Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

L’inflation est-elle à nos portes – et menace-t-elle la reprise économique?

23 février 2021

  • Julia Posca

Dans un billet paru la semaine dernière sur le site web de Radio-Canada, Gérald Fillion pose la question suivante : « se peut-il qu’il y ait trop d’argent dans les marchés, dans l’économie et prévu pour la reprise? ». Le journaliste faisait ainsi référence aux milliards de dollars que les gouvernements de la planète, dont celui du Canada, ont injectés dans l’économie afin de passer à travers la période de crise actuelle.

Certains craignent que ces transferts massifs d’argent des États vers les entreprises et les particuliers entraînent une inflation indésirable, soit une augmentation généralisée des prix. Lorsque l’économie roule à plein régime, que les investissements des entreprises, les salaires ainsi que la consommation des ménages augmentent, les prix ont effectivement tendance à augmenter. Est-ce dangereux pour l’économie?

Petit retour en arrière. Dans les années 1980, l’inflation avait atteint des niveaux qui nuisaient aux détenteurs d’actifs financiers, dont la valeur doit croître davantage que la valeur de l’argent dans l’économie pour que ces actifs soient rentables. Nous avons déjà expliqué ce phénomène dans une brochure : « Par exemple, si une banque prête de l’argent à une entreprise, les remboursements du prêt et les intérêts payés sur ce prêt offrent un rendement moins intéressant si, entre le moment où le prêt a été accordé et celui où il est remboursé, l’inflation a été rapide. En d’autres termes, l’actif financier se sera déprécié relativement aux marchandises de l’économie non financière : il aura perdu de sa valeur. »

Pour être bref, disons que le lobbyisme des grands investisseurs et des détenteurs de capitaux a eu à l’époque raison des banques centrales, qui ont fait du contrôle de l’inflation leur priorité.

Pourtant, rien n’indique qu’une inflation modérée soit dommageable pour l’économie. Et surtout, y a-t-il lieu de craindre, dans l’état actuel des choses, un tel retour de l’inflation, voire une période d’hyperinflation?

Premier constat: depuis la crise économique de 2008-2009, qui a forcé les gouvernements (surtout celui des États-Unis) à dépenser des sommes astronomiques pour sauver leur système bancaire, et les banques centrales à ramener les taux d’intérêt à des niveaux très bas pour stimuler la demande (et même à imprimer davantage d’argent pour encourager la relance), l’inflation est demeurée sous contrôle.

Par contre, comme l’inflation n’est pas un phénomène qui affecte de manière homogène l’ensemble d’une économie, il faut bien constater qu’il y a un secteur où les prix ont augmenté considérablement depuis le début des années 2000, et c’est celui de l’immobilier. Et pour l’instant, la crise n’a aucunement affecté la vigueur de ce secteur, bien au contraire.

Or, la hausse soutenue des prix des propriétés a coïncidé depuis 20 ans avec une hausse fulgurante de l’endettement des ménages, et plus particulièrement de l’endettement hypothécaire. La Banque du Canada, qui y voyait depuis des années un facteur contribuant à la vulnérabilité de l’économie canadienne, craint aujourd’hui qu’il ne nuise à la reprise. Le sommet atteint par le taux d’épargne des ménages depuis le début de la pandémie peut sembler en ce sens rassurant, mais il est évident que cette hausse n’est que temporaire et que le fardeau des paiements hypothécaires n’est pas près de se dissiper.

Alors, un gouvernement peut-il se permettre, comme le faisait John Hammond dans Jurassic Park, de « dépenser sans compter »? Sans doute pas, mais tant que l’inflation, et surtout l’hyperinflation, n’est qu’une hypothèse, et non une réalité avérée, il apparaît plus sage de soutenir l’économie à travers des dépenses publiques élevées et ciblées. La dernière crise nous enseigne d’ailleurs que l’austérité budgétaire a, en période de crise, l’effet contraire de celui escompté: elle freine la reprise économique, limite les revenus fiscaux provenant de l’impôt des particuliers et des entreprises, et plombe davantage le bilan financier du gouvernement.

Par ailleurs, le manque d’investissements publics peut aussi avoir des conséquences sur les futures crises et donc sur la capacité financière future de l’État. Par exemple, le sous-investissement en santé et en éducation apparaît aujourd’hui clairement comme un responsable du piètre bilan du Québec en matière de lutte contre la COVID. Autrement dit, la santé budgétaire du Québec s’est constituée au détriment de la santé, physique et mentale, des Québécoises et des Québécois, qui paie aujourd’hui le prix pour des années de sous-financement.

À la question « y a-t-il trop d’argent dans l’économie », on peut donc répondre par une autre question (et une réponse), soit celle lancée par l’économiste Thomas Piketty : « Où faut-il s’arrêter dans la relance publique ? La réponse est simple : tant que l’inflation est quasi-nulle et les taux d’intérêt à zéro, il faut continuer. Si et quand l’inflation retrouvera durablement un niveau significatif (mettons, 3%-4% par an pendant deux années consécutives), alors il sera temps de lever le pied. » Rappelons à ce propos que les taux d’intérêt sont à des niveaux historiquement bas et devraient le rester encore pour un bon moment vu la reprise modérée qui se dessine pour l’économie à l’échelle mondiale.

D’ailleurs, ce phénomène n’est sans doute pas étranger à une autre tendance digne d’intérêt, à savoir que, comme le soulignait lundi Miville Tremblay dans une lettre parue dans La Presse, « [j]usqu’à présent, les liquidités ont plus alimenté le renchérissement des actifs financiers qu’augmenté le coût de la vie. » Cette situation, qui nous permet de penser que certains acteurs économiques ont accumulé des sommes considérables d’argent, nous amène à la deuxième suggestion de Piketty, à savoir « qu’il faudra naturellement mettre à contribution les plus hautes fortunes privées, à un moment ou à un autre, afin de financer la relance sociale et de réduire l’endettement public. »

Les questions qui devraient dès lors nous occuper dans les mois à venir, notamment à l’approche du dépôt des budgets provincial et fédéral, sont les suivantes : en contexte de crise sanitaire et environnementale, où faut-il diriger les sommes dédiées à la relance, et quels moyens doit-on prendre pour les financer de manière adéquate?

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous