Prendre en compte l’ensemble des revenus en direction d’un bien-vivre mieux partagé
17 avril 2023
* Pour voir le document avec tous ses tableaux, graphiques et illustrations, vous pouvez le télécharger ici.
- Un consensus citoyen large a conduit au tournant des années 2000 à une proposition de loi qui dessinait une feuille de route susceptible de jeter en dix ans les bases permanentes d’un Québec sans pauvreté.
- Cette proposition de loi citoyenne reconnaissait les causes systémiques de la pauvreté qui produisent et reproduisent l’échelle sociale et les règles du jeu génératrices d’inégalités dans la société et engageait à agir sur ces causes au nom de la liberté et de l’égalité en dignité et en droits de toutes les personnes. Elle préconisait notamment une action collective constante jusqu’à une société sans pauvreté, l’amélioration prioritaire des revenus du cinquième le plus pauvre de la population sur ceux du cinquième le plus riche et la participation des personnes en situation de pauvreté aux processus qui les concernent. De plus, elle indiquait que, dans un premier temps, les protections sociales de base devraient permettre la couverture des besoins de base de toutes et tous, et que le salaire minimum devrait faire sortir de la pauvreté.
- Tout en retenant l’horizon à viser d’un Québec sans pauvreté, la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec en 2002 est allée moins loin et son application est restée ensuite en bonne partie conditionnée et limitée par le programme néolibéral.
- Néanmoins, l’action citoyenne, les institutions de suivi de la loi et certaines initiatives de recherche sur les indicateurs de revenu nécessaires ont permis de continuer à identifier peu à peu des balises pour une société qui voudrait avancer dans la direction voulue et mettre en route l’amélioration prioritaire des revenus des plus pauvres sur ceux des plus riches. Deux enjeux sont beaucoup revenus pour les balises à poser : la couverture des besoins de base dans les protections sociales et la sortie de la pauvreté avec un salaire minimum à temps plein.
- Le recours, proposé par l’IRIS, à un quatuor d’indicateurs de revenu formé de la mesure du panier de consommation (MPC), du revenu viable ou l’équivalent, de la mesure de faible revenu à 50 % et à 60 % du revenu médian (MFR-50 et MFR-60), ainsi qu’à une manière de considérer les revenus disponibles dans l’ensemble de la population en fonction du niveau de couverture des besoins de base représenté par les seuils de la MPC peut y contribuer. La connaissance ainsi obtenue de l’ensemble de l’échelle des revenus et des disparités de niveaux de vie qui s’ensuivent dans la société peut équiper et baliser les choix sociétaux à faire, à expérimenter et à soutenir dans un nouveau pacte social et fiscal qui reconnaîtrait des planchers et des plafonds de revenu disponible et des ressources collectives à préconiser pour une transition écologique juste permettant en même temps un bien-vivre mieux partagé.
- Encore faut-il en parler et s’en parler, ce qui suppose de mettre cette connaissance de l’échelle des revenus en dialogue avec d’autres ingrédients du bien-vivre, dont les suivants : la réalisation effective des droits, les règles du pacte social et fiscal, les normes collectives du travail, de l’emploi et de l’activité, l’accès à des services publics de qualité, l’interdépendance et les solidarités tout au long du cycle de la vie, la participation à la vie démocratique, les mobilisations nécessitées par la crise climatique et les autres crises afférentes, et la conception de la richesse à revisiter. D’où l’intérêt d’intégrer l’échelle des revenus et la préoccupation d’un bien-vivre mieux partagé dans une réflexion à plusieurs, attentive à la participation de personnes à faible revenu, sur le pacte social, fiscal et environnemental. Et celui d’expérimenter concrètement cette quête et de l’outiller en reliant l’action locale et l’action globale.
Table des matières
Un mot de l’autrice et remerciements
Le présent document résulte d’une demande de Simon Tremblay-Pepin, professeur et chercheur à l’Université Saint-Paul, à Ottawa, de produire un apport réflexif, de mon choix, dans le cadre d’une recherche ayant pour titre « Concevoir la planification démocratique de l’économie à partir de la couverture des besoins de base ».
J’ai proposé à Simon de retracer le fil conducteur d’une série de circonstances auxquelles j’avais été activement associée, depuis la mobilisation citoyenne ayant conduit à la proposition de loi citoyenne pour un Québec sans pauvreté publiée au printemps 2000, après deux ans d’élaboration collective, une sorte d’exercice de planification démocratique en somme, jusqu’à une série de travaux menés à l’IRIS à partir de 2015. Cette longue séquence d’interactions a conduit à consolider peu à peu un ensemble d’indicateurs permettant d’aborder l’ensemble des revenus dans la société sous l’angle de la couverture des besoins de base et, plus largement, de ce qui est nécessaire à une vie digne, exempte de pauvreté.
Même si le parcours conceptuel décrit dans les pages qui suivent prend la forme apparemment neutre d’un document de recherche, je sens le besoin de reconnaître qu’il s’agit d’une description située et donc forcément subjective, comme toute recherche d’ailleurs, d’une séquence d’événements dont j’ai souvent été partie prenante, du côté de la quête comme du côté de la recherche. Autrement dit, d’autres récits sont possibles.
Des personnes reliées à cette histoire – elles savent qui elles sont – ont lu et commenté l’un ou l’autre des états successifs de ce texte et contribué à le faire évoluer. Je les en remercie de tout cœur, tout comme mes collègues de l’IRIS qui m’ont donné la possibilité de faire équipe et cause commune depuis 2015 autour des idées, des préoccupations et des travaux venant de part et d’autre qui sont présentés ici. J’assume par ailleurs les propos qui suivent dans la mesure où ils tiennent aussi en partie de l’essai et d’un regard singulier. Enfin, si essai et regard il y a, c’est pour tenter de laisser voir un parcours à plusieurs, qui s’agrandit, quand j’y pense, à des milliers de personnes variablement situées dans les échelles de l’avoir, du pouvoir et du savoir, au Québec et aussi en France, qui sont ou ont été partie prenante de cette quête de repères plus grande que chacun et chacune de nous – il me vient ici l’expression « persévérance épistémique » – et des formes qu’elle a prises au cours des ans, « têtes et cœurs ensemble », pour « penser librement et donner au suivant ».
Cela étant mentionné, je laisse maintenant le « je » et traverse du côté du récit de cette aventure à relais, souvent collective et débattue à plusieurs, en espérant qu’il puisse contribuer aux réflexions qui s’imposent pour mobiliser les transitions à concrétiser dans notre société vers un bien-vivre mieux partagé.
Vivian Labrie
Introduction
Vingt ans après l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, dans une société pourtant parmi les plus aisées de la planète, une proportion significative de la population québécoise peine toujours à couvrir ses besoins de base et à mener une vie exempte de pauvreté. Cette loi engageait pourtant explicitement la société québécoise et ses institutions à « tendre vers un Québec sans pauvreté ». Il lui manquait par ailleurs des leviers importants qui figuraient dans la proposition de loi citoyenne largement appuyée et mise de l’avant deux ans plus tôt pour jeter en dix ans les bases d’un Québec sans pauvreté, dont un principe d’action voulant que l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre de la population prime sur l’amélioration des revenus du cinquième le plus riche dans les décisions publiques. Cette préoccupation de lier les planchers aux plafonds vient aujourd’hui rejoindre des préoccupations similaires dans la perspective de la transition écologique à vivre en raison de la mise en surchauffe de la planète par l’activité humaine (ou plutôt par les règles du jeu qui la gouvernent). Dans les deux cas, les règles du jeu semblent tenir pour acquis un modèle économique de croissance sans limites et une conception implicite de la richesse et du vivre-ensemble qui s’en accommode, tout en faisant l’impasse sur les expériences d’inégalités concrètes et importantes qui en résultent.
Le présent document de réflexion1 s’intéresse à un des recadrages nécessaires, en théorie comme en pratique, à une transition sociale et environnementale juste : prendre en compte l’ensemble des revenus dans le pacte social à ré-imaginer et à préconiser vers un bien-vivre mieux partagé. Sa publication coïncide avec la diffusion d’une réplication2 réalisée par Statistique Canada, à l’échelle du Canada, de travaux menés par l’IRIS qui montrent la possibilité d’aborder l’ensemble des revenus disponibles en tenant compte des sommes nécessaires à la couverture des besoins de base selon la Mesure du panier de consommation (MPC). Un tel usage permet de faire apparaître des quantités habituellement invisibles dans les comptes économiques, comme le déficit de couverture des besoins de base dans la société et la répartition de l’excédent à cette couverture. Combinées à une exploration de ce à quoi pourrait ressembler un revenu viable, permettant de vivre dignement et sans pauvreté, ces données permettent aussi d’aborder, chiffres en main, les disparités de niveaux de vie dans la société, les priorités à faire valoir et les marges de manœuvre disponibles pour agir vers de plus justes milieux.
La synthèse qui suit vise à équiper une telle démarche réflexive et à en contextualiser le parcours conceptuel.
Le fil conducteur du revenu dont on dispose pour vivre : pourquoi s’y intéresser ?
Depuis 2015, l’IRIS a avancé dans l’exploration d’indicateurs de revenu susceptibles de servir de repères en direction d’une société sans pauvreté. Cette exploration a montré que la couverture des besoins de base avait toujours été à la portée de choix politiques qui auraient mis en application le principe de l’amélioration prioritaire des revenus du cinquième le plus pauvre de la population sur ceux du cinquième le plus riche, sans perte de niveau de vie pour la partie de la population qui couvrait déjà ses besoins de base. Deux séries de travaux ont été menées en parallèle par l’IRIS. Une première série a conduit à publier annuellement à partir de 2015 un indicateur de revenu viable. Une seconde série a montré depuis 2016 la possibilité d’élargir l’usage de la mesure du panier de consommation (MPC), qui est utilisée au Québec depuis 2009 pour « suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins de base3 », en l’employant comme repère des inégalités de revenus, notamment sous la forme d’un « indice panier » et d’une décomposition de tous les revenus à partir de ce seuil de référence. Cette approche permet d’éviter de traiter les questions relatives à la pauvreté comme s’il s’agissait d’un problème isolé limité à certaines catégories de ménages à faible revenu, et de resituer ces questions en tenant compte de l’ensemble des revenus et des ressources disponibles, cette fois en quête d’un bien-vivre mieux partagé. Peu à peu, ces indicateurs se sont précisés et ont commencé à prendre du galon. Ce faisant, la question se pose de leur possible contribution pour aborder divers aspects du pacte social et fiscal et des règles du jeu à transformer, ce qui suppose d’y réfléchir à plusieurs4.
La synthèse qui suit retrace la séquence d’événements qui a déterminé certaines bases conceptuelles de cette façon d’approcher les revenus, depuis la mobilisation citoyenne pour un Québec sans pauvreté au tournant des années 2000, jusqu’aux publications de l’IRIS depuis 2015 sur ce sujet et à la récente réplication par Statistique Canada de certains de ces travaux.
En même temps, ce fil conducteur, centré sur le revenu dont on dispose pour vivre, croise d’autres dimensions de la vie en société qui sont tout aussi constitutives de la quête d’un bien-vivre mieux partagé. Dans la liste des croisées de chemins à considérer, on pourrait évoquer « le revenu et… » : la réalisation effective des droits, les protections sociales, l’emploi, la fiscalité, les services publics, l’économie, les avoirs, le pouvoir d’achat, la conception de la richesse et du vivre ensemble, l’action citoyenne inclusive, les solidarités, la vie des arts, des sciences, la culture, les modes de vie. Et ainsi de suite. En somme, c’est le pacte social et fiscal, et maintenant environnemental, dans son ensemble qui est à réfléchir et à expérimenter.
Plus de 20 ans après les consensus citoyens ayant prévalu dans la Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté5, qui a précédé en 2000 la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale6 adoptée par l’Assemblée nationale du Québec en décembre 2002, la crise climatique et les bouleversements liés à la pandémie montrent l’urgence et la possibilité de faire évoluer les règles du jeu. Quel éclairage ces diverses perspectives peuvent-elles apporter en regard des repères de revenus développés par l’IRIS et de leurs usages possibles aujourd’hui ? Et inversement, en quoi ces repères peuvent-ils se rendre utiles ? En puisant dans le travail de modélisation réalisé avec des personnes en situation de pauvreté à diverses occasions depuis 1998, la dernière section du document offre brièvement deux pistes pour amorcer un tel croisement de perspectives, en théorie comme en pratique : d’une part, intégrer l’échelle des revenus et la préoccupation d’un bien-vivre mieux partagé dans une réflexion à plusieurs, incluant des personnes en situation de pauvreté, sur le pacte social, fiscal et environnemental, et, d’autre part, expérimenter concrètement la quête d’un bien-vivre mieux partagé et l’outiller en reliant l’action locale et l’action globale.
Cela étant, et avant d’amorcer ce parcours réflexif, une question se pose : pourquoi s’intéresser au revenu en particulier alors que bien des dimensions sont mobilisées dans les règles du jeu et les mécanismes de concentration de la richesse qui produisent et reproduisent la société en échelles socioéconomiques que nous connaissons ? La réponse est dans nos quotidiens.
Dans la société centrée sur l’argent qui est la nôtre, le revenu est un déterminant principal des moyens dont on dispose pour survivre, vivre et bien vivre au quotidien. Il conditionne en grande partie les niveaux de vie qui coexistent dans la population. Bon an mal an, depuis 20027, le dixième le plus pauvre des ménages québécois doit s’organiser pour survivre avec en moyenne la moitié des ressources nécessaires à la couverture de ses besoins de base, selon les seuils de la mesure du panier de consommation (MPC). Le dixième le plus riche des ménages dispose quant à lui de plus de quatre fois ces seuils pour vivre. Par ailleurs, les moyens totaux dont dispose la population correspondent quant à eux grosso modo à deux fois ces seuils pour tout le monde en tenant compte de la taille de chaque ménage. Au bas de l’échelle, une partie de la population, en déficit de revenu vital, se retrouve de ce fait en déficit humain : elle s’épuise et puise dans son espérance de vie, par défaut du nécessaire pour pouvoir se maintenir à flot et en santé. En haut de cette échelle, une autre partie de la population, dont le revenu lui donne accès à une grande abondance de biens et d’avoirs, et à des revenus de placement supplémentaires, épuise le budget carbone de l’humanité8. Alors à quoi pourraient ressembler des repères de revenus vers de plus justes milieux ?
Dans l’état actuel des choses, le revenu est aussi le principal moyen par lequel nous pouvons un tant soit peu mettre en commun et gérer collectivement nos ressources, par la fiscalité, les finances publiques, les services publics et les mécanismes de distribution et de redistribution.
Disposer de repères de revenu nous permettant de nous situer les un·e·s par rapport aux autres et par rapport à nos moyens collectifs est une condition nécessaire pour apprendre à se parler de façon constructive des différences de niveaux de vie qui sont les nôtres par rapport à ce qu’il en coûte pour vivre. Il y a là un ingrédient incontournable des règles du jeu à faire évoluer vers un bien-vivre mieux partagé, plus appréciable que la vie dans des échelles socioéconomiques, tout en étant plus responsable sur le plan écologique.
La pauvreté n’est pas qu’économique, mais elle l’est nécessairement. Sa mesure ne réfère pas qu’au revenu, mais elle y réfère nécessairement. En ce sens, viser une société sans pauvreté suppose de s’occuper des revenus, même si cela suppose bien plus. Et cela suppose de s’habituer à aborder dans une même équation l’ensemble des revenus disponibles en tenant compte de ce qu’il en coûte pour vivre et des limites à convenir, entre trop et trop peu, pour que les règles du jeu le permettent, sur le plan social comme sur le plan environnemental.
En 1998, l’impact vital du revenu, et surtout d’un déficit de revenu, était évident pour Pierre Angers, un participant en situation de pauvreté du Carrefour de savoirs sur les finances publiques qui se préparait à un dialogue « entre milliards et cennes noires » avec des fonctionnaires du ministère des Finances du Québec. L’illustration 1, réalisée lors d’une conversation avec lui et validée alors par lui, évoque comment il ressentait sa situation de prestataire d’aide sociale sans emploi jugé apte au travail : être au bord d’un trou et ne pas réussir à atteindre le premier barreau, cassé, de l’échelle.
La question du revenu était évidente également, comme nous allons le voir maintenant, pour le collectif d’organisations qui commençait alors à réclamer une loi visant à jeter en dix ans les bases d’un Québec sans pauvreté.
Aux sources de l’idée d’aborder tous les revenus à
partir de la Mesure du panier de consommation (MPC), du revenu viable et de la Mesure de faible
revenu (MFR)
La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale de 2002 est mieux connue aujourd’hui que la proposition de loi citoyenne en bonne et due forme qui l’a précédée deux ans plus tôt. C’est pourtant à cette proposition de loi citoyenne qu’il faut retourner pour saisir les consensus larges qui ont prévalu à cette époque dans la société civile québécoise quant au genre de feuille de route qui pourrait permettre de « rêver logique » en direction d’une société sans pauvreté. Élaborée de 1998 à 2000 dans le cadre d’un processus participatif large, cette proposition de loi, pilotée par un collectif d’organisations panquébécoises représentant une portion importante de la population québécoise9, a eu l’aval de plusieurs secteurs de la société : groupes communautaires et de défense de droits, syndicats, mouvement des femmes, fédérations étudiantes, groupes de coopération, initiatives d’économie sociale et solidaire, de développement local, groupes ecclésiaux, établissements de santé et de services sociaux, dont un tiers des CLSC, et plusieurs municipalités10.
L’idée était venue en réaction à une réforme de l’aide sociale qui introduisait de nouvelles sanctions pour les prestataires de moins de 25 ans qui refuseraient de se plier aux parcours vers l’emploi qu’on leur imposerait. Ces sanctions venaient diminuer de façon importante des prestations d’aide sociale déjà très basses. Ce faisant, elles venaient réduire d’autant le minimum de revenu de dernier recours garanti au Québec pour des ménages sans ressources. Elles accentuaient par ailleurs le poids mis sur les personnes en situation de pauvreté alors que les prestations qui leur étaient accordées étaient d’emblée insuffisantes pour couvrir leurs besoins de base, et donc parties prenantes du problème à résoudre.
Comme il y a une pertinence à revisiter 20 ans plus tard cette proposition citoyenne méconnue, de larges extraits en seront cités pour mémoire dans ce qui suit.
Des causes structurelles impliquant l’ensemble de la population
En le relisant aujourd’hui (voir l’encadré), on peut constater que le préambule de la proposition de loi citoyenne était clair sur les causes structurelles de la pauvreté et sur la nécessité d’impliquer l’ensemble de la société, incluant ses institutions, dans la transformation des mentalités et des règles du jeu nécessaire pour arriver un jour à une société sans pauvreté. Ce préambule faisait de l’élimination de la pauvreté une question de droits fondamentaux indissociables et inviolables. Il reconnaissait les mécanismes de concentration de la richesse et des pouvoirs qui excluent une partie de la population « d’un juste partage de la richesse et de la qualité de vie », dont l’impact séculaire des inégalités entre hommes et femmes. Et il appelait à agir dans le sens de la proposition qui suivait pour le bien de toutes et tous.
Préambule
« Je suis une feuille à côté de l’arbre.
