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Entre budget et plan d’action : un déficit invisible à prendre en compte vers une société sans pauvreté

2 mai 2024

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7min

  • VL
    Vivian Labrie

Qu’y a-t-il de si impensable dans le projet de « tendre vers un Québec sans pauvreté » inscrit dans une loi adoptée à l’unanimité en 2002 pour que le gouvernement du Québec y accorde si peu de moyens ? Ces moyens ont toujours été à la portée de décisions publiques responsables. Pourtant depuis 2002, les marges de manœuvre qui se dégagent régulièrement dans le budget de l’État ont systématiquement conduit à augmenter les disparités de niveaux de vie au lieu de les réduire.

La liste des occasions manquées est longue et comprend les milliards de dollars récurrents employés plutôt à augmenter les revenus, déjà haut perchés, de la profession médicale au tournant des années 2010; à baisser les impôts de la moitié de la population qui s’en tire le mieux en 2017, juste avant la troisième édition du plan d’action requis par la loi; et à refaire de même en 2023, avant de procéder à la quatrième édition de ce plan d’action, attendue d’ici l’été. L’IRIS a eu l’occasion à diverses reprises de faire état de ces moteurs à deux temps où des mesures réduisant les revenus de l’État servent de prélude à des resserrements justifiés par… le manque de revenus !

Dans un de ses plus récents bulletins, le 465e depuis ses débuts en 1998, le Collectif pour un Québec sans pauvreté manifeste avec raison et ténacité son inquiétude devant le peu de moyens prévus dans le budget 2024-2025 en prévision de cette quatrième édition du plan d’action. Il demande où est la mesure structurante qui a minimalement accompagné les trois premières éditions (soutien aux enfants en 2004, crédit d’impôt pour solidarité en 2010, programme de revenu de base en 2018), alors que les sommes annoncées dans le budget pour lutter contre la pauvreté sont quatre fois moindres par rapport à celles allouées dans le plan d’action précédent.

Est-il trop tard, entre budget et plan d’action, pour qu’une prise de conscience bénéfique influence les mesures qui seront annoncées dans cette quatrième édition ? Attendons de voir. Il n’est toutefois pas trop tôt pour faire apparaître un déficit invisible dans les diverses définitions des déficits publics qui servent d’arguments aux choix budgétaires : le déficit de couverture des besoins de base dont nous sommes collectivement responsables et dont nous devrions être collectivement solidaires en raison des règles du jeu inégalitaires qui le reproduisent.

Le revenu total après impôt des ménages québécois décomposé depuis les seuils de la MPC

Deux mesures développées par l’IRIS et répliquées en 2022 par Statistique Canada permettent désormais d’apercevoir ce déficit invisible. L’indice panier (voir aussi ici), permet de situer l’ensemble des ménages par rapport à leur coefficient de couverture de besoins de base selon la mesure du panier de consommation (MPC). On constate ainsi que les ménages du décile le plus pauvre disposent chroniquement de moins d’un panier en moyenne, encourant ainsi un déficit de couverture, tandis que le décile le plus riche dispose de plus de quatre paniers et que la moyenne québécoise se situe autour de deux paniers.

On peut aussi décomposer l’ensemble du revenu après impôt dans la société en fonction de la MPC et par décile de revenu après impôt des ménages, une nouveauté qui en dit long.

Les tableaux 1-2 et la figure 1 en présentent, pour le Québec de 2020 et 2021, une compilation inédite effectuée par Statistique Canada à la demande de l’IRIS[i]. Le revenu après impôt total au Québec s’élevait à 279,38 milliards de dollars en 2020 et à 292,67 milliards de dollars en 2021. Pourtant, il manquait 2,56 milliards de dollars en 2020, et 2,66 milliards en 2021, dans les revenus des ménages les plus pauvres pour que l’ensemble de la population couvre ses besoins selon la MPC. Ce montant représentait moins de 1 % du revenu total après impôt (0,92 % en 2020 et 0,91 % en 2021). Ce déficit de couverture, aussi invisible et négligé dans les finances publiques que vital pour les personnes, s’avère pourtant substantiellement moindre que l’accroissement du revenu après impôt du décile le plus riche entre 2020 et 2021, qui a été de 4,15 milliards de dollars. Ce taux d’accroissement de 5,8 %, le plus élevé par décile des ménages pour cette période, ne peut être attribué à la seule croissance de la population ou du coût de la vie dans ce décile. À preuve, la croissance de l’indice panier de ce décile, de 4,44 en 2020 à 4,53 en 2021 (voir ici). Autrement dit, en pleine pandémie, les règles du jeu ont priorisé implicitement l’accroissement du niveau de vie du décile le plus riche des ménages plutôt que la résolution du déficit de couverture des besoins de base des deux déciles les plus pauvres.

 

On peut voir ici que les ordres de grandeur des déficits de couverture en cause sont à la portée de politiques économiques conséquentes, ne serait-ce que pour des raisons de santé publique et environnementale. Un gouvernement qui décide en 2023 de se priver de 1,85 milliard de revenus récurrents pour baisser les impôts de la moitié la plus aisée de sa population aurait pu tout aussi bien décider de bonifier d’autant un crédit d’impôt pour solidarité bénéficiant à la moitié la plus précaire de sa population. Avec de plus grands avantages.

À propos de richesse et de priorités collectives

L’existence de ces nouveaux indicateurs suppose maintenant qu’on s’en serve et qu’on en suive l’évolution régulièrement. Espérons qu’en apparaissant aussi précisément, les disparités de niveaux de vie ainsi constatées, entre le déficit de couverture des besoins de base des un·e·s et la grande aisance des autres, sauront convaincre davantage nos gouvernements qu’il est plus que temps de miser sur un bien-vivre mieux partagé dont nous avons amplement les moyens. Espérons aussi que les prochains budgets sauront le refléter, en rappelant qu’il suffirait d’appliquer un principe d’amélioration prioritaire de l’indice panier du quintile le plus pauvre de la population sur celui du cinquième le plus riche pour en venir à un équilibre plus soutenable dans notre écologie globale, sociale et environnementale, en direction d’une société sans pauvreté et plus riche de tout son monde.


[i] La compilation obtenue de Statistique Canada présente aussi cette décomposition pour les autres provinces. Il nous fera plaisir de partager ces données avec les collègues qui le désireraient.

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