quantifier en tonnes métriques la somme de matière impliquée dans la production et la consommation d’un bien ou d’un service donné. L’empreinte matérielle exclut les GES de son périmètre et se concentre à comptabiliser tant la matière inutilisée résultant des processus extractifs (les remblais miniers) ou des processus de transformation (les déchets industriels), que la matière utilisée pour la réalisation des biens et services. En tenant compte de l’ensemble de ces quantités de matière, l’empreinte matérielle permet ainsi de décrire le poids réel de la consommation.

La planification d’une transition écologique réussie doit mobiliser un ensemble d’indicateurs, sans quoi les solutions à la transition peuvent comporter des angles morts. Par exemple, l’électrification des voitures comme mesure de transition pourrait diminuer l’empreinte carbone d’une société, mais augmenter son empreinte matérielle, principalement en raison de la croissance de l’extraction minière requise pour obtenir les nombreux métaux composant les véhicules électriques. En effet, l’empreinte matérielle d’une voiture électrique est environ trois fois plus grande que celle d’un véhicule à combustion interne3.

Les conséquences écologiques de l’empreinte matérielle renvoient à des limites planétaires tout aussi importantes que la question des gaz à effet de serre et de l’empreinte carbone. Ainsi, des études portant sur l’empreinte matérielle estiment que la quantité annuelle de ressources par habitant·e ne devrait pas dépasser 8 tonnes métriques pour être considérée comme viable sur le plan écologique4. Ces calculs distinguent la matière biotique (composée de matières vivantes et destinées principalement à l’alimentation) de la matière abiotique (ressources minérales et fossiles). Les ressources biotiques renvoient aux limites reliées à l’usage des terres, tandis que les ressources abiotiques renvoient à la rareté des minéraux de la Terre et aux effets de leur extraction et de leur gestion ultime. Ces deux catégories de ressources ont leur seuil respectif : 2 tonnes par habitant·e par année pour les ressources biotiques et environ 6 tonnes par habitant·e par année pour les ressources abiotiques, pour un total de 8 tonnes par habitant·e par année.

En 2022, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat présentait pour la première fois de son histoire une approche de la transition basée sur une diminution mondiale de la demande économique, réalisée par une transformation des pratiques de production et de consommation. Afin de vérifier où se situent le Canada et le Québec dans cette trajectoire de transition, cette note de recherche a pour objectif de mesurer l’empreinte matérielle de la Mesure du panier de consommation (MPC) du Canada en estimant la quantité de tonnes métriques de matières premières extraites pour la production des biens et services du panier. La MPC est un indicateur de Statistique Canada, produit depuis 2002, dont l’objectif est de surveiller la pauvreté au pays à partir du critère de la couverture des besoins de base5. Pour ce faire, Statistique Canada procède à un calcul du coût des biens et services dont l’accès est considéré permettre la couverture des besoins de base des Canadiennes et Canadiens selon la province et la région habitée.

L’estimation de l’empreinte matérielle totale qu’implique la consommation des biens et services prévus à la MPC permet de vérifier si elle se situe en deçà du seuil maximal de durabilité de 8 tonnes métriques par habitant·e par année mentionné plus haut. Cette comptabilisation matérielle du panier de la MPC est un premier exercice exploratoire dont l’objectif est de soulever des débats écologiques cruciaux, malgré un certain degré d’incertitude quant à la précision des calculs. La mobilisation de l’indicateur de l’empreinte matérielle plutôt que celui plus courant de l’empreinte carbone est une approche méthodologique répandue en Europe, qui a le mérite d’élargir la compréhension de la crise écologique au-delà de la question du réchauffement climatique. L’empreinte matérielle est notamment un indicateur de pression sur les écosystèmes terrestres et la biodiversité ou de perturbation des cycles hydriques.

Cette note de recherche est divisée en quatre sections. La méthodologie détaille les indicateurs de la MPC et de l’empreinte matérielle, à la suite de quoi nous dressons les résultats obtenus et offrons une interprétation. La conclusion formule des recommandations générales pour diminuer l’empreinte matérielle de la société québécoise.

3. Méthodologie

Dans cette section, nous présentons les deux indicateurs mobilisés pour mesurer l’empreinte matérielle de la couverture des besoins de base au Québec, soit la Mesure du panier de consommation et l’apport de matière par unité de service (Material Input Per Unit of Service, MIPS). La méthodologie observée dans cette note consiste à relever chacun des biens et services contenus dans la MPC pour en estimer l’empreinte matérielle à partir des données du MIPS, développé par un centre de recherche basé en Allemagne.

Les cinq catégories de la MPC

La MPC détermine le coût total du panier de consommation qui représente selon Statistique Canada le seuil de pauvreté d’un ménage composé de deux adultes et de deux enfants. Or, les biens et services contenus dans le panier de la MPC constituent un minimum vital et ne permettent pas une sortie de la pauvreté. À cet égard, l’IRIS produit chaque année l’indice du revenu viable, qui évalue le revenu minimal requis pour permettre à un ménage de sortir d’une situation de pauvreté6.

Le calcul de la MPC se base sur cinq catégories de dépenses de consommation des ménages : l’alimentation, l’habillement, le logement, le transport et les autres dépenses. La MPC est calculée annuellement pour 50 régions situées dans les 10 provinces du Canada7. Le panier type de la MPC s’applique à un ménage de deux adultes et de deux enfants. Pour ramener les résultats obtenus à l’unité de l’individu, nous divisons par quatre l’empreinte matérielle consolidée de la MPC. Cette division ajoute un degré d’imprécision, mais permet toutefois de refléter le fait que les deux tiers des Québécoises et Québécois habitent dans un ménage composé de plus d’une personne8.

