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Le super solde « spécial Québec »

24 février 2024

Lecture

7min

  • Guillaume Hébert

Depuis le début de l’année, on spécule beaucoup sur le déficit du Québec. En décembre dernier, la mise à jour économique du ministère des Finances anticipait un déficit de quatre milliards de dollars pour l’exercice qui se terminera le 31 mars 2024. Depuis, le ministre des Finances a indiqué que la conjoncture économique défavorable creuserait le déficit tandis que le premier ministre a tenté de faire porter la responsabilité de ce déficit plus important que prévu aux ententes conclues avec les syndicats du secteur public. À l’approche du dépôt du budget 2024-2025, comment se situer face à la foire d’empoigne qui s’annonce entourant le solde budgétaire québécois ?

Comme pour la dette du Québec qui peut se définir de plusieurs manières, il faut bien saisir les différentes définitions du « déficit » (ou du surplus) annuel du Québec pour s’y retrouver dans le débat sur les finances publiques.

Dans un budget, il y a la colonne des revenus et celle des dépenses. La différence entre le total des deux colonnes constitue le « solde ». Si les revenus sont plus élevés que les dépenses, on obtient un surplus et si les dépenses sont plus élevées que les revenus, on obtient un déficit. Jusqu’ici, c’est très simple.

Mais le solde peut être différent en fonction de ce qu’on choisit d’inclure dans les deux colonnes, celles des dépenses et celles des revenus. Voyons trois types de soldes : le solde primaire, le solde ordinaire et le solde « spécial Québec ».

Le solde primaire

Le solde primaire – ou solde des opérations – est un concept davantage utilisé en Europe, notamment dans la zone euro ou au sein des organisations internationales. Le solde primaire consiste à simplement comparer les revenus et les dépenses sans prendre en considération le paiement des intérêts de la dette.

Le graphique suivant montre le solde primaire des administrations publiques de pays de l’OCDE pour 2019. Pour l’ensemble des pays de l’OCDE, le solde primaire comptait pour -1,2 % du PIB.

Depuis l’exercice 2004-2005, le solde primaire du Québec n’a jamais été négatif. Au contraire, le surplus primaire s’élève en moyenne à 2,3 %, ce qui placerait a priori le Québec parmi les États avec les plus hauts surplus s’il s’agissait d’un pays de l’OCDE. Bref, si on s’intéresse strictement aux revenus et dépenses d’opérations, le gouvernement québécois ne dépense jamais davantage que ce qu’il récolte en revenu.

Le solde « ordinaire »

Il n’en demeure pas moins que l’idée qu’on se fera de l’état positif ou négatif d’un budget dépend aussi des sommes nécessaires pour payer les intérêts encourus sur une dette. Et c’est donc cette opération supplémentaire qui consiste à soustraire le service de la dette du solde primaire qui nous permet d’obtenir le solde « ordinaire » ou encore ce qu’on nomme « surplus ou déficit lié aux activités » dans la documentation budgétaire du Québec.

Le graphique 2 montre l’évolution du solde « ordinaire » du gouvernement québécois et du gouvernement fédéral entre les exercices 2007-2008 et 2019-2020. On constate que le déficit du gouvernement fédéral s’est creusé dans la foulée de la crise économique de 2007-2008. Après un bref retour à l’équilibre en 2014-2015 résultant des mesures d’austérité mises en œuvre par le gouvernement Harper, le budget est à nouveau devenu déficitaire sous le gouvernement Trudeau. Fait remarquable : en campagne électorale, Justin Trudeau s’était fait élire en affirmant qu’il enregistrerait des déficits si c’était nécessaire pour financer les missions de l’État. Au Québec, le déficit n’a pas été aussi important qu’au gouvernement fédéral à la suite de la crise de 2007-2008, mais l’austérité zélée imposée par le gouvernement Couillard a non seulement rééquilibré le budget, il a permis à l’État québécois de dégager des surplus records jusqu’à la pandémie de COVID-19 en 2020.