Après la loi, je serai dans l’arbre. »
Lucien Paulhus, Drummondville
« Il faut rêver logique. »
Yvette Muise, Québec
Considérant que les droits et libertés de la personne sont indissociables et inviolables,
Considérant que la pauvreté empêche la réalisation de ces droits reconnus et qu’elle viole de ce fait l’égalité en droits,
Considérant que la pauvreté est causée par des systèmes injustes, axés sur les profits de quelques-uns, dont les effets se sont aggravés vers la fin du vingtième siècle en se mondialisant, occasionnant ainsi des manquements graves à la solidarité, des précarités qui s’accumulent jusqu’à la misère et des inégalités répétées qui excluent une partie de la population d’un juste partage de la richesse et de la qualité de vie,
Considérant que les inégalités séculaires entre les hommes et les femmes ont inscrit structurellement la pauvreté des femmes dans la société,
Considérant qu’il est universellement reconnu que la pauvreté affecte de façon majeure la santé et le bien-être des populations,
Considérant que les personnes en situation de pauvreté sont les premières à agir pour transformer leur situation et celle des leurs,
Considérant qu’il en va de la responsabilité de toute la société de se joindre aux personnes en situation de pauvreté pour rétablir la solidarité, éliminer les situations injustes et discriminatoires qui les condamnent à l’exclusion et rendre effective la réalisation des droits,
Considérant qu’en 1995, les États du monde se sont engagés à éliminer la pauvreté sur la planète et à entreprendre des actions nationales décisives pour honorer cet engagement,
Considérant qu’en proclamant 1996 Année internationale de l’élimination de la pauvreté, le secrétaire général des Nations unies a exprimé l’état de la connaissance des solutions en déclarant que « la progression éthique de l’humanité arrive lorsque les idéaux moraux amènent des obligations légales spécifiques »,
Considérant qu’au Québec, dans l’esprit de la Première décennie des Nations unies pour l’élimination de la pauvreté commencée en 1997, des centaines de milliers de personnes ont concrétisé cet idéal en réclamant une loi sur l’élimination de la pauvreté jusqu’à la conduire à la présente Assemblée,
Considérant que l’équilibre de l’ensemble de la société est favorisé quand la pauvreté est éliminée,
Considérant la nécessité, malgré les obstacles, d’appliquer au niveau d’un État des principes qui doivent traverser les frontières,
Considérant que la solidarité doit transcender ces frontières et que des sociétés et leurs gouvernements doivent prendre le risque de ce à quoi ils croient,
Considérant la volonté manifeste de la population,
Considérant que la pauvreté est intolérable et inacceptable,
Pour que chaque personne puisse accéder à ses rêves dans un Québec sans pauvreté et que toute la société en devienne plus épanouie,
Le Parlement du Québec décrète ce qui suit : […]
Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, 2000
La proposition de loi citoyenne
La proposition de loi avait été envisagée à la fois comme une loi-cadre et une loi-programme. Guidée par l’aspiration à « rêver logique » formulée par Yvette Muise, une citoyenne en situation de pauvreté ayant participé au Parlement de la rue où l’idée d’une loi avait été testée à l’automne 199711, elle tentait d’y répondre en décrivant un chemin de transformation plausible de l’action gouvernementale qui serait susceptible de permettre de jeter en dix ans les bases permanentes d’un Québec sans pauvreté.
1. La présente loi a pour objet d’instituer un programme permanent d’action gouvernementale visant l’élimination de la pauvreté. Elle prévoit la participation citoyenne active du public à toutes les étapes de ce programme. […]
Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, 2000
Ce programme d’action était soutenu par trois principes devant guider les actions à entreprendre. Le deuxième principe visait directement une réduction progressive des inégalités de revenu par un engagement à faire primer l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre de la population sur ceux du cinquième le plus riche. Ce principe avait l’avantage de ne pas compromettre les niveaux de vie existants tout en donnant la priorité à l’amélioration des niveaux de vie les plus en déficit par rapport aux standards collectifs.
5. Le Programme et les mesures qui le constituent reposent sur les trois principes suivants :
1° l’élimination de la pauvreté est une priorité de l’action gouvernementale jusqu’à ce qu’on puisse considérer le Québec comme une société sans pauvreté ;
2° l’amélioration du revenu du cinquième le plus pauvre de la population prime sur l’amélioration du revenu du cinquième le plus riche ;
3° les personnes en situation de pauvreté et les associations qui les représentent sont associées à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation de ces mesures. […]
Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, 2000
Quatre étapes de programmation étaient entrevues : une première étape de mesures urgentes, qui correspondait à un ensemble de revendications partagées par les organisations membres du Collectif, une seconde étape de mesures structurantes sur un ensemble de dimensions du pacte social et fiscal, puis une troisième étape visant à atteindre les objectifs prévus dans la portion restante des dix ans évoqués, après quoi un ensemble de mesures de suivi permanent serait mis en place.
Ajoutons que divers dispositifs de suivi étaient prévus pour faciliter la participation citoyenne au suivi de la loi, dont un Conseil permanent relevant de l’Assemblée nationale. Après plusieurs moutures et allers-retours, cette proposition de loi citoyenne a été adoptée au printemps 2000 par le Collectif et son réseau. À partir du 22 novembre 2000, date à laquelle une pétition de 215 307 signatures a été déposée à l’Assemblée nationale du Québec pour demander une vraie loi sur la base de cette proposition de loi, le débat s’est transporté dans l’arène politique.
La Loi visant à lutter contre la
pauvreté et l’exclusion sociale
Une première réponse du gouvernement québécois a été de proposer une stratégie intitulée « Ne laisser personne de côté »12 qui ne mentionnait pas la proposition de loi citoyenne. Des consultations publiques sur cette stratégie ont été tenues en 2001 dans l’ensemble des régions du Québec. La majorité des rapports régionaux sur ces consultations ont référé avec insistance à la proposition de loi citoyenne. Ces péripéties ont conduit le gouvernement à déposer au printemps 2002 un projet de Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Tout en reprenant une forme semblable au projet de loi citoyen, avec un préambule, une dimension cadre et une dimension programme, le projet de loi gouvernemental en présentait une version atténuée qui a soulevé une question : verre à moitié plein ou verre à moitié vide ? Il y avait un gain dans le fait d’avoir conduit l’État à déposer une loi inspirée d’un processus participatif extra-parlementaire, ce qui était une première en matière de lutte contre la pauvreté. En même temps, l’initiative repassait du côté gouvernemental et montrait les limites de ce à quoi la puissance publique était prête à s’engager.
Les deux propositions ont été soigneusement comparées du côté citoyen, lequel a résolu d’utiliser au maximum les possibilités du jeu parlementaire au moment de l’étude du projet de loi gouvernemental en commission, tant lors des audiences publiques avec dépôts de mémoires, qu’au moment de l’étude article par article, pour améliorer ce projet de loi autant que ce serait possible.
La version finale adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 13 décembre 2002 a ouvert certaines possibilités en visant dans son article 1 à « guider le gouvernement et l’ensemble de la société québécoise vers la planification et la réalisation d’actions pour combattre la pauvreté, en prévenir les causes, en atténuer les effets sur les individus et les familles, contrer l’exclusion sociale et tendre vers un Québec sans pauvreté »13. Elle instituait une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, un Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CCLPES) dont les membres proviendraient de divers secteurs de la société, incluant des personnes en situation de pauvreté, de même qu’un Observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale14 et un Fonds québécois d’initiatives sociales, affecté à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Sur le plan des revenus, les engagements sont restés vagues, la loi préconisant d’« améliorer la situation économique et sociale des personnes et des familles qui vivent dans la pauvreté et qui sont exclues socialement », de « réduire les inégalités qui peuvent nuire à la cohésion sociale » et de « renforcer le filet de sécurité sociale et économique ». Une cible engageait à rejoindre au plus tard en 2013 « le nombre des nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres, selon des méthodes reconnues pour faire des comparaisons internationales »15.
Certains engagements ont répondu partiellement à des revendications citoyennes, dont celui d’« introduire le principe d’une prestation minimale, soit un seuil en deçà duquel une prestation ne peut être réduite en raison de l’application des sanctions administratives, de la compensation ou du cumul de celles-ci ». L’introduction de telles sanctions avait en effet été un des déclencheurs de la mobilisation ayant conduit à la proposition de loi citoyenne.
Malgré d’intenses représentations en commission parlementaire, le deuxième principe de la proposition de loi citoyenne, qui engageait à prioriser l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre de la population sur ceux du cinquième le plus riche, n’a toutefois pas trouvé place dans la loi portée aux voix.
La couverture des besoins de base et la sortie de la pauvreté
Une fois la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale adoptée, la question pratique qui s’est posée du côté de l’action citoyenne a été d’en tester le potentiel pour avancer dans le sens des mesures concrètes qui avaient fait consensus dans la proposition de loi du Collectif.
Sur le plan du revenu, progresser vers une société sans pauvreté supposait à tout le moins, et nécessairement, de rehausser les garanties de revenu minimales prévalant dans la société. Ces garanties étaient conditionnées, à l’époque comme aujourd’hui – et on voit se profiler ici le fil conducteur antagoniste de l’incitation à l’emploi –, par la différence de moyens additionnels qu’un travail rémunéré devrait procurer. Ce principe économique était cristallisé autour de la distance à maintenir entre une prestation d’aide sociale de dernier recours pour une personne jugée apte au travail et un salaire minimum à temps plein.
Dans une société sans pauvreté, on pourrait remettre en question une telle distance, et supposer que la société a trouvé des règles de convivialité, de services mutuels, de production et de partage du bien-vivre qui permettent d’y échapper, un peu comme on y consent déjà, du moins davantage, pour les catégories de population non assujetties à l’emploi, comme les moins de 18 ans, les 65 ans et plus, et les personnes présentant des limitations fonctionnelles et d’autres empêchements reconnus.
Dans la société québécoise telle qu’elle était, et telle qu’elle est encore aujourd’hui, il était exclu d’en faire complètement l’économie, du moins dans un premier temps. Comment se mettre en route dans ce contexte vers une amélioration des garanties minimales de revenus pour toutes et tous ? Une formule s’était imposée dans le processus citoyen : assurer des protections sociales qui couvrent au moins les besoins essentiels et assurer un salaire minimum qui permette de vivre sans pauvreté, en supposant que ce dernier objectif nécessite un revenu disponible plus élevé que la simple couverture des besoins essentiels. C’est ce consensus qui avait prévalu aux articles 18, 22 et 25 de la proposition de loi citoyenne pour les premiers pas à accomplir en ce sens.
18. Dans les trois années suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, le revenu minimal que garantissent les lois sur le soutien du revenu des personnes est progressivement porté au niveau correspondant au seuil de couverture des besoins essentiels. […]
22. Le gouvernement relève, conformément à l’article 40 de la Loi sur les normes du travail, le salaire minimum payable à un salarié à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi. Ce salaire est porté à un niveau actualisé correspondant à un salaire de 8,50 $ en 1999. […]
25. Le plan d’action comporte notamment, en vue de réparer et prévenir les situations de pauvreté par l’accès accru à l’emploi et à des revenus d’emploi satisfaisants et par la transformation des cadres du travail dans la société, les mesures suivantes : […]
5° l’amélioration des normes minimales du travail, de manière notamment à contrer les effets de précarité résultant des nouvelles formes du travail, à empêcher qu’une personne occupant à temps complet un emploi rémunéré au salaire minimum soit en situation de pauvreté et à prévoir l’actualisation automatique du salaire minimum ; […]
Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, 2000
Comment faire valoir ces premiers pas en regard de la mise en œuvre de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale ? Et comment qualifier la différence envisagée entre la couverture des besoins essentiels et une vie exempte de pauvreté ?
Le terrain du pacte social et fiscal
Une intuition qui a prévalu dans le collectif citoyen, devenu en 2003 le Collectif pour un Québec sans pauvreté, a été de s’intéresser à l’ensemble des revenus de la population en empruntant un outil conceptuel utilisé par les fonctionnaires affectés aux politiques publiques relatives au revenu pour schématiser l’impact de diverses mesures sur le revenu disponible. Cette approche permettait de confronter la vision préconisée à la réalité et de dessiner sur ce schéma des étapes plausibles de transformation conduisant au modèle envisagé. Elle a été résumée dans une présentation de diapositives16 qui a été proposée à des fonctionnaires du ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille à la fin août 2003, puis à des fonctionnaires du ministère des Finances quelques semaines plus tard, soit à un moment où le Collectif cherchait à présenter sa vision pour le plan d’action requis par la loi17. Les illustrations 2, 3, 4 et 5 reprennent quelques-unes de ces diapositives.
Une de ces diapositives (illustration 2) présentait les mouvements possibles des revenus sur le schéma de référence utilisé. Celui-ci avait l’avantage de pouvoir représenter tous les revenus sur un même terrain, désigné dans cette présentation comme le terrain du pacte social et fiscal. Dans ce type de schéma à deux axes, chaque point localise sur le terrain de ces deux axes le croisement entre un revenu gagné ou privé, et le revenu disponible correspondant après impôt et transferts, autrement dit le revenu dont on dispose pour vivre18. Sur ce terrain, quand le revenu disponible est le même que le revenu gagné (sans impôt ni transferts), il se retrouve sur la diagonale du milieu. Si le revenu est plus élevé après impôt et transferts (plus de soutien que d’impôt), il se retrouve au-dessus de cette diagonale. S’il est moins élevé (plus d’impôt que de soutien), il se retrouve en dessous de cette diagonale.
Une autre diapositive (illustration 3) présentait comment le terrain des revenus des particuliers dans un pacte social et fiscal en direction d’une société sans pauvreté avait été conceptualisé dans ce document en fonction de ce qui était préconisé dans la proposition de loi citoyenne. Selon cette illustration, étant donné qu’une personne qui ne dispose pas du revenu nécessaire pour couvrir ses besoins essentiels se retrouve dans le « rouge », pour ainsi dire en déficit humain, si elle n’a accès à aucun revenu privé, elle dispose d’une garantie de revenu de base qui correspond au seuil de couverture des besoins essentiels convenu. Une personne qui travaille au salaire minimum à temps plein doit disposer d’un niveau de revenu équivalant à la sortie de la pauvreté. Logiquement, elle devrait pouvoir disposer de l’entièreté de ce revenu. Autrement dit, elle ne devrait pas avoir à payer plus d’impôt qu’elle ne reçoit de soutien public. Son revenu devrait donc se situer sur la diagonale du terrain. Entre la couverture des besoins essentiels et la sortie de la pauvreté, le revenu gagné devrait être soutenu pour que chaque dollar gagné privément ajoute quelque chose à la couverture des besoins essentiels (la zone jaune). Au-delà d’un revenu disponible permettant la sortie de la pauvreté, la contribution par l’impôt devrait être plus importante que le soutien public reçu, et le niveau de taxation devrait augmenter à mesure que le revenu augmente.
Ces considérations conduisaient à une autre diapositive (illustration 4) qui décrivait en langage courant à quoi ressemblait ce terrain dans la réalité du Québec de 2003. Les barèmes d’aide sociale ne couvraient pas les besoins essentiels (zone 1 du schéma), même selon les critères du ministère responsable19. Les barèmes différaient selon le degré de contrainte à l’emploi (zone 2). Ces prestations étaient sujettes à des coupures sans limites (zone 3). Après 100 $ ou 200 $ de gains de travail permis (zone 4), tous les autres gains de travail sur un mois étaient déduits de la prestation jusqu’à la sortie de l’aide sociale (zone 5). À la sortie de l’aide sociale, les gains de travail un peu plus élevés se retrouvaient sur la diagonale sans aide ni impôt (zone 6). Le seuil net d’imposition nulle fédéral (zone 7) précédait le seuil québécois (zone 8). Le salaire minimum à temps plein ne faisait pas sortir de la pauvreté (zone 9) et il était plus imposé que soutenu (zone 10). Par ailleurs, des baisses d’impôt importantes avaient avantagé les plus hauts revenus au cours des années précédentes (zone 11) et il s’en annonçait d’autres.
Devant ces constats, six grands travaux étaient proposés pour partir de la réalité telle qu’elle était et prendre la direction d’une société sans pauvreté, comme cela était visé dans la loi (illustration 5) :
- Éliminer les pénalités à l’aide sociale et garantir les prestations.
- Couvrir les besoins essentiels.
- Amener le salaire minimum à la sortie de la pauvreté.
- Faire correspondre les seuils nets d’imposition nulle du gouvernement fédéral et du Québec à la sortie de la pauvreté.
- Soutenir le revenu entre la couverture des besoins essentiels et la sortie de la pauvreté.
- Développer un régime fiscal plus progressif au-delà d’un bon niveau de confort.
Tout en s’appuyant sur une réalité dont les interlocuteurs pouvaient convenir, la démonstration demeurait conceptuelle sans présenter de niveaux de seuils précis. Elle avait toutefois l’avantage d’inclure l’ensemble de la population dans l’équation. À cet égard, l’absence de chiffres pouvait favoriser un échange sur le fond et éventuellement susciter une adhésion de principe. Elle conduisait par ailleurs inévitablement à une autre question : quels seuils concrets considérer pour la couverture des besoins essentiels et pour la sortie de la pauvreté ?
Retenons toutefois, avant d’aborder cette question, que cette démonstration se limitait à l’aspect des revenus des particuliers sans modéliser d’autres aspects du pacte social et fiscal, comme, par exemple, l’accès aux services publics, lesquels jouent ou peuvent jouer un rôle important pour un meilleur partage de la qualité de vie, ou encore les règles d’imposition des entreprises et des capitaux, lesquelles vont affecter le niveau de ressources dont dispose l’État pour ses diverses missions.
Prendre la mesure de la pauvreté : la MPC, la MFR-50 et la MFR-60
Passer de seuils théoriques à des seuils chiffrés a été un moment clé de cette aventure conceptuelle. L’univers des indicateurs de revenu a une grande importance pour les décisions publiques, puisqu’il fournit des critères apparemment objectifs et relevant de la science pour motiver des choix politiques qui vont affecter en retour les finances publiques, les règles de distribution et de redistribution du revenu disponible et, par conséquent, les revenus dont disposent les gens pour vivre selon leur position dans l’échelle sociale.
Il n’est pas anodin que la seule partie de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale qui n’ait pas été mise en vigueur ait été celle qui instituait un Observatoire. C’est cet observatoire qui devait proposer au gouvernement des indicateurs permettant de suivre la mise en œuvre de la loi et de vérifier l’atteinte de la cible donnée pour 2013 afin de rejoindre les rangs des nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres. Il n’est pas anodin non plus que le gouvernement n’ait pas assujetti à la loi le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE) qu’il a mis en place en 2006. Bien que chargé d’une mission semblable à celle de l’Observatoire et comportant un comité de direction externe formé de chercheur·e·s, d’intervenant·e·s représentatifs de milieux citoyens de lutte contre la pauvreté et de représentant·e·s de divers ministères, le CEPE a été rattaché au ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille. Le gouvernement se gardait ainsi une marge de manœuvre, tout en consentant à ce que cette entité reprenne les fonctions prévues pour l’Observatoire.
On peut apercevoir ici la part non neutre de la recherche dans les dynamiques socioéconomiques, ce qui était corroboré par divers débats ayant lieu à l’époque sur les seuils existants et leurs usages dans l’action gouvernementale.
De son côté, le Collectif pour un Québec sans pauvreté n’a pas attendu la mise en place du CEPE pour avancer sur cette question des seuils de référence et il s’est mis à l’œuvre dans l’esprit de sa propre proposition de loi citoyenne, qui préconisait de déterminer un seuil de couverture des besoins essentiels qui servirait de référence pour les garanties de revenu à assurer20.
C’est ainsi que le Carrefour de savoirs sur les besoins essentiels a été mis en place en 2003. L’idée était d’explorer concrètement avec des personnes en situation de pauvreté, ainsi que des participant·e·s et des invité·e·s apportant d’autres expertises, la question de la couverture des besoins essentiels, dans une démarche semblable à celle qui avait été expérimentée de 1998 à 2000 avec le Carrefour de savoirs sur les finances publiques. Cette initiative devait permettre d’alimenter ensuite l’action de plaidoyer du Collectif. Sans aller dans les détails, on peut mentionner quelques contributions à l’innovation conceptuelle venues de cette exploration qui s’est déroulée de 2003 à 2005 : la métaphore des escaliers roulants21, la déclaration Le droit de nos droits22, l’extension à des histoires de vie du code rouge, jaune et vert mis de l’avant dans la présentation de diapositives du Collectif23, avec l’ajout d’une question, « Devrait-il y avoir un plafond ? », comme on peut le voir à l’illustration 6, et la compréhension que couvrir ses besoins essentiels suppose de disposer d’un coussin et d’accéder à une part de rêve.
Cette exploration a conduit ensuite, de 2005 à 2007, à une consultation large du réseau du Collectif portant sur Couvrir les besoins et sortir de la pauvreté au Québec. Une trousse d’animation offrant plusieurs activités déclencheuses et une série d’outils de consultation a été publiée24.