Pour les dépenses alimentaires, la MPC suppose que la liste d’épicerie annuelle d’un ménage suit les recommandations du Guide alimentaire canadien. Le prix des aliments consommés est calculé à partir des circulaires d’épiceries. La somme colligée annuellement permet de déterminer le prix du panier d’épicerie.

Les dépenses liées à l’habillement dépendent d’une liste basée sur « un panier de vêtements et de chaussures correspondant au niveau de vie acceptable de 2012 du Conseil de planification sociale de Winnipeg et de Winnipeg Harvest9 ». Cette liste indique le nombre d’articles que chaque membre du ménage se procure par année. Une enquête des prix moyens par article est ensuite effectuée par Statistique Canada pour déterminer le coût annuel de cette liste. La liste calculée par la MPC inclut des vêtements différenciés selon les membres du ménage : deux adultes (un homme et une femme) et deux enfants. Les vêtements pour enfants ne sont pas différenciés selon le genre.

Les coûts liés au logement sont tirés de la moyenne, par région canadienne, du loyer des logements de trois chambres occupées par des personnes se situant dans le deuxième décile de revenus. Les coûts de logement incluent les dépenses liées à l’électricité, au chauffage, à l’eau et aux électroménagers10.

Le transport comprend l’achat de 1200 litres d’essence consommés par une voiture âgée de 8 ans dont la consommation énergétique est de 8 litres/100 km. Lorsqu’il existe un accès à un réseau de transport en commun, soit dans les localités de plus de 30 000 personnes, cette composante prévoit l’achat de deux titres de transport mensuels pour adultes et d’un titre mensuel pour enfant, en plus de 12 courses par année en taxi. Le tableau 1 montre les taux d’utilisation de la voiture et du transport en commun retenus selon la localité habitée.

La catégorie des autres dépenses permet d’inclure l’ensemble des dépenses supplémentaires pour assurer le reste des besoins d’un ménage. Contrairement aux autres catégories, le coût de ces dépenses n’est pas directement basé sur le prix des produits achetés. La MPC suppose que le coût des « autres dépenses » équivaut à environ 75 % des dépenses en alimentation et en habillement, et procède à l’aide d’un outil multiplicateur. Ce multiplicateur est calculé annuellement par l’Enquête sur les dépenses des ménages, qui modélise la consommation des ménages canadiens à partir de questionnaires remplis par des ménages sélectionnés11.

3.2 Le MIPS de l’Institut Wuppertal

L’Institut Wuppertal est un centre de recherche universitaire allemand, fondé en 1991, qui s’inscrit dans le courant de « l’économie biophysique ». Cette approche propose une manière alternative de décrire les économies des sociétés, rendue nécessaire par la crise écologique. Alors que l’économie conventionnelle s’intéresse généralement aux valeurs pécuniaires des biens et services en circulation dans le monde, l’approche biophysique cherche plutôt à décrire les flux de matière et d’énergie qui alimentent l’économie mondiale12. Un tel changement de perspective permet d’expliciter les nombreux effets écologiques liés à la production des biens et services. En effet, la production d’une marchandise complexe comme un véhicule utilitaire sport (VUS) demande une quantité considérable d’énergies fossiles et de minéraux que leur quantification pécuniaire ne permet pas de décrire. Par exemple, l’empreinte matérielle relative à la production d’un VUS standard (incluant les métaux et minéraux nécessaires) est de 16 tonnes par véhicule13, soit près de 10 fois le poids physique du véhicule.

Les matériaux qui composent le VUS mobilisent une quantité considérable de ressources tout au long de la chaîne de production. L’analyse économique conventionnelle demeure muette à l’égard des quantités de ressources extraites et de leurs dommages environnementaux. La production des métaux, par exemple, dépend de mines dont les étapes d’isolation et de purification des minerais génèrent une quantité considérable de déchets, qui sont souvent rejetés dans l’environnement naturel immédiat des sites miniers. Les procédés de purification exigent des produits chimiques toxiques et une importante quantité d’eau douce. Les eaux contaminées peuvent être responsables de pollutions majeures de sols et de nappes phréatiques14. L’approche biophysique de l’économie permet de recentrer l’analyse sur les dimensions écologiques des procédés d’extraction et de production.

Il existe de nombreuses approches permettant de décrire la réalité biophysique de l’économie. Depuis le début des travaux modernes en économie biophysique dans les années 196015, la comptabilisation des flux de matière et d’énergie s’est constamment développée. Aujourd’hui, des bases de données spécialisées permettent de représenter la circulation annuelle de la matière et de l’énergie à travers le monde. Certaines approches convertissent plutôt les données pécuniaires de l’économie conventionnelle en données biophysiques. Ces méthodes ont en commun une approche de haut en bas (top down) qui offre une vision globale des flux de matière et d’énergie des sociétés du monde.

Contrastant avec ces approches, l’analyse de cycle de vie (Life cycle analysis en anglais, LCA) part du bas vers le haut, l’unité basique de l’analyse n’étant pas une société entière, mais plutôt un bien ou un service dont on analyse la chaîne de production complète. Les LCA permettent de produire des analyses ayant un plus haut niveau de détails que les approches par le haut. Le désavantage de la LCA est son faible potentiel de généralisation. Par exemple, une analyse du cycle de vie des bananes produites en Malaisie informe peu sur la production des bananes au Costa Rica et encore moins sur celle des avocats au Mexique.