Le solde « spécial Québec »

On peut définir un troisième solde budgétaire, soit celui qu’on nomme au Québec le « solde budgétaire au sens de la Loi ». Pour le calculer, il faut soustraire un autre montant – les versements au Fonds des générations – au solde « ordinaire ». C’est un particularisme québécois, un « spécial Québec », gracieuseté du climat quasi hystérique qui règne dans la Belle Province au sujet de l’endettement public. Nulle part ailleurs, à notre connaissance, on évalue l’état de santé d’un budget après l’avoir excessivement noirci comme on le fait au Québec depuis l’adoption en 2006 de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations. En effet, en vertu de cette loi, on considère que les versements au Fonds des générations – pourtant un actif financier – constitueraient une dépense qui vient creuser notre déficit. C’est tordu, mais c’est ce qu’on fait au Québec depuis l’adoption de cette Loi. C’est ce qui explique que l’on entend fréquemment les journalistes plus rigoureux mentionner le surplus ou déficit budgétaire « avant et après versement au Fonds des générations ».

Pour sa part, l’IRIS présente toujours les données budgétaires avant les versements au Fonds des générations. Et ça fait une réelle différence dans l’appréciation de ces chiffres. Le graphique 3 présente les trois types de soldes budgétaires que nous avons définis dans ce texte. Notons que les projections pour 2023-2024 sont celles de la dernière mise à jour économique du gouvernement québécois et, par conséquent, n’incluent pas les ententes salariales à la suite des négociations du secteur public.

Non seulement on note que le solde primaire est toujours excédentaire, on constate aussi que le retour à l’équilibre budgétaire serait plus facile si la référence était le solde « ordinaire ».

Est-ce une lubie, ce solde « ordinaire » ? Pas du tout. Ça devrait être le véritable solde budgétaire du Québec. En 2020, le ministre des Finances du Québec Eric Girard a bien failli corriger cette faribole qui brouille le portrait des finances publiques. C’est le journaliste Gérald Fillion qui, à la suite d’un entretien avec le ministre, écrivait le 27 octobre 2020 :

« Le vrai déficit ou le vrai surplus, c’est la somme avant le versement au Fonds des générations. Ça fait des années qu’on le dit et Eric Girard est le premier ministre des Finances à l’exprimer publiquement. »

Malheureusement, cet éclair de lucidité est demeuré sans suite et le déficit « spécial Québec » à la sauce austère est resté au menu depuis.

Terminons avec un dernier graphique. Il s’agit du portrait des surplus ou déficit annuel du budget du Québec depuis neuf ans en vertu du solde « ordinaire » – ce que Gérald Fillion nommait le « vrai déficit ou vrai surplus ». Alors que de nombreux observateurs s’inquiètent du report de l’atteinte de l’équilibre budgétaire, prenons un moment pour nous rappeler à quel point les surplus accumulés ont été importants dans la dernière décennie et remettons en perspective les petits déficits à venir. Même si le déficit pour 2023-2024 sera plus important que ce qui était prévu dans la mise à jour économique de décembre, le graphique 4 montre que le bilan sera toujours excédentaire d’environ 10 G$ sur la dernière décennie, ce qui va à contresens de ce que l’on observe à l’échelle mondiale. Et tout ça malgré une pandémie qui a frappé les finances publiques des États comme aucun autre événement ne l’avait fait depuis près d’un siècle.

Ces surplus ne sont pas le résultat d’une gestion responsable des finances publiques. Ils sont le résultat de l’austérité appliquée par le gouvernement Couillard, une politique budgétaire qui a contribué à la dégradation indéniable des services à la population. En faisant entrer en crise les réseaux de la santé et de l’éducation, de même qu’en aggravant, faute d’investissements, la situation du logement, ce choix nous garantit des heures sombres dans les années à venir. Ces problèmes socioéconomiques, et la crise climatique, sont des enjeux infiniment plus importants que les déficits dérisoires du gouvernement du Québec.

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2 comments

  1. L’unité dans la légende du graphique 4 devrait être M$ et non G$. Merci.