Comme on peut le voir à l’illustration 7, le modèle de couverture des besoins mis en consultation comportait trois volets. Les deux premiers volets décrivaient des aspects concernant toute personne : une dimension de garantie de revenus permettant de couvrir certains besoins demandant des ressources financières personnelles et une dimension de garantie de services, répondant à d’autres besoins par l’accès à des services publics financés collectivement. Le troisième volet répondait à des besoins spécifiques reliés à des situations particulières concernant plus précisément certaines personnes et groupes de personnes devant disposer de ressources et d’adaptations supplémentaires en raison de limitations fonctionnelles.
Ce modèle de couverture avait l’avantage de rappeler que les revenus des particuliers ne sont pas les seuls ingrédients de la qualité de vie à rechercher et qu’il est important de garder à l’esprit l’ensemble des dispositifs du pacte social et fiscal, même quand on se préoccupe des revenus dont les gens disposent pour vivre.
La consultation reprenait le schéma du terrain du pacte social et fiscal utilisé dans la présentation de diapositives de 2003, en indiquant les montants en cours pour les barèmes d’aide sociale et pour le salaire minimum, ce qu’on retrouve à l’illustration 8.
Un scénario dit du « 12 000 $/20 000 $/10 $ » était proposé comme modèle d’évolution pour les garanties minimales de revenu. Ces montants étaient placés à l’endroit approprié du schéma du terrain du pacte social et fiscal qui accompagnait la démarche. C’est ce qu’on trouve à l’illustration 9.
Le montant de 12 000 $ était une approximation déduite de deux données convergentes. La mesure du panier de consommation (MPC) introduite par Statistique Canada au printemps 2003 avait établi à 11 221 $ le revenu qu’il fallait à une personne seule habitant Montréal en 2003 pour couvrir ses besoins de base, à l’exclusion des soins de santé et des médicaments. Cette mesure, qui reposait sur des calculs détaillés liés au coût de la vie, se rapprochait du minimum garanti à la vieillesse avec la pension de base et le Supplément de revenu garanti, soit 12 389 $ au moment de la consultation. On pouvait supposer que ce dernier montant, établi pour garantir un plancher de revenu aux personnes âgées, était « davantage libre de préjugés que la prestation d’aide sociale ». Plusieurs groupes avaient mentionné l’une ou l’autre de ces deux balises lors de la commission parlementaire ayant précédé l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Le montant de 20 000 $, proposé comme référence pour un revenu permettant la sortie de la pauvreté, était une approximation s’appuyant sur le seuil de faible revenu avant impôt considéré pour une personne seule vivant dans une grande agglomération canadienne, lequel était de 19 795 $ en 2003, à la différence qu’il était proposé comme un revenu disponible étant donné qu’il était associé au seuil net d’imposition nulle (après impôts et transferts) dans le schéma. Ce montant correspondait grosso modo à un salaire minimum de 10 $ l’heure à temps complet, une revendication alors en émergence au Québec et dans le reste du Canada.
Ce scénario a fait consensus au terme de la consultation, comme on peut le lire dans le résumé du rapport de cette consultation25.
Pendant cette période, le CEPE26, institué en 2006, poursuivait des travaux en vue de répondre au mandat qui lui avait été donné par le ministre responsable de proposer et de publier des indicateurs appropriés pour le suivi de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, tel que requis par cette loi. Après trois ans de travaux, le consensus des membres du comité de direction s’est constitué autour d’un avis, Prendre la mesure de la pauvreté27, publié en 2009, qui a décrit et motivé attentivement un ensemble de recommandations sur les indicateurs à utiliser. Trois indicateurs de revenu étaient proposés : la mesure du panier de consommation (MPC), « afin de suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins de base » ainsi que pour les comparaisons interprovinciales, la mesure de faible revenu à 50 % du revenu médian (MFR-50) pour les comparaisons interrégionales et internationales et la mesure de faible revenu à 60 % du revenu médian (MFR-60) pour les comparaisons internationales28.
Recommandation 1 – Indicateur du niveau de vie économique : revenu
Le Centre recommande le revenu comme indicateur du niveau de vie économique.
Recommandation 2 – Mesure de référence : mesure du panier de consommation (MPC)
Le Centre recommande la mesure du panier de consommation comme mesure de référence afin de suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins de base. La référence ainsi établie est le revenu disponible à la consommation nécessaire pour se procurer un panier de biens et services déterminé. […]
Recommandation 8 – Comparaisons interrégionales : mesure de faible revenu (MFR)
Le Centre recommande d’utiliser la mesure de faible revenu (à 50 % de la médiane des revenus québécois) pour les comparaisons interrégionales.
Recommandation 9 – Comparaisons interprovinciales : mesure du panier de consommation (MPC)
Le Centre recommande d’utiliser la mesure du panier de consommation pour les comparaisons interprovinciales.
Recommandation 10 – Comparaisons internationales : mesure de faible revenu (MFR)
Le Centre recommande d’utiliser, dans une perspective de comparaisons internationales, les deux seuils correspondant à 50 % et 60 % de la médiane des revenus de chacun des pays.
CENTRE D’ÉTUDE SUR LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION, Prendre la mesure de la pauvreté, 2009, p. 7-8.
Il importe ici de bien comprendre le choix de la MPC comme mesure de référence « afin de suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins de base ». C’est ce à quoi le CEPE s’est attaché dans les paragraphes suivants en présentant sa recommandation29.
La mesure du panier de consommation s’approche davantage d’une des composantes mesurables du concept de pauvreté de la Loi, soit la couverture des besoins de base. En effet, en plus de la nourriture, des vêtements et du logement – besoins déjà reconnus par les seuils de faible revenu –, on considère le transport et un ensemble d’autres dépenses, notamment celles qui sont liées à certains services jugés indispensables. La mesure du panier de consommation a d’ailleurs permis de faire apparaître les particularités des besoins de transport dans les régions rurales où, pour accéder à l’activité et à la consommation, il faut pouvoir se déplacer en voiture.
La mesure renvoie aussi à des éléments tangibles pour le débat citoyen. Des personnes en situation de pauvreté en Europe ont souhaité pouvoir disposer d’une mesure équivalente, étant donné la difficulté de savoir à quoi peut bien correspondre un concept tel que la moitié ou 60 % de la médiane des revenus. La mesure du panier de consommation nous informe sur ce que signifie le fait de ne pouvoir satisfaire des besoins de base par un revenu dans notre société.
Comparativement à d’autres mesures, en effet, la mesure du panier de consommation comporte des atouts indéniables, pour peu qu’on en révise périodiquement le contenu afin de refléter l’évolution sociale (ex. : la plus récente version du Guide alimentaire canadien). Elle permet ainsi de dépasser les limites associées aux deux autres mesures en usage […]30.
Toute mesure, quelle qu’elle soit, ne sera jamais entièrement satisfaisante. Le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion recommande néanmoins l’adoption de la mesure du panier de consommation comme mesure de référence afin de suivre les situations de pauvreté vues sous l’angle d’une de leurs composantes, la couverture des besoins. Cette mesure est définie plus clairement et de manière plus cohérente que beaucoup d’autres. Il faut rappeler cependant que tout seuil est contenu dans une zone possible de seuils. Pour cette raison, nous voudrons observer la situation autour de ce seuil par souci de prudence et de robustesse des comparaisons. De plus, si la mesure du panier de consommation permet de suivre l’évolution de la pauvreté et les progrès réalisés, elle ne permet pas de mesurer la sortie de la pauvreté selon la définition donnée par la Loi.
En effet, si l’on considère non plus la composante de la couverture des besoins, mais les autres composantes contenues dans la définition de la pauvreté donnée dans la Loi, aucune mesure existante ne permet actuellement de déterminer de façon fiable qu’une personne dispose « des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société » et qu’elle jouit d’un niveau de vie suffisant ainsi que de la possibilité d’exercer les droits qui lui sont reconnus.
CENTRE D’ÉTUDE SUR LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION, Prendre la mesure de la pauvreté, 2009, p. 30-31.
Ce faisant, le CEPE formalisait l’usage de la MPC comme seuil de référence pour la couverture de besoins de base31 et il laissait ouverte la question d’un seuil qui pourrait indiquer la sortie de la pauvreté, ou, pour le dire autrement, celle d’un repère dans la zone de seuils considérée pouvant offrir une démarcation relativement satisfaisante sur le plan du revenu disponible entre la pauvreté et son absence.
Qu’est-ce qu’un revenu viable ?
L’obsession à l’égard de la croissance du PIB fait souvent oublier le véritable objectif du progrès économique : offrir une meilleure qualité de vie à tous et à toutes et construire une société plus juste, solidaire et épanouie.
Philippe HURTEAU et Minh NGUYEN, Quel est le salaire viable ? Calcul pour Montréal et Québec en 2015, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, 2015, iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-viable2015
De façon indépendante de la démarche du Collectif pour un Québec sans pauvreté, de celle du CEPE et des travaux sur la MPC, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a entrepris en 2015 de répliquer pour le Québec une approche développée pour Toronto par le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA)32 et de déterminer à quoi pourrait ressembler un salaire viable (living wage) permettant de vivre dignement33.
De 2015 à 2017, l’idée a été de déterminer un salaire permettant une vie digne pour trois types de ménage dans trois, puis cinq, puis sept localités québécoises34. Pour ce faire, l’IRIS s’est aligné sur la méthodologie du CCPA, incluant le niveau de vie visé, lequel devait dépasser la simple survie et « permettre qu’un·e salarié·e à temps plein soit en mesure de gagner assez d’argent pour subvenir aux besoins de base de sa famille, tout en se donnant la possibilité d’accéder éventuellement à un meilleur revenu35 », ce qui incluait « les moyens et la possibilité de participer à la vie civique36 ». Comme le mentionnait l’IRIS, ce niveau de vie était cohérent avec le niveau de vie permettant la sortie de la pauvreté visé depuis longtemps par des regroupements d’organisations québécoises représentant des travailleurs et travailleuses à faible revenu37.
Tout comme pour la MPC, le revenu de référence établi pour déterminer un salaire viable était basé sur le coût d’un panier de biens et services. À la différence de la MPC, dont le calcul est fait pour un ménage de deux adultes et deux enfants pour divers types de localité, puis ajusté selon une échelle d’équivalence au nombre de personnes dans les autres types de ménage38, il était calculé pour chacune des situations de ménage dans chacune des localités étudiées, et il correspondait par définition à un niveau de vie plus élevé que celui représenté par le panier de la MPC39.
Même si ce n’était pas l’intention au départ, cet indicateur devenait un bon candidat pour un indicateur fondé sur un panier qui serait associable à la sortie de la pauvreté ou, pour le dire autrement, à un niveau de vie modeste, exempt de pauvreté, et qui pourrait donc remplir éventuellement la case laissée ouverte dans l’avis du CEPE de 2009 d’un indicateur permettant de suivre les situations de faible revenu du point de vue de la sortie de la pauvreté.
En 201840, l’IRIS est passé de la notion de salaire viable à celle de revenu viable, en se concentrant sur la première partie de son travail, soit le calcul du revenu après impôt qu’il faut pour disposer d’un panier de biens et services permettant une vie digne, exempte de pauvreté, puis il a fait une première comparaison avec la MPC.
En 201941, l’IRIS a ajusté la description du revenu viable pour le rendre mieux comparable à la MPC et en explorer le potentiel pour suivre les situations de pauvreté entre la couverture des besoins de base et la sortie de la pauvreté. Ce faisant, cette harmonisation avec le panier de la MPC a permis de mettre en évidence certains aspects du calcul des seuils de la MPC demandant qu’on y porte davantage attention : l’importance de bien marquer la différence entre le revenu considéré pour la MPC et le revenu disponible après impôt42, les différences perceptibles entre le calcul direct qui peut être fait du coût du panier pour chaque type de ménage comme le fait le revenu viable et le calcul qu’on obtient en appliquant l’échelle d’équivalence utilisée pour la MPC, et les différences de coût du panier observées entre des localités différentes de même taille43.
En 202044 et 202145, deux années de pandémie, l’IRIS a poursuivi les mêmes calculs, en portant attention en 2021 au changement de base de calcul opéré cette année-là par Statistique Canada, à la suite d’une révision périodique de cette base, fondée non plus sur l’année 2008 (base 2008), mais sur l’année 2018 (base 2018), ce qui a eu pour effet de relever les seuils de la MPC46, une mise à jour qui n’a pas été intégrée aux engagements gouvernementaux en matière de garanties minimales de revenu à l’aide de dernier recours. L’édition 2022 du revenu viable a poursuivi dans la même veine47, tout en mettant en évidence d’autres enjeux relatifs au choix gouvernemental de répondre au contexte inflationniste résultant de crises multiples par le versement de montants ponctuels. Cette décision venait en effet masquer l’absence d’améliorations structurantes sur le plan de la couverture des besoins de base à l’aide de dernier recours et de normes du travail permettant une vie sans pauvreté au salaire minimum.
Le tableau 148 illustre certaines situations de vie pour une personne seule à Montréal en comparaison avec les seuils du revenu viable, de la MPC et de la MPC+ 7 % en 2022. Comme on peut le voir, les situations comprises entre le seuil de la MPC et celui du revenu viable sont éloquentes quant au niveau de salaire horaire à temps plein nécessaire pour atteindre un niveau de vie digne qu’on pourrait dire exempt de pauvreté.
Malgré le caractère artisanal du calcul du revenu viable, réalisé sur un nombre restreint de situations de ménage et de localités par un organisme qui ne dispose pas des moyens d’une institution statistique financée par des fonds publics, on peut supposer, après huit éditions, qu’il constitue à tout le moins un bon projet de démonstration de la hauteur à laquelle situer un indicateur de panier plus complet jouant le rôle d’indicateur démarquant la pauvreté économique de son absence, un aspect laissé ouvert dans l’avis du CEPE de 2009.
Un quatuor d’indicateurs,
incluant le revenu viable, plutôt qu’un seul seuil
Une partie de cette démonstration met en évidence l’intérêt de suivre les situations de faible revenu et les garanties minimales de revenu qui y sont associées en faisant évoluer les trois indicateurs de revenu retenus par le CEPE en 2009, soit la MPC, la MFR-50 et la MFR-60, vers un quatuor d’indicateurs incluant le revenu viable, ou un indicateur consolidé équivalent. Un tel quatuor a l’avantage de présenter deux indicateurs de panier, un situé en bas de zone et l’autre en haut de zone, et deux indicateurs relatifs à la médiane des revenus situés de façon similaire. On peut alors suivre les situations de pauvreté en tenant compte tant de la couverture des besoins de base que de la sortie de la pauvreté.
Le graphique 1 montre comment, à Montréal, les seuils de la MPC en base 2018 s’avèrent comparables à ceux de la MFR-50 pour la période de 2015 à 2019, et comment les seuils du revenu viable coïncident d’assez près avec ceux de la MFR-60.
Le tableau 2 montre la cohérence de l’articulation bas de zone/haut de zone, d’une part, et mesures de type panier liées au coût de la vie/mesures relatives liées au revenu médian, d’autre part, quand on examine les revenus concernés pour une personne seule à Montréal en 2019, si on utilise la MPC en base 2018 (telle que redéfinie dans la révision de 2018), le revenu viable, la MFR-50 du Québec publiée par l’Institut de la statistique du Québec et la MFR-60 qu’on peut déduire par un simple calcul. Même si cette co-incidence peut n’être que conjoncturelle entre deux types de mesures qui ne peuvent pas être comparées directement, l’une variant en fonction du coût d’un panier lié au coût de la vie et l’autre variant en fonction du revenu médian dans la société, sans référence directe au coût de la vie, elle est instructive. Elle nous indique qu’en 2019, le revenu viable pouvait donner une bonne idée du niveau de vie concret, ou si on préfère, d’un panier de biens et services, auquel pouvait correspondre un revenu situé à 60 % du revenu médian. De même pour la MPC en base 2018 par rapport à un revenu situé à 50 % du revenu médian.
Cette information est utile, étant donné que les comparaisons internationales, notamment avec l’Europe, se font plutôt à partir des MFR-50 et MFR-60, lesquelles sont considérées comme des seuils de pauvreté à défaut de mesures de panier comme la MPC et le revenu viable, même si le choix de placer la ligne à 50 % ou à 60 % du revenu médian reste un choix arbitraire.
Il sera également intéressant dans quelques années de comparer l’évolution des deux types de mesures après les années de pandémie une fois que les données statistiques seront devenues disponibles.
De son côté, le graphique 2 situe les 21 types de revenu viable calculés en 2019 et ramenés à l’échelle d’une personne en fonction de ce qu’on connaît de la distribution du revenu disponible dans la population. On peut y voir que ces différents revenus viables gravitent autour de la MFR-60 et qu’environ 20 % de la population se retrouve sous le niveau de la MFR-60 ou très près de ce seuil, ce qui donne une bonne estimation du pourcentage de la population qui se retrouverait sous le niveau du revenu viable ou tout près si cet indicateur était calculé partout.
Le graphique 2 permet en outre d’estimer la population québécoise concernée par divers niveaux de vie, des plus pauvres aux plus riches, en situant la couverture des besoins de base et la sortie de la pauvreté dans ce continuum. Il offre ainsi un tableau de bord synthétique de plusieurs dimensions à considérer pour suivre l’ensemble des situations de revenu dans la perspective d’avancer vers un Québec sans pauvreté49.
Le tableau 3 vient en préciser les données. Si on additionne les situations de pauvreté sous la MFR-60 en 2019, ce qui concernait 17,2 % de la population, et qu’on ajoute une petite marge dans la catégorie suivante pour la partie de la population à qui il fallait un peu plus que 60 % du revenu médian pour atteindre un niveau de vie correspondant au revenu viable, on peut estimer qu’environ un cinquième de la population se retrouvait sous ce niveau, comme on pouvait le voir également au graphique 9. Selon un critère souvent utilisé pour délimiter la classe moyenne, soit la population comprise entre 75 et 150 % du revenu médian, grosso modo 11 % de la population se retrouvait également à faible revenu, entre 60 et 75 % du revenu médian, le critère d’entrée dans la classe moyenne50. La classe moyenne représentait une moitié de la population (52,1 %). Et environ un cinquième de la population (19,6 %) se situait au-delà. Ce tableau nous éclaire ce faisant sur les niveaux de revenus qui auraient pu être visés en 2019 par le deuxième principe de la proposition de loi citoyenne mis de l’avant en 2000, qui préconisait de prioriser l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre de la population plutôt que celle des revenus du cinquième le plus riche – si bien sûr il y avait eu une volonté politique en ce sens.
Ce dernier tableau montre aussi l’intérêt qu’il y aurait à ce qu’un organisme comme l’Institut de la statistique du Québec ajoute à sa compilation annuelle des seuils et des taux de la MFR-50 au Québec une compilation similaire des seuils et des taux de la MFR-6051, ce qui permettrait d’avancer dans l’usage de la MPC, du revenu viable, de la MFR-50 et de la MFR-60 pour suivre les situations de pauvreté tant sous l’angle de la couverture des besoins de base que de la sortie de la pauvreté.
On peut voir que l’usage de ces quatre indicateurs se situe dans la suite logique du cheminement conceptuel qui a eu lieu au Québec depuis la proposition de loi citoyenne de 2000 quant au suivi de la couverture des besoins de base et de la sortie de la pauvreté sur le terrain du pacte social et fiscal. Il permet par ailleurs de prendre une certaine distance critique par rapport au choix fait par le gouvernement fédéral en 2018 dans la nouvelle Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté52 de considérer la MPC comme le seuil officiel de la pauvreté au Canada, un choix confirmé au printemps 2019 par l’adoption du projet de loi C-97.