Pour produire une analyse matérielle de la MPC, il est préférable de privilégier des données ayant un haut degré de précision, telles que les LCA. Puisque les différentes catégories de la MPC sont composées d’articles précis, les données de type LCA permettent en effet de décrire leur empreinte matérielle respective et d’en faire la sommation.

L’approche MIPS, développée par l’Institut Wuppertal, fournit une telle méthode. Le MIPS calcule le poids total de la matière extraite pour les biens et les services, de leur production à leur usage final au sein des ménages. Pour chaque produit analysé, la méthode MIPS détaille l’ensemble des processus industriels requis pour produire une unité, comptabilisant l’énergie, les matériaux et les sous-produits impliqués à chaque étape. Cette comptabilisation matérielle est divisée en cinq catégories de ressources : les matières biotiques et abiotiques, l’érosion, l’eau et l’air.

Les ressources biotiques comprennent la biomasse d’origine animale et végétale. Les secteurs utilisant la plus grande proportion de biomasse sont l’agriculture, l’industrie textile, la foresterie et le secteur de la construction. À l’inverse, la matière abiotique comprend toute ressource d’origine minérale et fossile : les calcaires, la roche, les métaux et les hydrocarbures. L’érosion renvoie à un calcul d’épuisement des sols, causé par l’agriculture. La somme de ces trois catégories forme l’indicateur TMR (Total Material Requirement) qui permet de quantifier la masse totale de matières premières requises pour la production d’un bien de consommation ou d’un service. Le terme « empreinte matérielle » réfère à cette masse totale. L’eau et l’air nécessaires aux procédés de production sont exclus de cet indicateur, puisque leur impact environnemental est trop imprécis.

En 2008, une étude commandée par le ministère de l’Environnement de la Finlande a procédé à la quantification de l’empreinte matérielle des pratiques de consommation de 27 ménages finlandais. Cette étude a permis de faire l’inventaire de l’existence biophysique des ménages étudiés à partir des données de l’Institut Wuppertal et de l’approche MIPS. L’enquête a révélé que l’empreinte matérielle des 27 ménages variait entre 13 et 118 tonnes par personne16.

Cette note de recherche mobilise les données du MIPS pour estimer l’empreinte matérielle de la MPC au Québec, que nos calculs estiment à 16 à 19 tonnes par personne par année, ce qui représente une consommation deux fois supérieure à la limite écologique établie.

3.3 Limites des estimations

L’empreinte matérielle de la MPC que nous estimons dans cette note doit être interprétée à titre de recherche exploratoire dont le degré d’incertitude s’explique par la datation et la localisation géographique des données utilisées. Une première limite importante de cette estimation repose en effet sur la datation des données utilisées. La méthode MIPS a été développée dans les années 1990, et la majorité des données mobilisées pour cette recherche datent de 2006 à 2008. Notons que, malgré leur âge, ces bases de données sont encore utilisées, notamment par l’Agence européenne pour l’environnement dans ses études portant sur l’empreinte matérielle des États européens17. Au Québec et au Canada, nous faisons l’hypothèse qu’une mise à jour des bases de données n’aurait pas pour résultat une diminution de l’empreinte matérielle puisque, comme le montre le graphique 2, l’empreinte matérielle attribuable aux biens et services consommés au Canada a crû en moyenne de 1 % par année depuis 2006, soit un taux égal à la croissance démographique18.

La seconde limite, de type géographique, repose sur le fait que certaines des données sur l’empreinte matérielle des biens et services ont été développées à partir d’enquêtes sur des ménages allemands et finlandais. Par exemple, la plupart des données du secteur de l’alimentation reposent sur des scénarios de production agricole en Finlande.

Malgré ces deux facteurs d’imprécision, nous estimons que les incertitudes ne sont pas assez grandes pour infirmer la conclusion de cette note de recherche voulant que l’empreinte matérielle de la couverture des besoins de bases au Québec dépasse le seuil de 8 tonnes par habitant·e par année. Nous formulons dans la conclusion de cette note des recommandations à l’égard de la production de données et d’analyse de flux de matière propres à l’Amérique du Nord.

4. Résultats

Afin de calculer l’empreinte matérielle de la MPC pour six régions du Québec, les composantes des cinq catégories de consommation ont été associées aux données de l’Institut Wuppertal sur l’empreinte matérielle de différents biens et services. La sommation des poids métriques obtenus permet de déterminer l’empreinte matérielle de chaque secteur. Nous présentons dans cette section les résultats intrasectoriels, à la suite de quoi nous dressons un portrait intersectoriel.

4.1 Alimentation

Le calcul du coût des besoins alimentaires compris dans la MPC se fonde sur le Guide alimentaire canadien, et non sur une enquête ayant évalué les pratiques de consommation réelle des individus dont le revenu disponible avoisine celui de la MPC. L’exclusion des achats de mets transformés de toutes sortes modifie à la baisse l’estimation de l’empreinte matérielle de l’alimentation. La liste des aliments non transformés consommés comprend 61 produits différents. Les facteurs d’empreinte matérielle de 21 fruits et légumes n’étant pas disponibles, nous avons appliqué pour ces aliments la moyenne des fruits et légumes dont l’empreinte matérielle était connue.

