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Rattraper l’Ontario sur quelles bases?

5 mars 2024

  • Eve-Lyne Couturier

Le premier ministre François Legault a rejoint la longue liste de politicien·ne·s, d’analystes et de lobbyistes qui utilise la comparaison avec l’Ontario comme base de revendication. De l’autre côté de la frontière, on offre de meilleurs salaires aux enseignantes et aux infirmières, les taux de diplomation postsecondaire sont meilleurs, la productivité aussi et, jusqu’à il y a quelques années, on payait les médecins plus cher. À cela, le gouvernement ajoute que le niveau de vie en Ontario est plus élevé qu’au Québec.

L’IRIS a déjà expliqué ailleurs que plusieurs de ces comparaisons reposaient sur de mauvaises bases : les taux de diplomation de la population active au Québec dépassent ceux des autres provinces, la productivité globale sous-estime la productivité des emplois dans le secteur public, plus nombreux chez nous, la rémunération des médecins ne prend pas en considération le coût de la vie, etc. Qu’en est-il de la comparaison du niveau de vie dans les deux provinces?

Parlons d’abord du concept de « niveau de vie ». Alors qu’on pourrait croire que ce concept réfère à différents modes de vie, il s’agit en fait seulement du PIB par habitant et n’a aucun lien avec la manière dont cette richesse est distribuée ou avec la capacité de la population à répondre à ses besoins. Selon cette conception, il suffirait pour rattraper le « niveau de vie » de l’Ontario d’augmenter le PIB, ce qui pourrait passer par une hausse des salaires dans le secteur public, une croissance des investissements privés ou une augmentation des exportations. Rien ne garantit que cette richesse supplémentaire améliorerait la capacité de la population à répondre à ses besoins ou sa qualité de vie.

Or, depuis quelques années, grâce aux travaux  de Vivian Labrie, Simon Tremblay-Pepin et Mathieu Dufour (voir ici, ici et ici), un indicateur nous permet maintenant de faire cette comparaison.  L’analyse repose sur la mesure du panier de consommation (MPC), une mesure du revenu nécessaire pour assurer une couverture modeste des besoins de base en tenant compte de la taille des ménages et de la taille de la communauté dans laquelle ils habitent. On peut ensuite établir des seuils correspondant au nombre de paniers de consommation que peuvent se procurer les ménages en fonction de leurs caractéristiques. Ce « coefficient panier » permet ainsi de les comparer sur la base de leur capacité à répondre à leurs besoins. Lorsque le coefficient est de 1, les besoins de base sont théoriquement couverts au niveau calculé par la MPC. En bas de 1, il y a un déficit à combler, et au-dessus, l’excédent démontre une aisance relative croissante. Cet indicateur, ainsi que les autres développés en collaboration avec l’IRIS, ont été répliqués par Statistique Canada qui étudie présentement la pertinence de les compiler chaque année. 

En attendant qu’une telle compilation soit disponible, nous avons demandé à Statistique Canada de calculer le coefficient panier par province pour les années 2020 et 2021. En comparant les résultats du Québec et de l’Ontario, on peut faire trois constats illustrés au graphique ci-bas. D’abord, les ménages des deux déciles les plus bas (les plus pauvres) sont  en moyenne plus en mesure de combler leurs besoins de base au Québec qu’en Ontario, bien que les revenus du premier décile soient dans les deux cas insuffisants, en moyenne toujours,  pour couvrir leurs besoins de base(ils se trouvent en déficit de couverture). 

Ensuite, l’autre groupe qui se distingue est formé des deux déciles les plus élevés, donc les plus aisés (les déciles 9 et 10). Dans ce cas, ce sont les ménages ontariens qui sont avantagés, avec des coefficients panier supérieurs à ceux du Québec. 

Finalement, au centre de la distribution, on remarque que le coefficient de la majorité des ménages (60%) est équivalent dans les deux provinces, ce qui veut dire que les ménages ont accès à un niveau de vie (en termes de pouvoir d’achat et de couverture de besoins) équivalent. En d’autres mots, le niveau de vie en Ontario n’est plus élevé par rapport au Québec que pour les ménages les plus nantis. Pour les autres, c’est soit similaire, soit mieux au Québec. Et ces données sont constantes pour les deux années observées.

Faire comme l’Ontario en 2020 et 2021 soi-disant pour augmenter notre niveau de richesse aurait ainsi supposé d’augmenter le revenu disponible des ménages des deux déciles les plus riches. Pourtant, le Québec était plus riche d’un meilleur indice panier (quoiqu’encore insuffisant et invisible dans les comptes publics) pour le décile le plus pauvre, soit 0,72 panier, comparativement à 0,58 panier en Ontario en 2020 ( et 0,55 en 2021). Idem pour le deuxième décile. Imiter l’Ontario dans ce contexte aurait signifié augmenter les disparités de niveaux de vie au Québec. Est-ce là une émulation souhaitable ? Espérons que poser la question est aussi y répondre.

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