La stratégie canadienne montre d’ailleurs une certaine ambivalence quant au positionnement de la MPC en regard de la classe moyenne, un concept lui-même à géométrie variable. Elle utilise en effet plusieurs formulations pour parler de ce qui arrive au-delà du seuil de la MPC. Une visée de la stratégie serait de permettre à la population à faible revenu d’entrer dans la classe moyenne et de profiter de la croissance économique, mais selon les pages du document, cette entrée aurait lieu implicitement tout de suite au-delà du seuil de la MPC, ce qui est contredit ici par le tableau 3, ou un peu plus loin dans l’échelle des revenus. La décision de placer le seuil de pauvreté canadien au niveau du seuil de la MPC perd ce faisant de vue toutes les situations de pauvreté entre le seuil de la MPC et un seuil de sortie de la pauvreté pouvant être illustré par le revenu viable dans le cas d’un indicateur fondé sur un panier, et par la MFR-60 dans le cas d’un indicateur fondé sur une proportion du revenu médian et servant à des comparaisons internationales. Par ailleurs, dans la même stratégie, le gouvernement fédéral entend réduire les inégalités de revenu et suivre le 40 % le plus pauvre de la population, ce qui concernerait cette fois l’ensemble de la population disposant de moins de 75 % du revenu médian et le cinquième le plus pauvre de la classe moyenne telle que définie par cette dernière limite inférieure. Il y a donc matière à porter une attention particulière aux implications de ces choix dans la prise en considération de l’ensemble de l’échelle des revenus, incluant les usages qui sont faits des concepts de pauvreté, de faible revenu et de classe moyenne, et matière à maintenir une vigilance quant à l’usage de la MPC et à quelles fins.
De nouveau, on peut voir l’intérêt de l’usage combiné de la MPC, du revenu viable, et des MFR-50 et MFR-60 pour poursuivre ce débat, ainsi que pour continuer de faire valoir l’approche développée au Québec depuis le projet de loi citoyen et faire la part des choses.
Nous allons maintenant nous intéresser aux paniers représentés le long de l’axe des revenus disponibles dans le graphique 2. Ils y figurent simplement pour indiquer un ordre de grandeur quant aux disparités de niveaux de vie pouvant correspondre aux écarts de revenu disponible dans la population par rapport au panier de la MPC. On peut toutefois apprendre bien davantage des écarts existant entre le seuil de la MPC et les revenus dont disposent les ménages pour vivre.
Le déficit humain lié au revenu,
les inégalités de revenu et
l’indice panier
Considérant qu’il est universellement reconnu que la pauvreté affecte de façon majeure la santé et le bien-être des populations […]
Proposition pour une loi sur l’élimination
de la pauvreté, 2000
Une autre façon d’aborder la nécessaire question de la réduction des inégalités consiste à utiliser la MPC, ou tout seuil similaire, comme repère pour examiner l’ensemble des revenus de la population. Dans le cas de la MPC, ce sera « sous l’angle de la couverture des besoins de base ». L’IRIS s’est penché sur la question en 201653 en s’intéressant au déficit à la MPC d’une partie des ménages, ce déficit étant ainsi abordé comme un indicateur de déficit humain.
La question initiale visait essentiellement à estimer la somme manquante dans le revenu disponible au Québec pour que l’ensemble des ménages dispose d’un revenu au moins égal au seuil de la MPC qui leur est applicable. Cette somme n’apparaissait pas dans le débat public, du fait notamment qu’elle désigne une quantité absente des comptes économiques et des finances publiques. Cette question était motivée par le désir de connaître l’ordre de grandeur de ce déficit de revenu vital et par la conscience que celui-ci met de ce fait en « déficit humain » les personnes et les ménages concernés. Les recherches en santé publique étaient claires là-dessus depuis longtemps54 : le manque de revenu est un déterminant majeur de la mauvaise santé. Il affecte l’espérance de vie et l’espérance de vie en santé, dans des proportions qui peuvent contribuer aux énormes différences observées à cet égard entre quartiers ou agglomérations riches et quartiers ou agglomérations pauvres55. Dans le monde des finances publiques, alors qu’on se préoccupe de dettes, de déficits et de cotes de crédit lorsqu’il s’agit d’argent emprunté à des agences prêteuses, jamais on ne s’intéresse à l’emprunt fait à la vie des plus pauvres quand ceux-ci ne disposent pas du revenu nécessaire pour couvrir leurs besoins de base.
Cette quantité manquante avait été conceptualisée en 1998 avec les personnes en situation de pauvreté qui participaient au Carrefour de savoirs sur les finances publiques mentionné au début de ce document. Le carrefour de savoirs avait été mis en place à l’initiative du Carrefour de pastorale en monde ouvrier de Québec (CAPMO) pour donner suite à la visite de Bernard Landry, alors ministre des Finances et vice-premier ministre du Québec, au Parlement de la rue tenu devant l’Assemblée nationale du Québec à la fin de l’automne 1997 pour protester contre la réforme de l’aide sociale pénalisante qui y était débattue56. Lors de sa visite, le ministre avait été mis au défi d’accepter un dialogue « entre milliards et cennes noires », entre ses fonctionnaires et des personnes en situation de pauvreté. Et il avait accepté le défi. Avec d’autres groupes de Québec, le CAPMO tenait ce carrefour de savoirs pour permettre aux personnes intéressées de s’y préparer. Un économiste ami du CAPMO avait contribué à cette préparation en expliquant au groupe ce qu’était le produit intérieur brut (PIB). L’explication avait provoqué un débat dans le groupe au motif que les prestations d’aide sociale étaient incluses dans le calcul du PIB par les dépenses, comme une dépense publique, et non dans son calcul par les revenus, comme un revenu des personnes. Le groupe, composé de plusieurs personnes prestataires de l’aide sociale, avait évalué qu’il était brutal de ne pas considérer leur contribution, ce qui a déclenché une réflexion sur l’idée qu’on devrait inventer le produit intérieur doux (PID), pour nommer la richesse produite sans passer par l’argent, et la dépense intérieure dure (DID), pour représenter la dépense vitale qui est générée lorsque des personnes et des communautés doivent puiser dans leur santé et leur espérance de vie parce que l’argent manque pour des dépenses nécessaires57.
Le déficit à la MPC peut de fait être considéré comme une forme de dépense intérieure dure.
Une fois la chose dite et nommée, il semble y avoir une évidence. Cette évidence passait pourtant inaperçue, ou était ignorée, au moment du Carrefour de savoirs. La contribution des participant·e·s au carrefour de savoirs, ou, dirait-on aujourd’hui, leur privilège épistémique58, aura été de l’apercevoir, de la nommer et de la conceptualiser. La contribution de l’IRIS aura été d’en chiffrer une dimension dans une note socioéconomique, soit le déficit à la MPC.
La compilation effectuée par l’IRIS a montré qu’entre 2002 et 2011, bon an mal an, le déficit à la MPC avait touché environ un dixième de la population, surtout des personnes seules. Elle a aussi fourni un ordre de grandeur permettant de relier les « cennes noires » manquantes aux « milliards » disponibles. Ainsi, alors qu’il pesait lourd pour les ménages touchés par ce déficit de ressources et ainsi privés de la possibilité de couvrir leurs besoins de base, le déficit total à la MPC de 2011 représentait à peine 1,9 % du revenu après impôt disponible au Québec59. Cumulé de 2002 à 2011, il équivalait à plus de trois fois le déficit cumulé des finances publiques québécoises sur la même période, un déficit dont on avait fait grand cas pendant toutes ces années.
La note rappelait en outre que les dollars manquants aux ménages en déficit par rapport au seuil de la MPC étaient des dollars vitaux, pour reprendre l’expression des participant·e·s au Carrefour de savoirs sur les finances publiques en 199860, et qu’ils comptaient davantage dans les budgets des ménages concernés que les dollars que l’État avait pu vouloir redistribuer par une baisse d’impôt ou l’autre dans les revenus de ménages beaucoup plus en moyens.
La note présentait également un nouvel indicateur, auquel nous référerons ici en tant qu’« indice panier », qui calculait à quelle proportion du seuil de la MPC pouvait correspondre le revenu disponible d’un ménage ou d’un groupe de ménages. Cet indice panier pouvait et peut toujours être appliqué à l’ensemble des ménages et à leur regroupement par décile de revenu après impôt. Ce faisant, et comme nous le verrons un peu plus loin, il fournissait un indicateur d’inégalités à la fois relié au coût de la vie et potentiellement plus concret et facile à comprendre que les indicateurs d’inégalité habituels. On peut donner l’exemple du coefficient de Gini, fréquemment cité, qui varie abstraitement de 0 à 1, de la situation la plus égalitaire à la situation la plus inégalitaire, en fonction de la position de divers revenus sur une courbe, mais sans référer à des quantités de la vie concrète. Tout en étant rattaché à un panier de biens et services concret, l’indice panier permettait en même temps de résoudre plusieurs problèmes méthodologiques qui compliquent autrement la lecture des données reliées à la MPC61.
Enfin, la note montrait qu’on pouvait décomposer l’ensemble du revenu disponible après impôt dans la population à partir de la MPC. Elle ouvrait ainsi la possibilité de relier le déficit à la MPC aux comptes économiques et de faire apparaître cette quantité restée invisible jusque-là.
Avant d’illustrer ces deux dimensions avec des données plus récentes, et sans aller dans les détails techniques qui sont présentés dans les publications concernées, mentionnons que le calcul de ces indicateurs suppose l’accès à des données d’enquêtes spécialisées de Statistique Canada. L’enquête qui prévalait de 2002 à 2011 était l’Enquête sur la dynamique du travail et des revenus. Elle a été remplacée à partir de 2012 par l’Enquête canadienne sur le revenu. Il fallait donc vérifier si la méthodologie utilisée dans la note de 2016 était transférable à la nouvelle enquête, ce qui a été démontré dans un article paru dans la revue Social Indicators Research62.
D’autres travaux ont été réalisés ensuite pour comparer les données pour le Québec à celles du reste du Canada. Le tableau 4 présente les ordres de grandeur qu’on obtient pour le Québec et pour le Canada sans le Québec pour la période allant de 2012 à 2017, par décile de revenu des ménages après impôt. Grosso modo pendant cette période, l’indice panier pour l’ensemble des ménages du Québec a été de 2,1 paniers et de 2,29 paniers pour le Canada sans le Québec. Dans les deux cas, le décile le plus pauvre des ménages n’a eu accès en moyenne qu’à l’équivalent de plus ou moins un demi-panier (0,52 panier au Québec et 0,47 panier dans le reste du Canada). Par ailleurs, le dixième le plus riche des ménages a eu accès en moyenne à quatre paniers et demi (4,52 paniers) au Québec et à plus de cinq paniers (5,29 paniers) dans le reste du Canada.
On peut illustrer cet écart autrement en comparant l’évolution de l’indice panier moyen des ménages vivant sous le seuil de la MPC et celui des ménages vivant au-dessus de ce seuil, au Québec et dans le reste du Canada, de 2012 à 2017. On observe alors qu’au Québec comme au Canada, les ménages disposant d’un panier et plus ont disposé en moyenne de plus ou moins 2,5 paniers (plus dans le reste du Canada et moins au Québec), avec une tendance à la hausse à la fin de cette période. Pendant ce temps, au Québec comme dans le reste du Canada, les ménages ne disposant pas d’un panier ont disposé en réalité d’à peine un peu plus d’un demi-panier en moyenne.
Ces résultats laissent voir les similarités de situation au Québec et dans le reste du Canada pour les ménages les plus pauvres, ainsi que des inégalités plus importantes en haut de l’échelle des revenus dans le reste du Canada, où le dixième le plus riche capte une part encore plus grande du revenu disponible qu’au Québec. Surtout, ils font voir l’ampleur des disparités de revenu et de niveaux de vie qui existent au Québec comme dans le reste du Canada alors que les moyens collectifs tournent autour de deux paniers dans les deux cas.
Le tableau 5 reporte l’ensemble de ces données par ménage dans l’univers des finances publiques et des comptes économiques en décomposant en fonction de la MPC l’ensemble du revenu disponible après impôt au Québec en 2017. Il laisse voir l’ampleur du déficit à la MPC qui existait au Québec en 2017, soit 3,9 milliards de dollars, ce qui, cette fois, ne représentait plus que 1,6 % du revenu disponible total, soit 242,1 milliards de dollars, comparativement à 1,9 % en 2011. Il montre aussi comment, même si la plupart des ménages en déficit de la MPC se situent dans le décile de revenu après impôt le plus pauvre, certains ménages des déciles 2 à 8 peuvent se retrouver en déficit par rapport au seuil de la MPC s’ils doivent s’acquitter de dépenses dites non discrétionnaires élevées (dépenses liées à l’emploi, frais de santé non assurés, frais de garde, pensions alimentaires et autres) qui diminuent d’autant leur revenu disponible aux fins de la MPC.
Le graphique 3 en fournit une visualisation dans les conventions « rouge, jaune, vert » de la pédagogie citoyenne. Il laisse voir en rouge foncé la part habituellement invisible du déficit à la MPC, supportée principalement par le dixième le plus pauvre des ménages. Et la part progressivement plus importante de l’excédent à la MPC captée par les ménages les plus riches, ce qui est aussi le cas pour les dépenses dites non discrétionnaires (en gris) qui ne sont pas incluses dans le revenu disponible pour la MPC.
En l’absence d’une certitude de sa position dans l’échelle des revenus, personne ne voterait pour une telle répartition du revenu disponible. Pourtant elle existe et, comme nous allons le voir maintenant, elle aurait pu être infléchie plusieurs fois depuis 2002 sans diminuer le niveau de vie des ménages déjà couverts si seulement le deuxième principe de la proposition de loi citoyenne de 2000 avait été inclus dans la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale avec des dispositions précises pour le faire respecter.
L’impact de la croissance
économique sur la concentration du revenu vers le haut de l’échelle
Au lieu de cela, de 2002 à 2021, la croissance économique a constamment contribué à concentrer le revenu disponible vers le haut de l’échelle des revenus. Les ménages plus riches ont haussé leur niveau de vie en dollars constants alors qu’au bas de l’échelle, les revenus ont stagné. Autrement dit, à la main dite invisible du marché se sont ajoutés silencieusement les escaliers roulants à deux vitesses de la croissance économique.
Le graphique 4 montre comment, de 2002 à 2011, l’excédent à la MPC par personne cumulé sur l’ensemble de la période s’est avéré plus élevé en dollars constants, lesquels tiennent compte du coût de la vie et peuvent être comparés d’une année à l’autre pour le pouvoir d’achat qu’ils assurent, que le déficit cumulé à la MPC. Ce constat revient à dire que, si la volonté politique et la volonté collective avaient été là, la couverture manquante des besoins de base aurait pu être assurée au Québec sans perte de niveau de vie pour la population les couvrant déjà, et même avec une certaine amélioration du niveau de vie de la portion plus précaire de cette population.
Le graphique 5 fait une démonstration similaire pour la période allant de 2012 à 2017. On voit qu’en 2017, même en absorbant le déficit à la MPC de cette année-là, les ménages disposant d’un excédent à la MPC auraient disposé d’un niveau de vie plus élevé en dollars constants que celui dont ils disposaient depuis 2012 en dollars constants de 2017.
Le tableau 6 montre pour sa part qu’en 2017, tant au Québec que dans le reste du Canada, si la croissance du revenu disponible par rapport à 2016 avait été affectée en priorité à résoudre le déficit à la MPC, les personnes en situation d’excédent auraient quand même pu améliorer leur niveau de vie d’au moins l’équivalent de ce qui manquait cette année-là aux personnes en situation de déficit à la MPC.
On pourrait constituer ici une longue liste de décisions publiques qui, de 2002 à aujourd’hui, ont avantagé des populations déjà avantagées, voire très avantagées, plutôt que d’investir les dollars publics là où leur utilité marginale est la plus grande, notamment du côté des dollars vitaux dont le manque est particulièrement coûteux pour les personnes, pour leur communauté et pour la société tout entière. L’amélioration hors proportion au Québec pendant cette période des revenus dans la profession médicale, déjà dans les sommets de l’échelle des revenus, en est un exemple gênant63.
On pourrait citer d’autres décisions apparemment plus anodines, comme la baisse d’impôts de presque 1 milliard de dollars annoncée lors de la mise à jour économique de novembre 2017, ce qui a avantagé principalement les 4,2 millions de contribuables les plus riches, et principalement les contribuables avec un revenu imposable de 42 705 $ et plus, alors qu’une amélioration au même montant du crédit pour la solidarité aurait été un choix tout aussi possible et plausible, à la différence qu’il aurait avantagé cette fois la partie la plus pauvre de la population, soit les 2,7 millions de ménages, payant ou non de l’impôt, admissible à ce crédit qui s’éteignait dans les parages d’un revenu d’environ 50 000 $64, avec un avantage maximal pour des revenus de 33 695 $ et moins. Le premier choix augmentait les inégalités de revenu, le second les aurait réduites. D’où l’intérêt, encore une fois, de considérer l’ensemble de la population quand on parle de revenu et de pacte social et fiscal. Et de disposer d’outils appropriés pour pouvoir se situer sur ce terrain.
Devant ces résultats, Statistique Canada a procédé en 2022 à une réplication de la méthodologie utilisée pour les trois indicateurs d’inégalités développés par l’IRIS à partir de la MPC (écart à la MPC, indice panier – « coefficient du panier » dans la terminologie de Statistique Canada – et décomposition du revenu après impôt selon la MPC), cette fois sur l’ensemble du Canada et pour la période 2015-2020. Les résultats publiés en décembre 202265 seront soumis à la consultation lors de la prochaine révision périodique de la MPC, laquelle est prévue à partir de l’année de base 202366. Le tableau 767 tiré de cette publication laisse voir que les résultats obtenus sont en cohérence avec les publications de l’IRIS précitées, et qu’il y aura intérêt à effectuer diverses compilations et comparaisons, interprovinciales et autres, dans l’éventualité, souhaitable, d’une publication régulière de ces indicateurs par Statistique Canada.
Ces données devraient également permettre de mieux circonscrire l’impact sur la population de décisions publiques ayant trait au pacte social et fiscal et de diverses circonstances et conjonctures socioéconomiques. Déjà, cette première publication laisse voir, d’une part, que l’impact, déjà constaté, de l’apport des programmes de soutien du revenu pendant la première année de la pandémie de COVID-19 sur la baisse substantielle, et ponctuelle, des taux de faible revenu selon la MPC en 2020 était probablement attribuable en bonne partie à des ménages juste en dessous du seuil de la MPC. D’autre part, l’étude observe que, de 2015 à 2020, il y a lieu de supposer une croissance plus forte des revenus des ménages très au-dessus du seuil, que juste au-dessus68. Elle permet aussi, par la décomposition du revenu selon le seuil de la MPC, de discuter de l’ensemble de la distribution des revenus par décile : « En analysant les colonnes du déficit et du surplus, le tableau [Tableau 1 de la publication] montre les disparités en matière de capacité des revenus à couvrir les besoins de base au niveau du panier de la MPC entre les déciles de revenu. Par exemple, le manque à couvrir du coût du panier est presque entièrement concentré sur les familles du décile de revenu le plus bas. Simultanément, les familles du décile de revenu le plus élevé affichent un surplus de près de deux fois plus élevé que celles du neuvième de revenu69. » L’indice panier permet de poursuivre cette dernière analyse en montrant, comme on peut l’apercevoir au tableau 7, que le déficit moyen en cause a été d’un demi-panier et plus de 2015 à 2019, avec l’exception ponctuelle de 2020, pour les ménages du premier décile, et que le surplus double dont il est question entre le neuvième décile et le décile le plus élevé a systématiquement dépassé la valeur d’un panier et demi de plus en moyenne pour ce dernier décile pendant la même période.
La notion de niveau de vie
Ces données montrent la nécessité d’un débat constructif sur la réduction des inégalités de revenus. Comment le tenir dans une société en échelles où il est souvent tabou de révéler son revenu ? Quelles limites solidaires la société est-elle prête à poser et à s’imposer entre trop et trop peu pour converger davantage vers de plus justes milieux ? Quel niveau maximal de disparités de niveaux de vie serait à viser pour rendre possible la société sans pauvreté mise de l’avant au Québec par la Loi visant à lutter contre la pauvreté et au Canada par la stratégie canadienne70 ? Quelles règles du jeu faudrait-il modifier pour réduire les inégalités systémiques et l’exclusion sociale ou, dans une formulation positive, pour évoluer vers une société riche pour tout le monde et riche de tout son monde ? Quels choix démocratiques sont possibles de ce côté ? Avec quelles remises en question du jeu socioéconomique ? Inévitablement, les cadres sociaux et les règles du jeu demandent à être revisités à la lumière de ce qui en résulte dans la vie concrète, au quotidien. Et à être débattus en conséquence. D’où l’importance d’une participation citoyenne informée et équipée pour jouer correctement son rôle.
Le fait de pouvoir disposer d’un indice panier pour chaque décile de ménage, et la possibilité de décomposer le revenu disponible de ces ménages en fonction de cet indice de même qu’en fonction de la part de leurs dépenses dites non discrétionnaires qui est exclue du calcul de cet indice, ouvre la porte à la possibilité d’examiner les niveaux de vie associables à la situation de chaque décile. Cet aspect a été exploré en 2016 à l’occasion d’une simulation d’une journée en Gaspésie avec une centaine de personnes de niveaux de revenu variant du minimum assuré par l’aide sociale à des niveaux de revenu associables au 10 % et au 1 % le plus riche de la population71.
Les participant·e·s ont été affecté·e·s de façon aléatoire à l’une de dix tables représentant chacune un décile des ménages québécois selon leur revenu après impôt, du plus pauvre au plus riche, ou plus précisément selon l’indice panier moyen correspondant à ce décile. Chacune des tables devait explorer le niveau de vie possible avec l’indice panier moyen de son décile et disposait pour ce faire des revenus correspondant à cet indice panier pour diverses tailles de ménages. Une animation guidée présentait progressivement à la salle une séquence similaire de questions, ce qui amenait chaque table à en débattre en parallèle et à remplir à mesure le même tableau de réponses.
Les participant·e·s étaient ainsi invité·e·s à évaluer qui était dans cette situation en Gaspésie, et ce qu’un ménage pouvait ou non se permettre avec cet indice panier et le coefficient de dépenses hors panier trouvé pour ce décile dans la recherche de l’IRIS sur le déficit humain de 2016. La simulation cherchait aussi à évaluer l’impact des niveaux de revenu assignés à chaque table sur la façon dont pouvaient se vivre divers événements et aléas de la vie. Trois mises en situation étaient proposées : devoir suivre des traitements médicaux à l’extérieur de la région, passer au feu, recevoir un héritage de 5 000 $. Les participant·e·s en venaient ensuite à identifier sur quoi et sur qui ils et elles compteraient dans l’éventualité où ils et elles se retrouveraient dans la situation de revenu représentée par leur table. Une dernière question demandait aux participant·e·s de proposer une image représentative du niveau de vie correspondant.
La compilation des réponses recueillies a montré par la suite une cohérence étonnante dans la progression du niveau de possibilités évoqué par les participant·e·s, même si chaque table avait évalué uniquement la situation de revenu assignée à sa table. Par exemple, les réponses relatives au transport à la question sur ce qu’on peut ou non se permettre – en Gaspésie – ont évolué de se déplacer à pied (T1), au covoiturage et au stop (T2), à une voiture usagée ou à faible coût ou louée (T3), à une voiture modeste ou familiale (T5), à deux voitures et plus (T6, T8, T9, T10), dont une bonne voiture neuve (T7).
Le tableau 8 donne une illustration complète de cette cohérence en reproduisant la séquence des images choisies par chaque table pour décrire le niveau de vie ressenti en fonction du niveau de revenu représenté par cette table. L’image du funambule utilisée indépendamment tant par la table 4 que par la table 5 laisse voir une frontière assez nette entre l’évaluation de précarité caractérisant les cinq premiers déciles de revenu et l’évaluation d’aisance caractérisant les cinq derniers, à peu près à l’endroit où on retrouve le niveau moyen pour l’ensemble de la société, soit deux paniers.
Tout en permettant d’effleurer les passages possibles entre les chiffres et la vie, entre le quantitatif et le qualitatif, cette simulation a aussi permis de constater la lisibilité de l’indice panier pour les participant·e·s et son potentiel pour permettre de relier les inégalités de revenus aux disparités de niveaux de vie. Elle a également rappelé une évidence facilement oubliée en matière de revenus à assurer pour les protections sociales et les normes du travail : quand il s’agit de fixer de tels seuils, on ne peut faire l’économie de ce qu’il en coûte pour vivre.
Les planchers de revenu garanti
et à garantir
Quand l’argent monte, les droits baissent.
Blase Bompane
Ce rappel nous ramène à une autre évidence pour ainsi dire vitale : dans une société de droits où il faut un revenu pour vivre, il y a des niveaux de revenus en dessous desquels la société ne devrait pas aller. La question qui se pose alors est une question de société : qui décide de la hauteur de ces niveaux ? Les marchés ? L’État ? L’État influencé par les marchés et l’idéologie néolibérale ? L’État influencé par la population ? L’État influencé par la population influencée par sa position dans l’échelle des revenus ? L’État influencé par le parti au pouvoir lui-même influencé par la population qui vote pour lui ?
Chose certaine, même si la société québécoise s’est donné une Loi sur l’aide sociale en 196972, quelques années avant de se donner une Charte des droits et libertés de la personne en 197573, les mobilisations citoyennes relatives à l’aide sociale qui ont eu lieu par la suite ont presque toujours été motivées par des garanties minimales de revenu menacées de reculs formulés le plus souvent sous le couvert de l’incitation à l’emploi74.
La mobilisation qui a conduit à la proposition de loi citoyenne de 2000 n’a pas fait exception. Dans les années précédentes, plusieurs revendications avaient rencontré des fins de non-recevoir. C’était le cas de la clause d’appauvrissement zéro du cinquième le plus pauvre de la population mise de l’avant au Sommet sur l’économie et l’emploi de l’automne 1996, alors que l’État s’employait à convaincre les représentant·e·s de la société civile à ce sommet du bien-fondé d’une loi à venir sur le déficit zéro. C’était aussi le cas du barème plancher réclamé par le Front commun des personnes assistées sociales du Québec, alors que l’État s’employait à introduire des pénalités sur des prestations déjà trop basses aux moins de 25 ans qui refuseraient des parcours de formation et d’insertion à l’emploi obligatoires.
Ces deux revendications ont trouvé place dans la proposition citoyenne de 2000 :
16. Aucune mesure, notamment législative et réglementaire, ne peut avoir pour effet d’appauvrir les personnes constituant le cinquième le plus pauvre de la population.
17. Toute personne admissible à la prestation versée au titre de la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la solidarité sociale (L.R.Q. chapitre S-32.001) doit avoir accès à un revenu plancher. Ce revenu plancher est constitué de cette prestation et des revenus, gains et avantages qui peuvent lui être ajoutés. Aucune réduction ne peut avoir pour effet de priver cette personne de ce revenu pour un mois donné.
À compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, le gouvernement porte le montant de la prestation payable à toute personne admissible au programme d’assistance-emploi au niveau de celle qui est payable à une personne présentant des contraintes sévères à l’emploi. […]
Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, 2000
La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale a conduit à l’abandon de ce genre de sanctions en 2005. Celles-ci sont toutefois réapparues en 2015 avec l’introduction du programme Objectif Emploi imposé aux personnes demandant l’aide sociale une première fois75.
Une synthèse produite pour le CCLPES en 2013 à l’occasion des dix ans de la loi a laissé voir une réponse fortement récurrente parmi les acteurs de divers secteurs de la société interrogés sur ce qu’ils verraient comme premier pas pour continuer d’appliquer la loi et avancer vers un Québec sans pauvreté : l’amélioration des revenus des plus pauvres76.
Alors quels sont les revenus minimaux en usage aujourd’hui et sur quels planchers de revenu devrions-nous nous entendre comme société ?
Il faut en effet connaître la situation dans sa réalité pour pouvoir agir dessus. Un fascicule de la documentation du budget du Québec 2016-2017, Le régime québécois de soutien du revenu77, s’est avéré particulièrement utile pour faire le point.
Dans le chapitre « Bien-être »78 de l’ouvrage Cinq chantiers pour changer le Québec, paru en 2016, l’IRIS en a pris acte pour montrer comment il serait possible, à partir de la situation décrite dans ce fascicule, de remédier au déficit de couverture des besoins de base selon la MPC et de se diriger vers une société sans pauvreté tout en respectant l’esprit des consensus reflétés dans la proposition de loi citoyenne de 2000. Ce chapitre reprenait des aspects clés de ces consensus en imaginant un chemin possible de transformation du pacte social et fiscal selon les paramètres suivants :
1) Le dosage travail-fiscalité-protections sociales permet d’assurer la couverture des besoins de base de toutes et tous.
2) Le salaire minimum permet à une personne travaillant à temps plein de sortir de la pauvreté.
3) Après la sortie de la pauvreté, la contribution aux finances publiques augmente en importance à mesure que le revenu augmente79.
Pour baliser ce chemin et envisager des actions possibles, le texte référait aux indicateurs et à l’outillage conceptuel en cours de développement par l’IRIS sur les écarts de couverture des besoins de base tels que reflétés par l’écart à la MPC, et sur le niveau de vie à rechercher pour un revenu/salaire viable :
Sans pour autant écarter un ensemble plus large de mesures pouvant contribuer à éliminer le déficit à la MPC au Québec, trois actions complémentaires pourraient être enclenchées assez rapidement dans cette direction :
1) Étendre le rôle du crédit d’impôt pour solidarité (CIS), en complément des autres formes de revenu, en vue d’assurer à terme la couverture des besoins de base dans le revenu disponible des ménages.
2) Éliminer la discrimination systémique à l’égard des personnes seules et des ménages sans enfant afin de protéger de façon équivalente le niveau de vie minimal des divers types de ménages.
3) Augmenter en parallèle le salaire minimum jusqu’au niveau du salaire viable développé par l’IRIS pour que toute personne qui travaille à temps plein sorte de la pauvreté.
Ces trois actions reconnaissent un ensemble plus large de fondements à la décision publique que la seule incitation à l’emploi, tout en tenant compte de cette contrainte inhérente au système productif tel qu’il existe présentement80.
Les deux premières actions visaient « [u]ne solidarité assurant un niveau de vie comparable à tous les types de ménages dans la manière de garantir les revenus minimaux des ménages sans revenu d’emploi ». Un tableau montrait l’asymétrie dans la manière de garantir le revenu de base des ménages sans revenu d’emploi dans le Régime québécois de soutien du revenu entre les familles avec ou sans enfants à la suite de l’amélioration des dispositifs d’allocations familiales depuis les années 2000, et les rattrapages à accomplir pour les ménages sans enfant. Le recours au crédit d’impôt pour la solidarité apparaissait comme une voie possible pour procéder à ce rattrapage, et avancer en direction d’une couverture des besoins de base qui tiendrait compte aussi des besoins particuliers de certains ménages. Comme cette proposition garde son actualité et pourrait contribuer aux débats à tenir sur un prochain pas plausible et politiquement réalisable, voici comment elle se déployait :
On remarque que non seulement les programmes de sécurité du revenu actuels sont insuffisants, mais qu’en plus ils sont discriminatoires à l’endroit de certains types de ménages, soit les personnes seules et les couples sans enfants.
Si on misait sur le crédit d’impôt pour la solidarité pour faire en sorte que les revenus couvrent les besoins de base, il faudrait corriger ces inégalités. À cette fin, la mise à niveau vers une couverture complète selon la MPC pourrait se faire en deux temps : la progression de l’ensemble des ménages vers un même taux de couverture et la progression de ce taux vers une couverture complète.
Pour assurer une base de revenu comparable à l’ensemble des ménages, il faudrait aussi considérer certains besoins particuliers, qui varient d’une situation à l’autre et qui affectent le revenu disponible pour les besoins de base.
À cet égard, une caractéristique un peu compliquée de la MPC, qui la différencie de la définition du revenu après impôt, pourrait se révéler un avantage. En effet, trois types de dépenses sont exclus du calcul de la MPC81 : les frais professionnels, les frais de garde et les soins de santé non assurés. Or ces trois types de dépenses ont justement à voir avec un ensemble assez large de besoins particuliers qui pourraient être traités comme tels dans la fiscalité.
La fiscalité prévoit déjà des dispositifs distincts pour tenir compte des frais de garde : le Programme de services de garde à contribution réduite et le crédit d’impôt remboursable pour frais de garde d’enfants au Québec, auxquels s’ajoute la déduction pour frais de garde d’enfants du fédéral.
Logiquement, il faudrait prévoir des dispositifs de compensation similaires pour les frais professionnels et les soins de santé non assurés, lesquels ne sont présentement que partiellement intégrés à la fiscalité. Une telle façon de faire aurait l’avantage de tenir compte des besoins supplémentaires relatifs à certaines situations particulières tout en facilitant l’intégration à l’emploi. À l’inverse, dans le régime d’aide sociale actuelle [sic], la transition vers l’emploi est souvent gênée par la perte de certaines compensations qui sont certes peu élevées, mais significatives quand la condition des personnes l’exige. On peut penser ici aux soins dentaires de base ou à l’achat de certains appareils médicaux82.
Cet exemple met par ailleurs en évidence l’avantage que peut procurer l’existence d’une documentation gouvernementale accessible couplée à des critères et à des indicateurs revisités en fonction des aspirations qui s’expriment sur le terrain de l’action citoyenne.
L’outil de calcul83 publié et mis à jour annuellement par le ministère des Finances du Québec pour permettre l’évaluation du revenu disponible après impôt d’un ménage en fonction du revenu gagné est un autre exemple d’une documentation gouvernementale permettant un consensus sur les chiffres à défaut d’un consensus sur les moyens d’action. On en retrouve divers usages dans les publications annuelles de l’IRIS sur le revenu viable, notamment pour examiner un ensemble de situations de revenu par rapport aux seuils de référence mis de l’avant pour la couverture des besoins de base et la sortie de la pauvreté.
Faut-il un plafond au revenu ?
« Nous, on survit au dollar près, pis le
gouvernement nous poursuit au dollar près. »
Jacques, prestataire de l’aide sociale, Québec, 2004
Les travaux qui viennent d’être présentés montrent l’importance de suivre l’ensemble de la population dans l’équation des revenus disponibles, la possibilité de décomposer ces revenus en fonction des seuils de la MPC, et le potentiel de cette approche pour constater et dégager les marges de manœuvre qui pourraient permettre d’en finir avec le déficit de couverture des besoins de base selon la MPC tout en portant attention aux niveaux de vie de ceux et celles qui les couvrent déjà. C’est un des avantages d’utiliser la MPC non seulement comme repère relié à la pauvreté, mais aussi comme repère des inégalités de revenus et des différences concrètes de niveaux de vie qui en découlent tout au long de l’échelle des revenus.
Il y a en effet dans l’expérience de la pauvreté une question de niveau de vie liée à la fois au coût de la vie, dont la MPC et le revenu viable fournissent une sorte de thermomètre à deux lectures, et à la position relative qu’on occupe par rapport aux moyens dont dispose la société, ce qu’on se met à percevoir quand on observe l’ensemble des ménages par rapport à ces critères minimaux.
Il est plus difficile de faire abstraction de ces dimensions quand la question des revenus des plus pauvres vient rejoindre celle des revenus des plus riches. Ce faisant, il devient envisageable également d’aborder une question restée sans réponse dans les travaux du Carrefour de savoirs sur les besoins essentiels au début des années 200084 : pour se diriger vers un Québec sans pauvreté, s’il faut garantir des planchers de revenus, faut-il prévoir aussi des plafonds ? Dans le monde du travail, si la question des limites supérieures d’échelons, autrement dit des plafonds, est courante dans les échelles salariales qui servent de référence pour l’allocation de la rémunération par corps d’emploi dans plusieurs secteurs, elle conduit en général plutôt à positionner ces corps d’emploi les uns par rapport aux autres : on ne paiera pas plus que tant pour tel type de travail, alors que pour tel autre type de travail, on paiera jusqu’à tant. Considérés ainsi, dans la société telle que nous la connaissons, ces plafonds salariaux par catégories d’emploi contribuent en fait à déterminer des disparités de niveaux de vie. Ils deviennent ainsi des marqueurs de strates sociales. C’est ce qui s’est trouvé reflété dans la simulation réalisée en Gaspésie, alors que les participant·e·s n’ont eu aucune difficulté à identifier des professions représentatives de l’indice panier et du niveau de vie qui leur étaient assignés. Par ailleurs, si on considère l’ensemble de la population et des possibilités de revenus, il n’y a en fait pas de limite supérieure aux revenus des particuliers. Dans le décile le plus riche des ménages, il y a le centième le plus riche, dans celui-ci, le millième. C’est un peu ce qui a été mis en évidence depuis le début des années 2000 par les mouvements citoyens comparant le 1 % le plus riche au 99 % restant de la population85.
L’urgence climatique apporte à son tour de nouvelles dimensions à la question. Au cours des années 2010, l’économiste anglaise Kate Raworth a mis en cause les approches où, pour reprendre des expressions québécoises, les un·e·s sont « dans le trou » pendant que, pour d’autres, « the sky is the limit », en proposant un modèle en anneau (« donut ») comme cadre de référence pour l’économie du XXIe siècle. Cet anneau délimite un « espace juste et sûr pour l’humanité » entre un plancher social comportant plusieurs dimensions, dont le revenu, et un plafond environnemental à respecter dans l’usage des ressources planétaires pour que cet espace reste possible86. Le parcours citoyen québécois décrit dans le présent document pour approcher le revenu dont on dispose dans le « rouge, jaune, vert » rejoint en quelque sorte, à tout le moins visuellement, ce recadrage, comme on peut le constater avec l’illustration 10, comme s’il modélisait certaines caractéristiques à considérer pour le revenu des particuliers dans l’épaisseur de cet anneau.
Rappelons par ailleurs que des publications récentes mettent en évidence la part excessive du budget carbone disponible pour rencontrer les cibles de réduction des gaz à effet de serre qui est captée en haut de l’échelle des revenus sur la planète87.
Il pourrait être intéressant par exemple d’examiner plus attentivement l’empreinte carbone des ménages en fonction de leur indice panier. Comment se comporte l’empreinte carbone du second, du troisième et du quatrième panier de consommation disponible dans le revenu d’un ménage comparativement au premier panier ? La simulation réalisée en Gaspésie en 2016 laisse entrevoir des différences et des progressions méritant considération, ne serait-ce, par exemple, que dans la sphère du transport, entre un niveau de revenu ne permettant pas l’achat d’un véhicule et limitant les déplacements, jusqu’à l’achat et l’usage d’un véhicule usagé, puis neuf, modeste, puis de plusieurs véhicules, de plus grande capacité, y compris les véhicules récréatifs, sans compter les progressions dans la possibilité de voyager et de prendre l’avion une ou plusieurs fois par année.
Une vidéo de la série Plan B publiée par Le Monde88 indique qu’en 2022, les émissions annuelles de gaz à effet de serre des Français·es sont en moyenne de 10 tonnes par personne, alors qu’elles devraient être ramenées à 2 tonnes d’ici 2050 pour « limiter le changement climatique ». Par ailleurs, cette empreinte est différenciée selon les niveaux de revenu, soit 5 tonnes en moyenne pour la moitié de la population la plus pauvre, celle qui est sous le revenu médian, 9 tonnes en moyenne pour le 40 % juste au-dessus, et près de 25 tonnes en moyenne pour le 10 % le plus riche. On voit ici le risque d’erreur de ciblage des politiques environnementales si celles-ci ne formulent pas leurs injonctions de modération en fonction du degré de surconsommation des ménages. Et celui de comparer des pays sur leur empreinte carbone moyenne, alors que ces empreintes sont différenciées à l’intérieur de ces pays. Ces priorisations et comparaisons supposent par ailleurs de distinguer les changements à apporter dans les modes de production et ceux qui concernent les modes de consommation, les uns ne conduisant pas nécessairement aux autres et les deux types de changements étant nécessaires.
De tels discernements supposent une connaissance étendue des moyens dont l’ensemble des populations disposent ou non pour vivre, survivre et bien vivre. Les moyennes, et les discours apparemment centrés sur la classe moyenne, ne laissent pas voir les disparités réelles dans une population, d’où l’intérêt, voire la nécessité, de poser la question des plafonds pour pouvoir répondre à celle des planchers, tant sur le plan environnemental que social, et pour éviter que ces planchers, inacceptables pour la majorité de la population, soient considérés et gérés comme des plafonds inatteignables par définition pour les plus pauvres.
Apprendre à vivre et à bien vivre entre des planchers et des plafonds communs
Si l’heure est aux discours sur la sobriété, un terme en émergence dans l’espace public, il y a lieu de se demander : sobriété de qui, en quoi, et en fonction de quels cadres de référence ? Il y a en effet peu à espérer de changements de comportements substantiels et durables dans une société qui fonctionnerait sans remettre en question l’idée reçue d’une échelle de revenus sans limite supérieure comme cadre de référence dominant pour la vie en société.
Alors dans quoi d’autre s’imaginer ? C’est déjà beaucoup de poser la question dans un monde capitaliste où la vie dans cette échelle implicite se présente comme un a priori et où lutter contre les inégalités se résumera souvent à parler de mobilité sociale en termes d’ascension et d’ascenseur social bloqué à débloquer. Il y a lieu de continuer de chercher des réponses à cette question.
Mentionnons pour le moment que la métaphore de l’anneau proposée par Kate Raworth a l’avantage de rappeler que d’autres dynamiques que la croissance sans limites sont à l’œuvre dans l’aventure humaine, comme elle l’a expliqué dans une entrevue publiée en 2017 par la revue Projet :
La notion de « limites » est délicate pour les cercles politiques et les milieux d’affaires. Elle suscite même une certaine hostilité : on la présente volontiers comme une contrainte face au désir d’innover, au dépassement, un obstacle à des découvertes fondamentales. Pourtant, nous vivons dans nos limites biologiques et nous nous développons grâce à elles. Nous savons respecter les limites de notre corps pour rester en bonne santé : manger suffisamment mais sans excès, se protéger du froid sans trop se chauffer, élever son rythme cardiaque sans risquer une attaque. Quand votre enfant a de la fièvre, vous faites tout pour que celle-ci baisse. Nous nous portons mieux quand nous vivons à l’intérieur des limites des systèmes vivants, mais notre modèle centré sur la croissance résiste ! Dépasser cette obsession pour la croissance est une des transformations les plus difficiles et les plus nécessaires de notre siècle89.
Notre rapport à la vie en chair et en os nous enseigne en effet tout autre chose : on ne peut faire longtemps l’économie de ce qui nous permet de survivre, vivre et bien vivre dans de justes milieux, lesquels supposent des milieux justes. Juste bien.
Il n’est peut-être pas anodin que des quêtes de justice sociale et de justice environnementale se rejoignent sur cette question de limites vitales à honorer et à respecter, et que ces quêtes trouvent une inspiration, voire des ancrages, dans diverses traditions et cultures du bien vivre. Lesquelles font une large place à l’expérience du sensible, d’autant plus qu’il s’agit de bien vivre ensemble les pieds sur terre. Et sur une Terre dont on prend soin.
Les éditions du Forum international pour le bien vivre tenues à Grenoble, en France, en 2018 et en 2022 en sont de bons exemples90. Au croisement des traditions sud-américaines du buen vivir, ou « bien vivre », et d’autres traditions similaires, de la reconsidération de la richesse et de ses indicateurs, dont le produit intérieur brut91, et de diverses expérimentations terrain, ces rencontres ont permis une concertation inédite d’acteurs engagés dans une variété d’initiatives de recherche et d’actions sur le terrain.
L’édition 2018, dont le thème était « Richesse(s), bonheur : Quels indicateurs pour inventer demain ? », a mis la table :
Depuis plus de 30 ans, de nombreuses expériences promouvant d’autres boussoles ont été menées à l’échelle internationale, régionale et locale. Toutes cherchent à mettre au cœur de l’action, des indicateurs de richesse alternatifs au PIB, complémentaires aux seuls indicateurs économiques. Ces initiatives interrogent l’idée d’une croissance infinie dans un monde fini. Leur ambition est de mesurer et de mieux prendre en compte le bien-être, l’environnement, le développement humain et social, la qualité de vie, le vivre-ensemble.
Pour tous les acteurs et citoyens engagés dans la construction d’une société juste et soutenable, la question des indicateurs permet de poser les bases d’une action concertée. Le Forum International pour le Bien Vivre, événement exceptionnel en France et en Europe, propose de franchir un pas de plus, de l’observation à l’action : comment ces indicateurs peuvent-ils promouvoir un modèle de société juste et soutenable92.
Dans l’édition 2022, ayant pour thème « Tenir ensemble le cap d’une société juste et soutenable », les organisateurs ont souhaité « faire un pas de plus afin d’accélérer le changement de boussole dont les crises récentes ont conforté l’impérieuse nécessité. Il s’agira aussi de traduire en actes et en indicateurs le bien vivre, entre plafond environnemental et plancher social et de continuer à soutenir, élargir et nourrir la communauté des acteurs et actrices de ce changement93 ». Des expérimentations s’appuyant sur le modèle en anneau de Kate Raworth en cours dans des villes européennes y ont été présentées, dont une initiative dans la ville d’Amsterdam pour relier dans un même projet des objectifs touchant à des planchers sociaux et à des plafonds environnementaux précis à assurer94. Dans ces « Doughnut Deals », mis de l’avant par la coopérative Groene Hub, des ententes sont signées entre deux partenaires (civils, publics, privés) ou plus, pour croiser au moins trois aspects en déficit du côté des fondations sociales et un aspect en dépassement du côté des plafonds environnementaux, dans une perspective de transformation des règles du jeu économique suivant les principes mis de l’avant par Kate Raworth pour une transition sociale, environnementale et économique soutenable au XXIe siècle95.
Sans verser dans la fascination rapide pour un modèle qui demande lui aussi plus ample considération96, sa topologie circulaire invite à penser autrement pour agir autrement. L’intuition de développer des cadres d’action liant des planchers et des plafonds à assurer vers « un espace juste et sûr pour l’humanité » rejoint aussi celle du deuxième principe de la proposition citoyenne de 2000 visant à prioriser l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre de la population plutôt que ceux du cinquième le plus riche.
Il n’est peut-être pas anodin non plus qu’un travail de croisements de savoirs mené par l’Université d’Oxford et le Mouvement international ATD Quart Monde publié en 201997, et présenté lors du Forum98, emprunte lui aussi un modèle circulaire pour décrire les dimensions cachées de la pauvreté telles que vécues dans la réalité par des personnes qui en font l’expérience dans la durée. Comme le montre l’illustration 11, on pourrait presque y lire une description du « trou » au milieu de l’anneau dans le modèle de Kate Raworth.
Comme le programme et les présentations du Forum de 2022 le démontrent, l’idée d’explorer et d’apprendre à vivre entre des planchers et des plafonds communs a fait du chemin depuis 2018 dans les réseaux qui y ont participé. C’est une bonne nouvelle. Et si elle prend diverses formes dans les expérimentations présentées au Forum, entre autres dans quelques villes européennes, elle fait la démonstration que certaines instances dans des sociétés auxquelles le Québec peut se comparer sont prêtes à envisager concrètement qu’une autre économie est possible. De son côté, un regroupement québécois multisectoriel réunissant notamment des acteurs des milieux environnemental, syndical, patronal, universitaire, culturel, de la finance et de l’économie solidaire, du développement de l’emploi, de la gestion, des technologies et de l’urbanisme, le G15+99, a commencé à mettre en question le tout-au-PIB et s’intéresse à l’« économie du beigne » dans sa quête d’indicateurs de bien-être pour le Québec100. Ce faisant, il laisse voir que certaines idées font aussi du chemin au Québec.
Si le modèle mis de l’avant par Kate Raworth associe des planchers sociaux à des plafonds environnementaux, on pourrait envisager, et les indicateurs présentés dans le présent document le laissent entrevoir, que des plafonds environnementaux à ne pas dépasser supposent aussi des plafonds d’enrichissement monétaire à l’avenant, notamment sur le plan des revenus.
Chose certaine, si une société sans pauvreté semble une impossibilité dans une dynamique de croissance des revenus et des avoirs sans limite supérieure, cette éventualité devient envisageable dans une société qui reconsidère son rapport à la richesse et se désire riche pour tout le monde et riche de tout son monde. Autrement dit, dans une société où on valorise un bien-vivre mieux partagé, entre des planchers et des plafonds de ressources nommés, convenus, assumés. Et revisités régulièrement.
À cet égard, et pour revenir au Québec, on peut considérer que les indicateurs de revenu développés par l’IRIS et présentés dans ce document, et en fait toute approche des indicateurs qui tient compte de l’ensemble de l’échelle des revenus, offrent des possibilités intéressantes tant sur le plan environnemental que social pour un recadrage du rapport collectif aux revenus dans le pacte social et fiscal vers un bien-vivre mieux partagé :
- la prise en compte des dollars vitaux, dont l’absence met les gens « dans le rouge » ;
- l’invisibilité des degrés de couverture des besoins rendue visible, incluant le déficit à la MPC en dessous de la ligne habituelle des graphiques, soit les montants qui manquent à la couverture des besoins de base, et ceux qui en débordent un peu, beaucoup, énormément ;
- un cadre de référence commun pour apercevoir les différences de niveau de vie des ménages des plus pauvres aux plus riches ;
- la possibilité d’explorer comment prendre en compte les mécanismes systémiques de (re)production de la richesse, de la pauvreté et des inégalités, et leurs impacts sur les revenus et sur les niveaux de vie des un·e·s et des autres de même que sur la qualité de vie collectivec ;
- la possibilité de faire le suivi régulier de la mise en œuvre d’un principe d’action visant l’amélioration prioritaire des revenus du cinquième le plus pauvre sur celle des revenus du cinquième le plus riche.101
Quelles suites donner à ces indicateurs et comment agir ?
Nos cerveaux sont aussi des territoires occupés.
Lorraine Guay
Ce parcours conceptuel étant maintenant posé, de même que le tableau de bord d’indicateurs élargis à l’ensemble de l’échelle des revenus auquel il conduit, comment cet outillage peut-il être mis au service de la quête d’un Québec sans pauvreté telle qu’elle se présente aujourd’hui, qui plus est dans un contexte d’urgence climatique ? On pourrait parler de la nécessaire quête d’une société riche autrement et notamment riche de tout son monde.
Le tableau de bord, tel qu’il est esquissé au graphique 2 et aux tableaux 3, 4 et 5, permet de voir l’éléphant dans la pièce qu’est souvent l’échelle des revenus dans le débat public, incluant son caractère apparemment sans limites supérieures102. Plusieurs animations réalisées auprès de publics divers à l’automne 2022 montrent qu’il est possible de le partager efficacement103 et d’y relier des questions d’actualité104.
En même temps, le revenu des particuliers et des ménages n’est qu’un des éléments à prendre en compte pour évoluer vers une société de justes milieux où bien vivre ensemble dans le respect et le soin de soi, des autres et de l’environnement devient largement désirable parce qu’on en expérimente les bienfaits105. La feuille de route décrite dans la proposition de loi citoyenne du printemps 2000 intégrait cet aspect dans un ensemble beaucoup plus large de préoccupations : les causes structurelles dans le système économique et l’héritage du patriarcat, la réalisation effective des droits de la personne, le pacte social et fiscal à transformer, la participation des personnes en situation de pauvreté aux processus qui les concernent et les dialogues à amorcer dans la société, le rapport à l’emploi et à l’activité à faire évoluer, la responsabilité des entreprises, l’accès à la santé, à l’éducation, au logement, aux loisirs et à l’ensemble des services publics, l’encadrement de l’action gouvernementale dans la réalisation de la feuille de route et les recours possibles, les solidarités à promouvoir, locales, nationales et internationales, avec les Premières Nations, les recherches à entreprendre, incluant des analyses différenciées selon l’âge, le sexe et d’autres motifs de discrimination incluant leur intersection106. On y ajouterait volontiers aujourd’hui une lecture postcoloniale, et la question environnementale, absente de la proposition de loi citoyenne et néanmoins préfigurée pour ainsi dire dans le choix d’un petit rameau vert apparaissant dans son logo pour signifier la dimension « sans pauvreté » à ajouter aux institutions québécoises.
Comment bouger à partir de là ? Il y aurait en soi matière à revisiter comment les consensus larges, et largement débattus107, énoncés dans cette proposition et sa feuille de route ont évolué depuis 20 ans, comment chacune des dimensions évoquées peut être reliée aujourd’hui à la question des revenus, et quels seraient les consensus possibles aujourd’hui à la lumière des 20 dernières années108.
Un autre option, disons pragmatique, peut consister à continuer de penser autrement pour agir autrement. Le parcours conceptuel décrit dans ce document a été amorcé sur le terrain, depuis le bas de l’échelle sociale, de façon largement inédite, en théorie et en pratique, avec des personnes vivant la pauvreté et des intervenant·e·s proches d’elles qui ont voulu « penser librement et donner au suivant »109. Alors pourquoi ne pas faire directement place à cette intelligence citoyenne ?
On peut ainsi penser à deux voies d’action pour continuer d’avancer, en théorie comme en pratique, dans la suite des chemins décrits dans ce document de réflexion :
- intégrer l’échelle des revenus et la préoccupation d’un bien-vivre mieux partagé dans une réflexion croisée sur le pacte social, fiscal et environnemental ;
- expérimenter concrètement la quête d’un bien-vivre mieux partagé et l’outiller en reliant l’action locale et l’action globale.
La première proposition invite à continuer de modéliser à plusieurs depuis le bas de l’échelle. Et la seconde, à continuer d’essayer à plusieurs d’agir à son échelle dans le sens préconisé.
Il y a un avantage immédiat à préférer la rencontre des intelligences et des expériences à la main invisible du marché et aux stratégies électorales : on mise alors sur des communautés et sur des citoyennes et citoyens qui, en s’informant110 et en informant, enrichissent la question abordée et s’enrichissent mutuellement tout en vivant une expérience directe de démocratie apte à leur donner le goût de continuer de la faire fonctionner111. Cet avantage est multiplié quand des personnes à la marge des règles du jeu dominant et mal servies par ces règles se joignent à la réflexion, voire se retrouvent au cœur de cette réflexion : elles peuvent permettre de percevoir des anomalies dans ces règles du jeu et leurs cadres de référence qui peuvent rester invisibles ou sembler normales pour ceux et celles que ces règles, implicites ou explicites, servent ou du moins ne desservent pas autant. Encore faut-il qu’elles puissent être entendues et soutenues dans leur apport quand elles soulèvent ces anomalies, et qu’elles soient encouragées à aller au bout de leur pensée quand ces instants révélateurs se présentent, pour que d’autres puissent voir autrement à leur tour, en venir éventuellement à penser autrement à plusieurs et depuis plusieurs perspectives, et ainsi redessiner ensemble leur cadre de référence initial vers un modèle plus satisfaisant qui tienne compte des anomalies constatées112.
Penser et repenser la société depuis le bas de l’échelle, à côté, mais juste à côté des cercles plus institués, universitaires ou autres, qui ont plus facilement le haut du pavé dans le débat public, permet en outre d’éviter les biais d’écoles de pensée et de chapelles, où quêtes de savoir et quêtes de statut et de pouvoir peuvent facilement être confondues quand elles se délestent de la gravité et de la diversité de la vie concrète. C’est pour ainsi dire un des privilèges épistémiques des personnes aux marges des cadres de référence dominants de pouvoir rester « terre à terre ». Un autre étant celui de permettre à tout un groupe, peu importe sa scolarisation et ses spécialisations, de penser librement en dehors d’un langage codé. Et de modéliser le monde avec les mots de tous les jours et la poésie souvent puissante et remuante des métaphores qu’ils peuvent susciter113.
Nous pouvons revenir ici à l’image décrite par Pierre Angers en 1998 et mentionnée au début de ce document : au bord d’un trou, une échelle dont le premier barreau est cassé. Et mentionner une phrase de Lucien Paulhus, un participant de Drummondville à l’une des nombreuses animations tenues au Québec entre 1998 et 2000 pour recueillir des suggestions quant à la proposition de loi citoyenne à élaborer en direction d’une société sans pauvreté. Il s’était exprimé ainsi en référence au logo feuillu qui accompagnait ces animations : « Je suis une feuille à côté de l’arbre. Après la loi, je serai dans l’arbre. » Cette phrase a ensuite été intégrée dans le préambule de la proposition de loi citoyenne. Elle a inspiré une réflexion continue pendant toute cette période sur la façon de transformer une échelle en arbre, soit en un modèle d’organisation collective plus organique, inclusif et épanouissant qu’un idéal d’ascension sociale. À quoi comparerions-nous aujourd’hui le modèle de société à viser pour passer d’une échelle des revenus sans limite supérieure à une façon de voir le pacte social, fiscal et environnemental qui permettrait d’avancer concrètement vers un bien-vivre mieux partagé ?
Les années 1990 ont été marquées sur le plan de l’action citoyenne au Québec par la quête d’un projet de société plus satisfaisant qu’une social-démocratie contrainte par le capitalisme néolibéral. La Charte d’un Québec populaire de 1994 en a été un bon exemple114, tout comme la Marche du pain et des roses de 1995, qui a cherché à réunir plusieurs luttes féministes contre la pauvreté et la violence dans une démarche plus globale.
Héritière de ces initiatives proactives, entre la réflexion et l’action, une particularité des démarches terrain qui ont accompagné la quête de vision mise de l’avant pour un Québec sans pauvreté au tournant des années 2000 a été de faire appel à la modélisation, autrement dit à des activités permettant de faire de la théorie sociale à plusieurs, et de le faire à partir de l’expérience directe qu’avaient les participant·e·s de leur société plutôt qu’à partir d’une revue de la littérature, comme on pourra le faire dans des cercles plus académiques.
Sans en faire une recension détaillée, divers outils ayant marqué ce parcours peuvent inspirer une réflexion actualisée sur le pacte social, fiscal et environnemental à rechercher pour aller en direction d’un bien-vivre mieux partagé en toute conscience de l’échelle des revenus sans limites supérieures qui prévaut dans le modèle implicite actuel. On pourrait citer l’histoire du gâteau, l’histoire de la soupe au caillou et l’exercice de la chaise, qui ont servi de déclencheurs dans les animations visant à recueillir des suggestions pour la loi à construire. L’exercice d’une journée « dans » le produit intérieur brut, le produit intérieur doux et la dépense intérieure dure, qui permet à un groupe de réviser la part du « monétaire » et la part du « non monétaire », ainsi que celle du doux et du dur dans le déroulement d’une journée récente, un exercice qui donne l’occasion de reconsidérer son rapport à la richesse. De même, l’exercice des escaliers roulants115, inspiré d’une déclaration de 2003, Le droit de nos droits116, venue de personnes en situation de pauvreté, peut être appliqué à une décision publique, un budget de l’État, un programme ou une situation donnée. Il permet de se demander si cette situation comprend des « escaliers roulants du haut » qui montent, avec des gens en moyens dont la vie est ainsi facilitée, pendant que d’autres cherchent à monter dans des « escaliers roulants du bas » qui descendent, et il conduit à chercher comment il serait possible d’agir sur les escaliers. Plus récemment, une série de jeux à animer diffusée par le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec a permis de réfléchir sur divers aspects de « La société et nous », en passant par des analogies et diverses formes d’expression individuelles et collectives117. Il y en aurait bien d’autres.
Autrement dit, l’usage des indicateurs de revenu servant à se situer dans l’échelle sociale, à équiper l’action citoyenne et à motiver la décision publique suppose d’être situé à son tour dans un cadre plus grand. L’illustration 12 présente le cadre de référence, issu de telles réflexions croisées, au Québec et en France, qui a été élaboré à partir de 2015 par le Collectif pour une protection sociale solidaire118 pour remettre en question le système de protection sociale français dans une perspective de refondation sur des principes qui tiendraient davantage compte de l’ensemble de la population que le modèle existant, historiquement fondé sur le travail d’un chef de famille pourvoyeur.
À quoi pourrait ressembler un cadre de référence similaire adapté au « mille-feuille » québécois avec ses doubles juridictions québécoise et fédérale dans l’aménagement des protections en cause ? Quelles questions permettrait-il de poser ? On peut déjà en poser une : comment aborder, et mettre en rapport avec la variété des situations de vie, des indicateurs de revenu calibrés sur des estimations, des enquêtes, des cas types, des moyennes dans les habitudes de dépenses ? La question reste ouverte.
Si les questions restent ouvertes, la vie, elle, n’attend pas. Les 20 dernières années ont montré que ces questions peuvent être portées tant sur le plan local que sur le plan global. Elles supposent notamment des laboratoires de pratiques sur lesquelles des groupes et des communautés peuvent avoir prise pour faire place au sensible, reconsidérer la richesse, générer des espaces d’égalité et réduire les inégalités de revenus et leurs effets. Elles supposent aussi des initiatives collectives visant une transformation plausible, convaincante et conséquente des règles du jeu dans l’espace politique et démocratique. D’où l’importance d’expérimenter concrètement la quête d’un bien-vivre mieux partagé et l’outiller en reliant l’action locale et l’action globale.
À cet égard, un autre outil, né du besoin d’équiper des acteurs terrain, et nourri du travail conceptuel réalisé au bas de l’échelle des revenus au cours des 20 dernières années avec des personnes en situation de pauvreté et des organisations qui cherchent à penser autrement pour agir autrement, a aussi accompagné les animations mentionnées plus haut au cours de l’automne 2022119. Intitulé « Entre le local et le global, nos projets passent-ils le test ? », il propose ainsi une dizaine de tests pour confronter les situations, les actions, les idées d’actions et les projets à certaines perspectives qui permettent d’agir en conscience de l’échelle des revenus plutôt qu’en son absence : le test des personnes au cœur du processus, le test des escaliers roulants, le test de l’anneau, le test de la couverture des besoins de base, le test des deux bouts à joindre, le test des dollars vitaux et locaux, le test du fric, du doux et du dur, le test du lampadaire, le test de l’horizon et, enfin, le test… encore à inventer. Il reste beaucoup de chemin à parcourir et à reparcourir. Alors quels pourraient être les prochains pas ?
1 Ce document de réflexion s’appuie sur des recherches financées par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
2 Nancy DEVIN et Raphaël LANGEVIN, Recherche sur la mesure du panier de consommation : indicateurs supplémentaires d’inégalité de revenu à l’aide de la mesure du panier de consommation, 20 décembre 2022, Statistique Canada, www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75f0002m/75f0002m2022007-fra.htm.
3 CENTRE D’ÉTUDE SUR LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION, Prendre la mesure de la pauvreté : proposition d’indicateurs de pauvreté, d’inégalités et d’exclusion sociale afin de mesurer les progrès réalisés au Québec, Avis au ministre, 2009, www.mtess.gouv.qc.ca/publications/pdf/CEPE_Avis.pdf.
4 Il est possible d’entrer directement dans cette réflexion par les données sur le revenu, à partir d’un tableau de bord permettant de situer l’ensemble de la population dans l’échelle des revenus disponibles en fonction des repères de faible revenu compilés pour suivre les situations de pauvreté au Québec. C’est ce que permet le diaporama suivant : Vivian LABRIE, Réduire effectivement les disparités de niveaux de vie vers un bien-vivre mieux partagé : comment ?, Journée d’études « Impacts de la pandémie sur la pauvreté au Québec », Observatoire québécois des inégalités et Université d’Ottawa, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Montréal, 6 mai 2022. Voir la présentation de diapositives ici, iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2023/04/220506-Journee-detudes-sur-les-impacts-de-la-pandemie-sur-la-pauvrete-au-Quebec-presentation-Vivian-Labrie.pdf, et la captation ici, www.facebook.com/observatoireinegalitesqc/videos/712473646836448, au temps 2 :55 :00. Le dépliant annexé à la présente publication (iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2023/04/221127-Aborder-tous-les-revenus-Reperes-au-221122.pdf) en décrit les principales données dans un format testé à l’occasion de plusieurs présentations publiques au cours de l’automne 2022.
5 COLLECTIF POUR UNE LOI SUR L’ÉLIMINATION DE LA PAUVRETÉ, Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, 2000, pauvrete.qc.ca/IMG/pdf/prop0420.pdf.
6 Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Assemblée nationale du Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 2002, Chapitre L-7, legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/L-7.
7 Ces données sont présentées plus en détail dans la section sur le déficit humain. Il est à noter que l’année 2020 aura fait partiellement exception à ce constat, en raison des mesures temporaires de soutien du revenu introduites par le gouvernement fédéral pour pallier les pertes de revenus liées à la pandémie. Il en sera question plus loin dans ce document.
8 Tim GORE, Combattre les inégalités des émissions de CO2 : la justice climatique au cœur de la reprise postCOVID-19, Oxfam, 2021, www.oxfam.org/fr/publications/combattre-les-inegalites-des-emissions-de-co2.
9 À l’automne 2001, lors de la deuxième édition de cette proposition de loi, le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté (devenu après 2003 le Collectif pour un Québec sans pauvreté) comptait les membres suivants : Association québécoise des organismes de coopération internationale, ATD Quart Monde, Au bas de l’échelle, Caisse d’économie des travailleuses et travailleurs de Québec, Carrefour de pastorale en monde ouvrier, Centrale des syndicats démocratiques, Centrale des syndicats du Québec, Centre de pastorale en milieu ouvrier, Confédération québécoise des coopératives d’habitation, Confédération des syndicats nationaux, Conférence religieuse canadienne – section Québec, Fédération des femmes du Québec, Fédération des infirmiers et infirmières du Québec, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, Fédération étudiante collégiale du Québec, Fédération universitaire du Québec, Fédération des locataires de HLM du Québec, Front d’action populaire en réaménagement urbain, Front commun des personnes assistées sociales du Québec, Ligue des droits et libertés, Mouvement québécois des camps familiaux, Regroupement des Auberges du cœur, Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec, Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec, Regroupement québécois des intervenants et intervenantes en action communautaire, Syndicat de la fonction publique du Québec. Des groupes relayeurs étaient actifs dans chaque région du Québec et sont également devenus membres quand le collectif s’est réorganisé en tant que Collectif pour un Québec sans pauvreté.
10 À l’automne 2000, 1600 organisations avaient appuyé la proposition de loi.
11 Vivian LABRIE, « Au Québec, de l’idée à la loi », Revue Projet, no 386, février-mars 2022, p. 23-27, www.revue-projet.com/articles/2022-02-labrie-le-destin-d-une-loi-citoyenne/10950.
12 MINISTÈRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE, Ne laisser personne de côté ! Orientations et perspectives d’action en matière de lutte contre la pauvreté, Gouvernement du Québec, 2001, www.mtess.gouv.qc.ca/includes/composants/telecharger.asp?fichier=/publications/pdf/ADMIN_strategie_lutte_pauvrete_personne.pdf.
13 Cette dernière visée ne figurait pas jusque-là dans les cadres de référence de l’action gouvernementale.
14 Comme on le verra plus loin, la partie de la loi concernant l’Observatoire n’a pas été mise en vigueur par la suite, et cet organisme a été remplacé par la mise en place d’un Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE), avec une mission similaire, mais sans relever formellement de la loi.
15 Cette cible, qui ne comportait pas de mécanismes contraignants, reste encore à atteindre aujourd’hui selon l’indicateur choisi pour cela par le CEPE, soit la MFR-60.
16 COLLECTIF POUR UN QUÉBEC SANS PAUVRETÉ, Un Québec sans pauvreté : la théorie, la réalité et un chemin, 2003, www.pauvrete.qc.ca/document/presentation-powerpoint-un-quebec/.
17 La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale est entrée en vigueur le 5 mars 2003. Des élections générales le 14 avril 2003 ont conduit à un changement de gouvernement. C’est donc le Parti québécois de Bernard Landry qui a fait voter la loi et le Parti libéral du Québec de Jean Charest qui a eu la responsabilité de sa mise en œuvre. Par ailleurs une certaine continuité était assurée du côté des fonctionnaires affectés à ces questions.
18 C’est en somme la paire de points qu’on obtient sur l’outil de calcul du ministère des Finances (Revenu disponible, De 2020 à 2022, www.budget.finances.gouv.qc.ca/Budget/outils/revenu_fr.asp) en inscrivant un revenu gagné et en constatant le revenu disponible correspondant pour une année donnée selon certaines caractéristiques du ménage.
19 MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ DU REVENU, La réforme de la sécurité du revenu : un parcours vers l’insertion, la formation et l’emploi, Document de consultation, Gouvernement du Québec, 2016, www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier.aspx ?idf=112863.
20 Articles 40 à 43 de la Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, 2000.
21 Vivian LABRIE, Un atelier sur les inégalités avec la métaphore des escaliers roulants, Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques de santé, 2011, www.ccnpps.ca/102/Publications.ccnpps ?id_article=635.
22 Cette métaphore compare la société à un palier duquel partiraient un escalier roulant qui monte et un escalier roulant qui descend. Dans l’escalier roulant qui descend, les personnes essaient de monter vers le palier en y mettant une grande énergie, alors que, dans l’escalier qui monte, les personnes s’éloignent facilement de ce palier, car l’escalier bouge en même temps qu’elles. Cette métaphore a beaucoup servi ensuite au travail citoyen. Voir notamment Jacques BÉLAND, Micheline BELISLE, Renaud BLAIS, Micheline BOUCHER, Ghislaine BOULANGER, Lise BOULANGER, Martine BRASSARD, Jean CÔTÉ, Nicole DIGNARD, Lucie FAUCHER, France FOURNIER, Simone GAGNÉ, Christiane GAGNON, Annie HARVEY, Laurence LAVOIE, Evelyne ROUSSEAU, Linda ROY, Lucie ROY, Monique TOUTANT, Hélène TREMBLAY, et Joan TREMBLAY, « Le droit de nos droits. Rencontre déjeuner du 23 octobre 2003 à l’Assemblée nationale du Québec. Déclaration de conclusion des personnes en situation de pauvreté aux parlementaires », La soupe au caillou, no 145, p. 1-2, pauvrete.qc.ca/IMG/pdf/bull145.pdf. Voir également LABRIE, op. cit.
23 Une recherche subséquente de Sophie Dupéré a ajouté à ce code le noir, pour les expériences de grand dénuement à la limite de l’itinérance : Sophie DUPÉRÉ, Maria DE KONINCK et Michel O’NEILL, « Rouge, jaune, vert… noir : l’expérience de la pauvreté d’hommes du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal », Recherches sociographiques, vol. 52, n° 2, 2011, p. 255-283, www.erudit.org/revue/rs/2011/v52/n2/1005659ar.pdf.
24 COLLECTIF POUR UN QUÉBEC SANS PAUVRETÉ, Couvrir les besoins et sortir de la pauvreté au Québec : une démarche citoyenne, Guide d’animation pour la démarche proposée en 2005-2006, 2006, www.pauvrete.qc.ca/IMG/pdf/Guide_besoin_CQSP_petit_-3.pdf.
25 Marie-Claude ROSE et Robin COUTURE, Couvrir les besoins et sortir de la pauvreté au Québec : une démarche citoyenne, Analyse de la consultation populaire (novembre 2005 – juin 2007), Collectif pour un Québec sans pauvreté, 2008, p. 3, www.pauvrete.qc.ca/IMG/pdf/07-5-43-Analyse_de_la_demarche_-_rapport_final-3.pdf.
26 L’auteure a été membre du comité de direction du CEPE de sa mise en place en 2006 jusqu’à 2013.
27 CENTRE D’ÉTUDE SUR LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION, op. cit. Tel qu’indiqué à la page 75 de l’avis, il était constitué des membres suivants :
« Président : Alain Noël, professeur titulaire, Département de science politique, Université de Montréal
Paul Bernard, professeur titulaire, Département de sociologie, Université de Montréal
Camille Courchesne, directeur général adjoint aux statistiques et à l’analyse, Institut de la statistique du Québec
Jean-Michel Cousineau, professeur titulaire, École des relations industrielles, Université de Montréal
Jean-Yves Duclos, professeur titulaire, Département d’économique, Université Laval
Lucie Gélineau, chercheuse, Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale (centre affilié universitaire), professeure associée, Département de médecine sociale et préventive, Université Laval
Vivian Labrie, chercheuse autonome, porte-parole, de 1998 à 2006, du Collectif pour un Québec sans pauvreté
Simon Langlois, professeur titulaire, Département de sociologie, Université Laval
Marc-André Maranda, directeur du programme de santé publique, ministère de la Santé et des Services sociaux
Marie-France Raynault, professeure agrégée, directrice du Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal, et directrice de l’Observatoire montréalais des inégalités sociales et de la santé, Direction de la santé publique de Montréal-Centre
Marie-Renée Roy, directrice générale adjointe des politiques et de la prospective, ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale ».
28 L’autre série de seuils en usage au Canada, soit les seuils de faible revenu, ou SFR, n’a pas été retenue parce qu’elle présentait « des biais de mesure importants » pouvant conduire à des distorsions. Ibid., p. 30.
29 Ces paragraphes sont cités extensivement ici en raison de leur importance pour la suite des événements.
30 Soit les SFR et leurs biais de mesure importants et insuffisamment mis à jour, et la MFR qui ne tient pas compte de ce qu’il en coûte pour vivre. De plus, en distinguant le revenu disponible à la consommation du revenu après impôt, la MPC permettait de « considérer comme étant à faible revenu, par exemple, une personne qui gagne un revenu sensiblement supérieur au seuil, mais qui, en raison des diverses dépenses non discrétionnaires qu’elle doit supporter, voit son revenu disponible diminuer sous le seuil ». Ibid., p. 30.
31 À partir de ce point dans le texte, l’expression « besoins de base », qui était alignée sur la terminologie utilisée par Statistique Canada pour qualifier la MPC et qui a été employée dans l’avis du CEPE, sera utilisée en remplacement de l’expression « besoins essentiels » conformément à l’usage qui a prévalu à la suite de cet avis.
32 Hugh MACKENZIE et Jim STANFORD, A Living Wage for Toronto, Centre canadien de politiques alternatives, 2008, www.policyalternatives.ca/sites/default/files/uploads/publications/Ontario_Office_Pubs/2008/A_Living_Wage_for_Toronto.pdf.
33 Philippe HURTEAU et Minh NGUYEN, Quel est le salaire viable ? Calcul pour Montréal et Québec en 2015, IRIS, 2015, iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-viable2015.
34 Philippe HURTEAU et Minh NGUYEN, Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2016 ? Calculs pour Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay et Sept-Îles, IRIS, 2016, iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-viable2016, et Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2017. Calculs pour Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay, Sept-Îles, Gatineau et Sherbrooke, IRIS, 2017, iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-viable2017.
35 Philippe HURTEAU et Minh NGUYEN, op. cit., 2015, p. 1.
36 Ibid. Selon une traduction libre de : « It’s a wage level that offers workers the ability to support families, to maintain self respect and to have both the means and the leisure to participate in the civic life of the Nation », Lawrence B. GLICKMAN, A Living Wage : American Workers and the Making of Consumer Society, New York, Cornell University Press, 1997, p. 66.
37 « C’est à partir de cette époque [les années 1970] que, sans utiliser le concept de salaire viable, l’organisme Au bas de l’échelle et un ensemble de groupes communautaires, féministes et syndicaux regroupés autour du Front de défense des non-syndiqués, ont réclamé que le salaire minimum du Québec soit déterminé de manière à assurer une sortie de pauvreté des travailleurs et travailleuses. » Ibid., p. 2.
38 L’échelle d’équivalence utilisée pour la MPC est la racine carrée de la taille du ménage. Par exemple, pour un ménage de quatre personnes, la racine carrée de quatre est deux. Pour un ménage de deux personnes, la racine carrée de deux est 1,414. On suppose donc que pour un niveau de vie équivalent, le revenu d’un ménage de quatre personnes doit être deux fois plus élevé que celui d’une personne seule. Autrement dit, puisque les seuils de la MPC sont calculés pour un ménage de deux adultes et deux enfants, il faut diviser ce seuil par deux pour obtenir les seuils de la MPC pour une personne seule. Pour un ménage de deux personnes, la racine carrée de deux étant 1,414, c’est le coefficient à appliquer au revenu d’un ménage d’une personne seule pour évaluer un revenu équivalent pour un ménage de deux personnes. Pourtant, pour le niveau de vie un peu plus élevé évalué par le revenu viable, tant pour les familles de deux personnes que pour les familles de quatre personnes, le coefficient réel par rapport aux ménages d’une personne peut varier d’environ 25 % selon les localités étudiées, même si le coefficient de la racine carrée de la taille des ménages est contenu dans cet intervalle de variation. En 2019, cette observation valait autant pour les composantes du revenu viable comparables à la MPC que pour le revenu viable incluant aussi les composantes non incluses dans le calcul de la MPC.
39 Il prévoyait par exemple une sortie par mois, deux semaines de vacances, dont une dans un chalet, et une somme permettant d’étudier à temps partiel ainsi que la possibilité d’épargner l’équivalent de deux semaines de salaire.
40 Philippe HURTEAU, Le revenu viable : indicateur de sortie de pauvreté en 2018. Des données pour différentes localités du Québec, IRIS, 2018, iris-recherche.qc.ca/publications/revenuviable2018.
41 Philippe HURTEAU, Vivian LABRIE et Minh NGUYEN, Le revenu viable 2019 et les situations de pauvreté. Données pour différentes localités du Québec, IRIS, 2019, iris-recherche.qc.ca/publications/revenuviable2019.
42 Il faut ajouter au revenu pour la MPC un certain nombre de dépenses dites non discrétionnaires pour calculer un revenu après impôt équivalent. Parmi ces dépenses non incluses dans le panier, on trouve notamment les cotisations et retenues liées à l’emploi, les frais de santé non assurés, les frais de garde et les pensions alimentaires payées pour les enfants. En 2010, le CEPE a évalué qu’il fallait ajouter en moyenne 7 % au revenu pour la MPC pour estimer un revenu après impôt correspondant (Guy FRÉCHET, Pierre LANCTÔT et Alexandre MORIN, Du revenu après impôt au revenu aux fins de la mesure du panier de consommation (MPC), CEPE, Gouvernement du Québec, 2010, www.mess.gouv.qc.ca/publications/pdf/CEPE_Compar_seuils.pdf). Les travaux de l’IRIS montrent que pour le revenu viable ce taux varie selon la taille des ménages, en plus pour les ménages avec enfants et en moins pour les ménages de personnes seules et qu’il y aurait avantage à actualiser cette étude du CEPE.
43 La MPC est calculée de façon spécifique pour certaines grandes agglomérations comme Montréal et Québec. Pour les agglomérations de plus petite taille, elle fonctionne par groupe d’agglomérations selon leur taille. Ainsi quatre localités étudiées pour le revenu viable sont classées pour la MPC parmi les agglomérations de 100 000 à 499 999 habitants. Le revenu viable, calculé au cas par cas, varie entre ces quatre localités, alors qu’elles présentent les mêmes seuils pour la MPC.
44 Eve-Lyne COUTURIER, Vivian LABRIE et Minh NGUYEN, Le revenu viable 2020 dans l’échelle des revenus. Données pour différentes localités du Québec, IRIS, 2020, iris-recherche.qc.ca/publications/revenuviable2020.
45 Philippe HURTEAU, Vivian LABRIE et Minh NGUYEN, Le revenu viable 2021 : pour une sortie de pandémie sans pauvreté, IRIS, 2021, iris-recherche.qc.ca/publications/revenu-viable-2021-pour-sortie-pandemie-sans-pauvrete.
46 Samir DJIDEL, Burton GUSTAJTIS, Andrew HEISZ, Keith LAM, Isabelle MARCHAND et Sarah McDERMOTT, Rapport du deuxième examen approfondi de la mesure fondée sur un panier de consommation, no 75F0002M, Statistique Canada, 2021, www150.statcan.gc.ca/n1/fr/catalogue/75F0002M2020002. Ces modifications ont été indiquées plus précisément dans l’édition 2021 du revenu viable. Pour des détails plus précis sur les composantes du revenu viable et la manière dont elles pouvaient se comparer à la MPC en base 2008 et 2018, voir notamment les tableaux 3 et 9 de cette édition.