La MPC prévoit 5 % de dépenses alimentaires supplémentaires pour représenter les achats de produits divers tels que des épices. En raison de l’imprécision de ces achats supplémentaires, ces dépenses ont été exclues.

Le graphique 3 présente un portrait annuel du poids physique total des aliments, organisé selon les catégories nutritionnelles du Guide alimentaire canadien, ainsi que leur empreinte matérielle, soit la somme des matières premières biotiques et abiotiques extraites, en plus de l’érosion occasionnée lors de la production agricole.

Alors que le poids physique de la couverture des besoins de base en alimentation pour un·e Québécois·e au sein d’un ménage de 4 personnes est de 0,742 tonne, l’empreinte matérielle de cette consommation est d’environ 4,36 tonnes.

4.2 Habillement

L’habillement est la composante la moins dispendieuse de la MPC. Pour 2022, Statistique Canada estimait en effet le seuil de la composante à 2193 $19, représentant environ 5 % de la valeur du seuil total de la MPC du Québec. Pour déterminer ce qui compose les achats vestimentaires, la MPC utilise une liste d’articles vestimentaires comportant l’ensemble des vêtements, chaussures et accessoires nécessaires annuellement pour vêtir un homme, une femme et deux enfants. Un calendrier d’achat est également inclus pour tenir compte des articles dont le renouvellement n’est pas annuel, comme les chaussures d’adulte. La liste des vêtements pour hommes et pour femmes comporte quelques variations genrées, permettant par exemple de tenir compte de l’achat de sous-vêtements spécifiques. Pour leur part, les articles pour enfant, bien que genrés dans la liste, sont identiques.

Un poids métrique a été attribué à chaque article au moyen de listes de poids fournies par des entreprises de livraison internationale20. Au graphique 4, on peut remarquer que les vêtements des enfants constituent plus de la moitié de la masse totale des vêtements achetés annuellement.

Le catalogage des biens des ménages finlandais a produit une liste similaire des divers articles vestimentaires appartenant à chaque membre de la famille, détaillant l’empreinte matérielle de chaque vêtement. Pour déterminer l’empreinte matérielle des articles de la MPC, nous avons procédé par calculs de correspondance. Par exemple, l’empreinte matérielle des chemises d’un homme finlandais est supposée être semblable à celle des chemises d’un homme québécois. Dans les cas où un produit listé par la MPC n’apparaissait pas dans les listes finlandaises, nous procédions alors à une estimation à partir d’un produit apparenté.

Comme les facteurs d’empreinte matérielle ne font pas de distinction de genre et d’âge, nous avons supposé que les données finlandaises représentaient des vêtements pour hommes. Par la suite, à partir de la différence de poids entre les vêtements pour hommes, femmes et enfants, nous avons établi un ratio permettant de multiplier les valeurs d’empreinte matérielle. Cela nous permet de représenter l’empreinte matérielle totale de la composante de l’habillement (graphique 5).

Bien que le poids des vêtements consommés annuellement par une personne se situe sous les 20 kilos, on note que l’empreinte matérielle de ces articles dépasse une demi-tonne, ou 0,59 tonne, soit un écart substantiel.

4.3 Logement

Le logement retenu dans le calcul de la MPC pour une famille de quatre personnes est doté de trois chambres fermées, un salon, une cuisine et une salle de bain. La superficie intérieure retenue pour le calcul de son empreinte matérielle est de 100 m2, soit 25 m2 par personne. La taille de 100 m2 correspond à une superficie courante d’un logement de type 5 ½. Nous supposons que ce logement n’a pas de terrasse, de cour arrière, de cabanon ou d’allée pour voiture.

Le calcul de l’empreinte matérielle du logement est réparti sur 100 ans pour la fondation et 50 ans pour le restant des matériaux de l’immeuble21. Le chauffage et l’éclairage proviennent de sources électriques et totalisent 15 000 kWh pour une année22. Le tableau 2 présente l’empreinte matérielle des trois composantes reliées au logement et leur sommation par personne.

4.4 Transport

Le secteur du transport varie grandement selon l’endroit où vivent les ménages puisque la possibilité de se déplacer en transport en commun n’est pas également répartie sur le territoire du Québec. L’empreinte matérielle du kilomètre parcouru en voiture est en effet six fois plus importante que celle d’un kilomètre parcouru en autobus. La MPC considère que la famille modèle n’ayant pas accès à un réseau de transport en commun parcourt un total de 15 000 kilomètres en voiture par année. Le tableau 1, plus haut, présente le mode de transport selon la localité où habite le ménage.

Le tableau 3 montre l’empreinte matérielle du transport. La distance parcourue en transport en commun par parent et par enfant est tirée d’une évaluation de la distance médiane entre le lieu de travail, l’établissement scolaire et le domicile à Montréal et à Québec.

Avec une différence allant jusqu’à 35 % entre un milieu urbain et une région rurale, on observe que l’accès à un réseau de transport en commun diminue fortement l’empreinte matérielle. Sur le plan financier, l’accès au transport en commun présente également des avantages : en effet, les calculs annuels du revenu viable montrent que cet accès peut représenter des économies de plus de 6000 $ pour un ménage composé de 4 personnes23. L’accès au transport en commun génère en ce sens un « dividende double24 », puisqu’il contribue à protéger le pouvoir d’achat des ménages, en plus de diminuer l’empreinte matérielle non durable des sociétés fortement dépendantes du transport par voiture.

En somme, l’empreinte matérielle annuelle de la composante transport varie de 4,64 à 7,57 tonnes par personne selon la localité habitée.

4.5 Autres dépenses

La composante des « autres dépenses » représente la composante la plus diversifiée de la MPC. En effet, en plus d’inclure un ensemble d’articles difficilement comparables entre eux, comme les articles d’entretien ménager, les meubles et les services de télécommunication, elle inclut également les activités de divertissement et l’obtention de soins de santé. De plus, comme son coût et les quantités achetées sont estimés à partir des secteurs de l’alimentation et de l’habillement (voir section 3.1), il est particulièrement difficile d’offrir une analyse satisfaisante de l’empreinte matérielle de la catégorie « autres dépenses ».

Cela dit, l’Enquête sur les dépenses des ménages (EDM), à partir de laquelle est calculé le multiplicateur des autres dépenses, offre chaque année un aperçu de la répartition possible des dépenses selon 42 catégories de biens et de services. L’enquête des ménages finlandais comptabilisait pour sa part une liste semblable de produits et d’activités, permettant d’établir une correspondance entre plusieurs des catégories de dépenses de l’EDM et les données d’empreinte matérielle disponibles. Il faut toutefois noter, suivant les indications de Statistique Canada, que la répartition des dépenses par catégories, estimées à partir de l’EDM, n’est fournie qu’à titre illustratif. Seules les dépenses totales élaborées à partir des dépenses moyennes sont considérées comme exactes, « car les valeurs annualisées sous-estimées et surestimées se compensent l’une l’autre au niveau agrégé25 ». Par contraste, la répartition des dépenses annuelles des ménages dans diverses catégories est une estimation d’un faible degré de fiabilité résultant d’une modélisation statistique développée à partir de l’EDM. Comme les calculs de l’EDM cherchent à modéliser des tendances générales, cette méthode s’avère mal adaptée pour fournir des renseignements relatifs aux ménages individuels. En effet, la grande variation dans les types de ménages (le nombre de membres et les pratiques liées à leur âge, leur genre et leur statut socioéconomique) implique une variabilité similaire dans les types de dépenses observées. Bien qu’illustratifs, nos résultats présentent l’image la plus ressemblante du portrait des « autres dépenses » possible à partir des données publiques disponibles.

En nous basant sur l’année de référence 2016, soit la plus récente publication de l’EDM, et sur les calculs des autres dépenses élaborés par Statistique Canada26, nous avons ainsi produit une estimation de l’empreinte matérielle d’un ménage. La catégorie des autres dépenses est ainsi élaborée à partir de 42 sous-catégories. Pour 2016, les estimations pour 12 catégories de dépenses se situaient sous les 20 $ ; pour simplifier nos calculs, nous avons donc exclu ces catégories. Sept autres catégories n’avaient pour leur part aucun équivalent MIPS disponible, rendant leur calcul impossible dans le contexte actuel. Ces catégories incluent certains types de services comme les services bancaires, la photographie professionnelle et les camps pour enfants, mais aussi l’achat de médicaments et l’obtention de soins personnels. Ces catégories ont également dû être exclues. Considérant cela, les présentes données constituent une estimation conservatrice de l’empreinte matérielle des autres dépenses.

Les 23 catégories restantes ont ensuite été traitées afin de représenter leur empreinte matérielle. D’abord, la majorité des catégories de dépenses renvoyait à des achats d’articles ayant une longue durée de vie, comme les meubles et les appareils électroménagers. Dans ce contexte, nos estimations ont tenu compte de la durée de vie moyenne et du prix moyen de ces appareils. Considérant que la MPC s’intéresse aux dépenses annuelles des ménages, nous avons donc amorti ces achats sur leur durée de vie estimée. Le même raisonnement a ensuite été appliqué à leur empreinte matérielle.

Ensuite, certaines catégories représentaient des achats récurrents comme le papier hygiénique, les détergents et la pellicule plastique. Les données d’empreinte matérielle de ces produits se basent toutefois sur un équivalent au poids, semblable au calcul de l’empreinte matérielle des aliments. Il était donc important d’estimer la masse de chaque produit de la MPC. Cela a été fait en croisant la valeur annuelle estimée par l’EDM des dépenses réservées à ces produits et les statistiques de consommation de ces produits. Nous avons produit, pour chaque article, une estimation du nombre d’articles consommés annuellement pour chaque ménage et nous avons ensuite estimé le poids de chaque produit.

Finalement, nous avons pu convertir les dépenses réservées à l’achat de services de télécommunication (Internet, téléphonie et télévision) et à l’accès à des activités de divertissement (comme le cinéma) à partir de l’empreinte matérielle par heure d’utilisation dans le cas des services de télécommunication ou d’une sortie dans le cas des activités comme le cinéma. Le temps d’utilisation des services de télécommunication a été déduit à partir du nombre d’heures moyen consacré annuellement à ces activités par personne au Québec.

Le graphique 6 présente le poids en tonnes métriques des composantes MIPS des articles de la catégorie « autres dépenses ». On note que l’empreinte matérielle totale de ces divers articles est 16 fois plus lourde que leur poids individuel additionné. Cette dynamique démontre l’invisibilité des flux matériels requis, dont 92 % sont composés de diverses substances fossiles et minérales, soit des matériaux dont l’extraction suppose des perturbations importantes de milieux naturels.

4.6 Emballages et matières enfouies

La consommation des produits présentés dans chacune des sections précédentes occasionne son lot de matières résiduelles. Les facteurs d’empreinte matérielle calculés pour les différents éléments de consommation n’intègrent pas l’empreinte des emballages et de la gestion des matières résiduelles. Nous traitons celle-ci au sein d’une catégorie propre, puisque les données disponibles sur les quantités de matières résiduelles générées par les ménages offrent un niveau de précision supérieur à une approche cherchant à estimer en amont la quantité d’emballages de chacun des produits, dont l’ampleur varie.

Puisque les matières résiduelles ne représentent pas une dépense pour les ménages, la MPC ne considère pas cette dimension de la consommation. Afin d’estimer les matières résiduelles par habitant·e du Québec, nous avons donc mobilisé les données de Recyc-Québec. Le tableau 5 présente la quantité moyenne de matières résiduelles résidentielles par habitant·e générées au Québec en une année.

Dans un souci d’éviter une comptabilisation double de l’empreinte matérielle de certains produits, notre calcul n’inclut que les matières recyclables, qui sont des matières assimilables à des emballages. En effet, on peut considérer que l’empreinte matérielle de la confection des encombrants, des résidus de construction et des produits dangereux, des textiles et du compost a déjà été comptabilisée dans les secteurs de consommation précédents. Nous retenons donc uniquement la catégorie des matières recyclables, qui renferment les matières faites de plastique, de verre, d’aluminium, de carton et de papier.

Le transport vers les lieux d’enfouissement, de compostage ou de recyclage n’est pas pris en compte en raison de l’imprécision des données disponibles. Également, l’empreinte des opérations sur les sites de recyclage et de compostage n’a pas été comptabilisée, faute de données précises. Seule l’empreinte de l’opération d’enfouissement, excluant le transport des déchets enfouis, a pu être estimée. Le tableau 6 présente les résultats consolidés de l’empreinte matérielle des emballages et des matières enfouies. Il peut demeurer toutefois une forme de double comptabilité lorsque des objets de consommation courante faits de matières recyclables sont mis à la récupération. À ce sujet, l'Institut Wuppertal estime le tout mineur et maintient l'approche méthodologique retenue dans la présente recherche.

Bien que le poids additionné des emballages et des matières enfouies soit de 0,33 tonne, leur empreinte matérielle est de 0,92 tonne, soit près du triple. Cette estimation est par ailleurs conservatrice, puisqu’en plus des opérations de recyclage et de compostage, l’empreinte liée à la gestion des eaux usées est exclue du portrait.

4.7 Sommation

Les calculs présentés dans les sections précédentes permettent de mesurer la part invisible des flux de matières occasionnés par la consommation quotidienne. Comme nous le mentionnions plus tôt, diverses études scientifiques estiment que l’usage total de matières biotiques et abiotiques par habitant·e ne devrait pas dépasser 8 tonnes annuellement. Le tableau 7 présente la sommation des six secteurs présentés, qui révèle le caractère non durable du niveau de consommation équivalent à la couverture des besoins de base au Québec. L’empreinte matérielle consolidée oscille entre 16,47 et 19,47 tonnes selon la région habitée, ce qui surpasse du double le seuil écologique avancé.

5. Interprétation des résultats

Nos calculs permettent de montrer qu’au Québec, la couverture minimale des besoins de base n’est pas durable sur le plan écologique. Cette observation démontre l’insuffisance d’une approche écologique strictement quantitative : miser sur une réduction de la quantité de produits consommés demeure incomplet, puisque même un niveau minimal de consommation n’est pas viable écologiquement. Cette impasse appelle une approche basée sur une transformation qualitative en profondeur des systèmes de production et de consommation. Le tableau 8 compare les empreintes matérielles respectives des secteurs de consommation de la couverture des besoins de base au Québec avec les seuils maximaux suggérés par Michael Lettenmeier, de l’Institut Wuppertal. Également, le tableau synthétise quelques solutions particulières à chaque secteur de consommation.

Comment expliquer qu’avec une consommation limitée au seuil socioéconomique minimal nous dépassions du double les seuils écologiques maximaux ? Comment rompre avec cette tension socioécologique, où une amélioration de la couverture des besoins de base au Québec et au Canada signifie paradoxalement une accélération de la crise écologique ? Les réponses à ces interrogations dépassent le spectre de la question de recherche de cette note, mais quelques éléments peuvent tout de même être soulignés.

Certaines causes de l’empreinte
matérielle élevée

Les systèmes de production actuels et leur logique dominante s’opposent à une planification écologique et démocratique de l’économie. Le système économique qui structure la consommation et la production est le fait de décisions privées en vue de l’atteinte d’un profit maximal. L’habillement, l’hégémonie de la voiture, l’alimentation, les articles ménagers divers, la quantité de matières résiduelles par habitant·e ou les enjeux d’écoconception dans le bâtiment constituent des secteurs de consommation qui sont traversés par des logiques d’obsolescence, d’usage unique, de mondialisation des chaînes de production ou d’effets de mode qui alourdissent l’empreinte matérielle de l’économie et expliquent en partie pourquoi la stricte couverture des besoins de base au Québec et au Canada devient non durable écologiquement.

Il n’en demeure pas moins que lutter contre la pauvreté et assurer un revenu viable, donc au-delà de la couverture des besoins de base, demeure un objectif nécessaire et légitime. Or, à la lumière des résultats de notre étude, il appert que cet enjeu doit être pensé conjointement avec celui de l’empreinte matérielle de la norme de consommation en vigueur dans les sociétés capitalistes. Ce qui implique d’ailleurs de réfléchir aux politiques qui permettraient de limiter le niveau de consommation des ménages à plus haut revenu, dont l’empreinte matérielle surpasse les seuils maximaux par des facteurs encore plus grands.

Le tableau 9 compare les coûts et l’empreinte matérielle de la MPC à travers l’indicateur de l’intensité matérielle, soit la quantité (kg) de matière impliquée pour chaque dollar dépensé. L’intensité matérielle du secteur des transports est la plus élevée. Le coût du transport représente environ 10 % de la valeur monétaire de la MPC, alors que son empreinte matérielle compte pour environ 35 % de l’empreinte matérielle totale de la MPC.

Conclusion

Notre analyse a permis d’estimer que les biens et services prévus à la MPC par Statistique Canada ont une empreinte matérielle de 16 à 19 tonnes métriques par personne au Québec, alors que le seuil maximal d’une consommation individuelle durable devrait être de 8 tonnes métriques par année. Autrement dit, le seuil de pauvreté sous l'angle de la couverture des besoins de base au Québec et au Canada a une empreinte matérielle deux fois supérieure aux seuils maximaux de durabilité. Qui plus est, nos estimations brossent un portrait conservateur : l’empreinte matérielle de plusieurs aliments exotiques a seulement été estimée, plusieurs sous-catégories des autres dépenses ont dû être exclues et l’empreinte matérielle liée aux opérations de compostage et de recyclage n’a pas été comptabilisée, faute de données précises. Une évaluation de l’empreinte matérielle des déciles supérieurs de revenus brosserait un portrait écologique encore plus sombre, puisqu’il est établi que le niveau de revenu est corrélé à l’empreinte écologique. Une étude portant sur des ménages allemands a conclu que l’empreinte matérielle du dernier décile de revenu est trois fois plus grande que le premier décile de revenu, principalement en raison des pratiques de mobilité et d’habitation27.

Cette note démontre que les questions sociales de couverture des besoins de base et de réduction de la consommation superflue des plus riches doivent être envisagées à partir d’une approche écologique, sans quoi les politiques publiques visant à permettre à l’ensemble des Québécoises et Québécois de couvrir leurs besoins de base et celles visant à éviter de faire plafonner le niveau de richesses détenues continueront de se faire au détriment des générations futures, des populations des pays du Sud et des écosystèmes28.

La MPC constitue un outil de mesure développé par le gouvernement fédéral et Statistique Canada pour évaluer le taux de couverture des besoins de base de la population canadienne. Dans un contexte de crise écologique, les instances politiques et statistiques devraient développer des outils de mesure supplémentaires basés sur une approche biophysique de l’économie. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a formulé en 2022 des solutions écologiques basées sur une diminution de la demande économique et une transformation importante des manières de produire et de consommer. La réalisation de cette approche, dont les conclusions de cette note confirment la pertinence, a notamment pour condition des mesures statistiques biophysiques avancées de l’économie du Québec et du Canada. En 2013, l’Agence européenne pour l’environnement a produit un rapport exemplaire en la matière, qui dresse un portrait biophysique des sociétés européennes29. Une production statistique de cette ampleur, par des agences publiques, se fait encore attendre en Amérique du Nord, un continent pourtant reconnu comme faisant partie des grands responsables des perturbations écologiques de notre époque. Des informations précises représentent des outils incontournables pour toutes politiques publiques éclairées, et les enjeux de transition socio-
écologique ne font pas exception.


1 Monica DITTRICH et autres, Green economies around the world ? Implications of resource use for development and the environement, Vienne, 2012. Voir également Stefan BRINGEZU, « Possible target corridor for sustainable use of global material resources », Resources, vol. 4, 2015, p. 25-54. Le seuil limite de 50 milliards de tonnes mentionné correspond au niveau d’extraction mondiale de l’année 1992.

2 Pour consulter les neuf limites planétaires établies : « The nine planetary boundaries », Stockholm Resilience Center, www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries/the-nine-planetary-boundaries.html (consulté le 10 avril 2023).

3 Bourak SEN et autres, « Material footprint of electric vehicles : A multiregional life cycle assessment », Journal of cleaner production, vol. 209, n1, 2019, p. 1038.

4 Michael LETTENMEIER et autres, « Eight tons of material footprint : Suggestion for a resource cap for household consumption in Finland », Resources, vol. 3, 2014, p. 495 et ss.

5 Philippe HURTEAU, Le revenu viable : indicateur de sortie de pauvreté en 2018, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), 2018, p. 3, iris-recherche.qc.ca/publications/le-revenu-viable-indicateur-de-sortie-de-la-pauvrete-en-2018/.

6 Vivian LABRIE et Minh NGUYEN, Le revenu viable de 2023 dans la spirale de l’inflation et des baisses d’impôt, IRIS, mai 2023, iris-recherche.qc.ca/publications/revenu-viable-2023/

7 Samir DJIDEL et autres, Rapport du deuxième examen approfondi de la mesure fondée sur un panier de consommation, Statistique Canada, 2020, p. 4, www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75f0002m/75f0002m2020002-fra.htm. Un calcul de la MPC pour le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest est actuellement envisagé par Statistique Canada.

8 La taille moyenne des ménages privés du Québec était de 2,3 personnes en 2016. « Ménages privés selon la taille, Canada et provinces, 2016 », Institut de la statistique du Québec, statistique.quebec.ca/fr/document/menages-au-quebec/tableau/menages-prives-selon-la-taille-canada-et-provinces-2016 (consulté le 10 avril 2023).

9 « Mesure du panier de consommation (MPC) », Statistique Canada, www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/ref/dict/az/Definition-fra.cfm ?ID=pop165 (consulté le 20 mars 2023).

10 Ibid.

11 DJIDEL et autres, op. cit., p. 21.

12 Nicolas VIENS, Mesurer la transition écologique. Une approche
écocentrique comme option de rechange au PIB
, IRIS, 2022, iris-
recherche.qc.ca/publications/indicateurs-transition-
ecologique/
.

13 SEN et autres, op. cit.

14 Le barrage de résidus miniers de la mine de cuivre et d’or du Mount Polley, en Colombie-Britannique, a cédé en août 2014 et a déversé 10 000 piscines olympiques de boue toxique dans le bassin versant du fleuve Fraser, où frayent annuellement 30 millions de saumons sockeye. Voir : Lev BRATISHENKO et Mirko ZARDINI, Le temps presse : une contre-histoire environnementale du Canada moderne, Centre canadien d’architecture, 2016, p. 327.

15 Voir par exemple les travaux de Robert Ayres, Allen V. Kneese ou Nicholas Georgescu-Roegen, considérés comme des pionniers du champ de l’économie biophysique.

16 Elli KOTAKORPI et autres, Household MIPS : Natural resource consumption of Finnish households and its reduction, Ministère de l’Environnement de la Finlande, 2008, p. 90, helda.helsinki.fi/bitstream/handle/10138/38369/FE_43en_2008.pdf .

17 AGENCE EUROPÉENNE POUR L’ENVIRONNEMENT, Environmental pressures from European consumption and production, Office des publications de l’Union européenne, 2013.

18 Il est également à noter que les calculs de l’empreinte matérielle présentée au graphique 2 excluent les matières inutilisées comme les déchets miniers et les brûlis agricoles.

19 STATISTIQUE CANADA, Seuils de la Mesure du panier de consommation et tendances provisoires en matière de pauvreté pour 2021 et 2022, 17 janvier 2022, www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75f0002m/75f0002m2022008-fra.htm.

20 « Approximate weight of goods », Shipping storm, shippingstorm.com/en/list-of-weight/ (consulté le 7 avril 2023).

21 KOTAKORPI et autres, op. cit., p. 27.

22 Nous basons cette consommation annuelle sur l’outil d’Hydro-
Québec, où une moyenne de consommation a été estimée à partir de la consommation de cinq logements 5 ½ dans différents quartiers montréalais. « Estimation de la consommation », Hydro-Québec, session.hydroquebec.com/portail/fr/web/clientele/estimation-consommation/ (consulté le 20 mars 2023).

23 LABRIE et NGUYEN, op. cit., p. 11.

24 Kelly CLABORN et Jeremy BROOKS, « Can We Consume Less and Gain More ? Environmental Efficiency of Well-being at the Individual Level », Ecological Economics,
no 156, 2019, p. 110-120.

25 STATISTIQUE CANADA, Statistiques annuelles modélisées
de l’Enquête sur les dépenses des ménages, 2010 à 2017
, 2021,
p. 4, www150.statcan.gc.ca/n1/pub/62f0026m/
62f0026m2020001-fra.htm
.

26 Burton GUSTAJTIS et Andrew HEISZ, Document technique
sur la mesure du panier de consommation : la composante des
autres nécessités
, Statistique Canada, 8 décembre 2022,
www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75f0002m/
75f0002m2022006-fra.htm
.

27 Johannes BUHL et autres, « Measure or Management ?—Resource Use Indicators for Policymakers Based on Microdata by Households », Sustainability, vol. 10, n12, 2018, p. 9.

28 Dans les 50 dernières années, les 46 pays les moins développés du monde ont subi 69 % des décès dus à des catastrophes liées au climat. Ces pays ne représentent pourtant que 14 % de la population mondiale. CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES SUR LE COMMERCE ET LE DÉVELOPPEMENT, La transition vers une économie sobre en carbone et ses conséquences redoutables pour la transformation structurelle, Nations unies, 2022, unctad.org/system/files/official-document/ldc2022_fr.pdf, p. xvii.

29 AGENCE EUROPÉENNE POUR L’ENVIRONNEMENT, op. cit.

Faits saillants

  • La couverture des besoins de base prévue par la Mesure du panier de consommation au Québec a une empreinte matérielle annuelle de 16 à 19 tonnes par habitant·e, alors qu’un seuil maximal suggéré dans la littérature scientifique est plutôt de 8 tonnes par habitant·e.
  • Dans un contexte où même la stricte consommation vitale au Québec n’est pas viable sur le plan écologique, la transition écologique ne peut se limiter à une approche de diminution de la demande et requiert une transformation importante des systèmes de production.
  • La mesure de l’empreinte carbone, associée à la crise climatique, est insuffisante pour rendre compte de l’ensemble des crises écologiques qui menacent le vivant. L’indicateur de l’empreinte matérielle permet de mettre en lumière d’autres crises tout aussi préoccupantes : perte de biodiversité, destruction d’habitats, perturbation des sols et des cycles hydriques, etc.
  • Au Québec et au Canada, les outils statistiques actuels de mesure de l’empreinte écologique de la société sont insuffisants et très peu développés comparativement à ce qui est fait dans l’Union européenne. Pourtant, ces informations sont cruciales pour l’adoption de politiques publiques de transition écologique éclairées.

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