47 Voir les éditions 2021 (op. cit.) et 2022 du revenu viable pour plus de détails, notamment les tableaux 10 et 11. Vivian LABRIE, Minh NGUYEN et Julia POSCA, Le revenu viable 2022 en période de crises multiples. Données pour différentes localités du Québec, IRIS, 2022, iris-recherche.qc.ca/publications/le-revenu-viable-2022-en-periode-de-crises-multiples/.
48 Il faut ajouter aux revenus indiqués dans ce tableau le montant ponctuel non imposable de 600 $ versé en décembre 2022 aux contribuables ayant un revenu net de 50 000 $ et moins.
49 C’est essentiellement ce tableau qui est repris sous une autre forme dans la présentation de diapositives jointe au présent document de discussion.
50 Y aurait-il lieu par ailleurs de relier cet espace de faible revenu, ici traité du point de vue du revenu disponible après impôt, aux études qui s’intéressent aux taux de faible rémunération au-delà du salaire minimum et à leur prévalence dans la société ? Voir par exemple Luc CLOUTIER-VILLENEUVE, « Comment ont évolué l’emploi à bas salaire et celui mieux rémunéré au Québec chez les travailleuses et les travailleurs ? », Cap sur le travail et la rémunération, Institut de la statistique du Québec, no 3, avril 2016, p. 1-12, bdso.gouv.qc.ca/docs-ken/multimedia/PB01680FR_CapTravRem2016M04F01.pdf.
51 Les seuils de la MFR-60 peuvent être calculés arithmétiquement à partir des seuils de la MFR-50. Il en va différemment des taux qui supposent un accès aux données statistiques sur le revenu.
52 EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA, Une chance pour tous : la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, 2018, www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/reduction-pauvrete/rapports/strategie.html.
53 Simon TREMBLAY-PEPIN et Vivian LABRIE, Le déficit humain imposé aux plus pauvres, IRIS, 2016, iris-recherche.qc.ca/publications/deficit-humain.
54 COMMISSION DES DÉTERMINANTS SOCIAUX DE LA SANTÉ, Combler le fossé en une génération : instaurer l’équité en santé en agissant sur les déterminants sociaux, Rapport final de la Commission des déterminants sociaux de la santé, Organisation mondiale de la santé, 2009, apps.who.int/iris/handle/10665/44083.
55 DIRECTEURS DE SANTÉ PUBLIQUE DE MONTRÉAL ET DE LA CAPITALE-NATIONALE, La pauvreté et les inégalités sociales, de graves menaces à la santé des populations, Mémoire des directeurs de santé publique de Montréal et de la Capitale-Nationale présenté lors de la Consultation sur la Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, Direction régionale de santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, 2017, santemontreal.qc.ca/fileadmin/fichiers/actualites/2017/07_juillet/Memoire-pauvrete_final-20170630.pdf.
56 C’est à la suite de ce Parlement de la rue que diverses organisations qui y participaient ont décidé de former le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté qui a soutenu ensuite le développement de la proposition de loi citoyenne mentionnée au début de ce document.
57 CARREFOUR DE SAVOIRS SUR LES FINANCES PUBLIQUES, Des concepts économiques pour tenir compte du problème de la pauvreté et de l’exclusion, Carrefour de pastorale en monde ouvrier, 1998, archive.capmo.org/Carrefour_finances_publiques_concepts_economiques.pdf.
58 Baptiste GODRIE et Marie DOS SANTOS, « Présentation : inégalités sociales, production des savoirs et de l’ignorance », Sociologie et sociétés, vol 49, no 1, 1997, p. 7-31, www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2017-v49-n1-socsoc03347/1042804ar/.
59 Vivian LABRIE et Simon TREMBLAY-PEPIN, Les niveaux de vie décile par décile : des différences énormes, IRIS, 2016, iris-recherche.qc.ca/blogue/les-niveaux-de-vie-decile-par-decile-des-differences-enormes.
60 CARREFOUR DE SAVOIRS SUR LES FINANCES PUBLIQUES, op. cit.
61 L’usage d’un Indice panier permet de prendre en compte plusieurs variables à considérer pour comparer des années ou des régions : la taille des ménages, l’inflation, la monnaie, la croissance de la population, les données économiques liées à la taille de la population. Les calculs sont simples une fois qu’on a accès aux données. Les données évoquent des réalités concrètes et faciles à appréhender (nourriture, vêtements, logement, transport et autres nécessités). Elles permettent d’approcher les données aux niveaux microéconomique, soit la vie des ménages, et macroéconomique, soit l’économie et les finances publiques. Elles offrent la possibilité de fournir un équivalent « panier » aux mesures relatives et aux seuils implicites.
62 Mathieu DUFOUR, Vivian LABRIE et Simon TREMBLAY-PEPIN, « Using the Market Basket Measure to Discuss Income Inequality from the Perspective of Basic Needs », Social Indicators Research, no 155, 2021, p. 455-478, doi.org/10.1007/s11205-020-02580-9.
63 Guillaume HÉBERT, Couillard et les médecins : l’usure, Billet, IRIS, 2018, iris-recherche.qc.ca/blogue/couillard-et-les-medecins-l-usure.
64 Vivian LABRIE, Une nouvelle ligne sous la ligne (3) : augmenter ou réduire les inégalités ? IRIS, 2017, iris-recherche.qc.ca/blogue/une-nouvelle-ligne-sous-la-ligne-3-augmenter-ou-reduire-les-inegalites.
66 Ces consultations seront une bonne occasion aussi pour continuer de développer le potentiel de ces indicateurs et d’ajuster la manière de les présenter et de les utiliser au-delà de cette première publication.
67 Statistique Canada utilise le mot famille là où la présente publication utilise le terme ménage pour désigner l’ensemble des familles économiques de deux personnes apparentées ou plus vivant ensemble et les ménages d’une personne vivant seule ou avec d’autres personnes non apparentées.
68 « Tandis que le déficit total a diminué entre 2015 et 2020, le déficit moyen des familles présentant un déficit a généralement augmenté entre 2015 et 2019 et diminué beaucoup moins que le déficit total en 2020, ce qui laisse entendre que les familles canadiennes qui sont sorties de la pauvreté [selon le critère utilisé par le gouvernement canadien, soit la MPC] étaient plus susceptibles d’être des familles dont le revenu disponible était proche de leur seuil de la MPC. […] L’augmentation à la fois du surplus total et moyen [au seuil de la MPC] peut indiquer que les familles ayant un surplus plus élevé ont généralement connu une plus forte croissance de leur revenu que les familles ayant un surplus plus faible. » Nancy DEVIN, et Raphaël LANGEVIN, op. cit., p. 6-7.
69 Ibid., p. 9.
70 EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA, op. cit., p. 6.
71 Vivian LABRIE, Un rendez-vous gaspésien sur les inégalités : les niveaux de vie par déciles vus par une centaine de personnes, IRIS, 2017, iris-recherche.qc.ca/publications/gaspesie.
72 Loi sur l’aide sociale, Assemblée nationale du Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1969, legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/A-16 et legisquebec.gouv.qc.ca/fr/pdf/cs/A-16.pdf.
73 Charte des droits et libertés de la personne, Assemblée nationale du Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1975, legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/C-12.
74 Vivian LABRIE, La hauteur de la barre à l’aide sociale : quelques jalons de 1969 à aujourd’hui, IRIS, 2016, iris-recherche.qc.ca/publications/pl70-doc-de-reflexion.
75 Vivian LABRIE, Objectif emploi : l’aggravation des disparités programmée par règlement, Billet, IRIS, 2017, iris-recherche.qc.ca/blogue/objectif-emploi-l-aggravation-des-disparites-programmee-par-reglement.
76 Vivian LABRIE, Tendre vers un Québec sans pauvreté après 2013 : bilan du chemin parcouru et à parcourir en lien avec l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale à partir de 16 entrevues effectuées au cours de l’été 2013, Rapport synthèse, Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, 2014 (publié en 2015), www.cclp.gouv.qc.ca/publications/pdf/rapport_Synthese.pdf.
77 MINISTÈRE DES FINANCES, Budget 2016-2017, Régime québécois de soutien du revenu : mise à jour consécutive à la mise en place de l’allocation canadienne pour enfants annoncée dans le budget fédéral 2016, Gouvernement du Québec, 2016, www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2016-2017/fr/documents/Revenu_Juin2016.pdf.
78 Vivian LABRIE et Simon TREMBLAY-PEPIN, « Bien-être », dans IRIS, Cinq chantiers pour changer le Québec, Écosociété, 2016, p. 58-82.
79 Ibid., p. 66.
80 Ibid., p. 77.
81 Voir CEPE, Prendre la mesure de la pauvreté, op. cit., p. 28.
82 Vivian LABRIE et Simon TREMBLAY-PEPIN, « Bien-être », op. cit., p. 75-76.
83 MINISTÈRE DES FINANCES, Revenu disponible, 2019 à 2021 [Outil de calcul], www.budget.finances.gouv.qc.ca/Budget/outils/revenu_fr.asp et www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/outils/revenu-disponible-fr.asp. Cet outil, publié pour l’année en cours comparée aux deux années antérieures, pourrait aussi, s’il était plus complet et mieux connu du grand public, aider des ménages à mieux prévoir le revenu dont ils disposeront pour l’année en cours en fonction de leurs revenus envisagés et des contributions et transferts qui y seront associés.
84 Voir l’illustration 6.
85 Voir aussi les indices panier des ménages appartenant au 1 % le plus riche présentés dans Simon TREMBLAY-PEPIN, Mathieu DUFOUR et Vivian LABRIE, Y a-t-il eu une réduction de pauvreté et des inégalités au Québec entre 2012 et 2017 ? IRIS, 16 novembre 2020, iris-recherche.qc.ca/publications/pauvrete-inegalites-quebec-2012-2017. Incidemment, la mode récente des voyages dans l’espace des hyper-riches de ce monde est pour le moins cohérente avec la séquence des images « sol-air » représentées au tableau 8.
86 Kate RAWORTH, Un espace sûr et juste pour l’humanité : le concept du « donut », Oxfam International, 2012, www.oxfam.org/fr/rapports/un-espace-sur-et-juste-pour-lhumanite. Voir aussi, de la même auteure, Doughnut Economics: Seven Ways to Think Like a 21st-Century Economist, White River Junction, Vermont Chelsea Green Publishing, 2017. Et le site www.kateraworth.com/.
87 Tim GORE, op. cit.
88 LE MONDE, Les individus peuvent-ils sauver le climat grâce à la sobriété ?, Plan B, www.youtube.com/watch ?v=2BrVYeTywNI (consulté le 8 août 2022). Un outil complémentaire de calcul de sa consommation carbone est proposé ici : Adrien SÉNÉCAT, Léa SANCHEZ et Mélina ZERBIB, « Alimentation, transport, chauffage… Évaluez si vos émissions de CO₂ sont vraiment “soutenables”», Le Monde, 5 août 2022, www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/08/04/alimentation-transport-chauffage-evaluez-si-vos-emissions-de-co2-sont-vraiment-soutenables_6137122_4355770.html.
89 Kate RAWORTH et Marie DRIQUE, « Un espace sûr et juste pour l’humanité », Propos traduits de l’anglais par Solange de Coussemaker, Revue Projet, no 356, 2017/1, p. 12-13, www.cairn.info/revue-projet-2017-1-page-10.htm.
90 Voir le site du Forum, capbienvivre.org (consulté le 5 septembre 2022), dont les programmes des deux événements : capbienvivre.org/wp-content/uploads/2021/12/Programme-complet-FIBV-WEB_040618-1.pdf et capbienvivre.org/forum-bien-vivre/forum-international-pour-le-bien-vivre-2022/programme-du-forum-2022/.
91 Depuis 2002, de nombreuses initiatives ont fait suite en France à un rapport de Patrick Viveret qui a fait école à ce sujet. Patrick VIVERET, « Reconsidérer la richesse : rapport final de la mission nouveaux facteurs de richesse », Secrétariat d’État à l’économie solidaire, République française, Vie publique, 2002, 135 p., www.vie-publique.fr/rapport/25440-reconsiderer-la-richesse-rapport-final-de-la-mission-nouveaux-facteurs (consulté le 5 septembre 2022).
92 FORUM INTERNATIONAL POUR LE BIEN VIVRE, Richesse(s), bonheur : quels indicateurs inventer pour demain ?, 2018, p. 2, capbienvivre.org/wp-content/uploads/2021/12/Programme-complet-FIBV-WEB_040618-1.pdf (consulté le 3 septembre 2022).
93 FORUM INTERNATIONAL POUR LE BIEN VIVRE, Tenir ensemble le cap d’une société juste et soutenable. Cap bien vivre, capbienvivre.org/forum-bien-vivre/forum-international-pour-le-bien-vivre-2022/ (consulté le 3 septembre 2022).
94 Anne STIJKEL, Amsterdam Doughnut City : Doughnut Deals as a Means, Grenoble, June 30 2022, Amsterdam, Cooperative Groene Hub U.A. On peut trouver des exemples de cette approche ici : groenehub.org/donut-deals/.
95 RAWORTH, 2017, op. cit. (voir www.kateraworth.com/).
96 Dans un compte rendu critique des travaux de Kate Raworth publié en 2021 (Beigne perdu. À propos de : Kate Raworth, « La théorie du donut. L’économie de demain en sept principes, polemos-decroissance.org/beigne-perdu), Yves-Marie Abraham rappelle qu’il ne suffit pas de changer le » récit », ou si on préfère, les métaphores de référence pour transformer la réalité, et que celle-ci est tributaire de rapports de pouvoirs qui contribuent fortement aux statu quo et au maintien d’une pensée économique dominante. Et il appelle à ne pas fermer les yeux sur les dilemmes relatifs à l’usage de la croissance économique comme levier. Ajoutons que si la topologie en anneau du modèle ouvre un imaginaire différent de celui d’une échelle de ressources sans limite supérieure, elle ne résout pas en soi la question d’où situer les limites intérieures et extérieures de l’anneau ainsi envisagé et avec quels indicateurs. Se donner les objectifs du millénaire pour le développement préconisés par les Nations unies comme cadre de référence fondé sur les droits pour le plancher social de cet anneau a pu sembler une référence immédiatement disponible au moment de la conception de cet anneau. Il n’en reste pas moins que l’usage de ces objectifs comme indicateurs est discutable et qu’il serait inapplicable à bien des égards dans le contexte québécois. En ce sens, l’idée d’un plancher associé à un plafond reste plus intéressante que les indicateurs proposés pour situer et évaluer les dimensions de ces planchers et plafonds, comme on peut le constater dans divers travaux tentant de les opérationnaliser pour comparer les sociétés entre elles à partir du modèle de cet anneau. Comme on peut le constater avec l’expérience québécoise, le choix d’un seuil ou d’un ensemble de seuils est le résultat de rapports de pouvoir économiques et politiques et d’écoles de pensée citoyennes, corporatives, gouvernementales et scientifiques. L’intérêt des seuils fixés, leur niveau, et les consensus qu’ils peuvent permettre dépendent aussi de la compréhension développée de ce qui peut rendre possible un bien vivre mieux partagé entre des limites viables, convenues démocratiquement, et respectées ensuite.
97 ATD QUART MONDE et UNIVERSITÉ D’OXFORD, Les dimensions cachées de la pauvreté : recherche participative internationale, www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2019/05/DimensionsCacheesDeLaPauvrete_fr.pdf (consulté le 7 septembre 2022).
98 Xavier GODINOT, « Comment j’essaie de tenir le cap d’une transition qui ne laisse personne de côté », Tenir le cap d’une transition qui ne laisse personne au bord de la route, Inégalités, justice sociale et enjeux environnementaux, Table ronde, Forum international pour le bien vivre, Grenoble, 1er juillet 2022.
99 Voir g15plus.quebec/.
100 Voir indicateurs.quebec/projet.
101 Par exemple, la comparaison des indices panier moyens par déciles entre le Québec et le reste du Canada entre 2012 et 2017 présentée au tableau 4 laisse voir que la différence en cause se situe principalement dans les trois déciles dont les indices paniers sont plus élevés dans le reste du Canada qu’au Québec. Ce tableau permet d’apercevoir que loin d’améliorer les problèmes de revenus les plus criants au Québec, voire d’améliorer la situation de la classe moyenne, préconiser de rattraper l’Ontario en matière de richesse par des emplois bien payés, une idée chère au premier ministre québécois actuel, équivaudrait à augmenter l’indice panier des trois déciles supérieurs et à augmenter les inégalités québécoises de revenu au niveau de l’Ontario sans même régler le déficit de couverture des besoins de base existant, pour une amélioration du PIB dont la majorité de la population n’aura pas le bénéfice. De même, le suivi du déficit total de couverture des besoins de base selon la MPC (3,9 milliards de dollars en 2019 au tableau 5) laisse voir que les 6,7 milliards de dollars dépensés en 2022 en forfaits de 500 $ au printemps 2022 (3,2 milliards de dollars) et 600 $/400 $ en décembre (3,5 milliards de dollars) à la très grande majorité des contribuables dépasseront largement le déficit à la MPC qui continuera d’exister pour cette même année (voir le tableau 1), masquant le fait qu’un montant ponctuel ne change pas les normes reproduisant la pauvreté et les déficits de couverture à l’aide de dernier recours et au salaire minimum. De même, l’usage du revenu viable a permis à l’Observatoire québécois des inégalités de montrer à l’automne 2022 que la moitié des aîné·e·s (60 ans et plus) se trouvaient sous ce seuil en 2018, dans une forme de pauvreté invisible avec la seule MPC, seulement 7 % d’entre elles se retrouvant sous ce dernier seuil (Roberson EDOUARD et Pierre TIRCHER, Les aîné.e.s au Québec et la fiscalité : quelles mesures d’aide face au faible revenu ?, Observatoire québécois des inégalités, 2022, www.observatoiredesinegalites.com/fr/detail-publication/les-aine-e-s-au-quebec-et-la-fiscalite). La publication laisse voir aussi la différence d’impact de mesures fiscales procédant par des crédits non remboursables, qui supposent un revenu suffisamment élevé pour payer de l’impôt, comparativement à des crédits non remboursables pour les contribuables aîné·e·s.
102 Le dépliant joint à la présente publication en résume et en réunit des éléments clés pour des fins de présentation à une variété de publics.
103 Ces animations, présentées à Joliette, dans la Beauce, à Québec et dans Lotbinière, notamment, ont repris pour l’essentiel la matière de la présentation du 6 mai 2022 à la journée d’études « Impacts de la pandémie sur la pauvreté au Québec », citée au début du présent document. Le dépliant mentionné dans la note qui précède a été mis au point progressivement à la faveur de ces animations pour fournir un outil de référence dont le contenu peut être mis à jour en fonction de l’actualité et de la disponibilité des données.
104 C’est le cas notamment des montants forfaitaires pour compenser l’inflation remis au cours de l’année 2022 par le gouvernement du Québec jusque très haut dans l’échelle des revenus (104 000 $ de revenu net) et repris en partie aux personnes recevant l’aide de dernier recours en raison des règles qui sont appliquées en matière d’avoirs liquides et de dettes à l’État. Les sommes ainsi dépensées s’avèrent plus élevées que les quelques milliards qu’il aurait fallu pour combler le déficit de couverture des besoins de base au Québec.
105 Il faudrait en somme le vivre pour pouvoir bien le vivre.
106 COLLECTIF POUR UNE LOI SUR L’ÉLIMINATION DE LA PAUVRETÉ, op. cit.
107 Le récit qui vient d’être présenté pourrait sembler lisse, voire confortablement logé dans sa logique et les consensus qui l’ont accompagné. Il ne l’est pas. Dans une version plus détaillée, on en pourrait raconter toutes les tensions, écoles de pensée et d’action en débat, tant dans l’espace public que dans les rangs citoyens. Et puis si la mémoire se perd avec le temps, souvent les frottements restent présents et déterminants, même si on ne peut pas toujours en expliquer l’histoire et le pourquoi.
La question des consensus a pourtant son importance si tant est que tout gain vers un bien-vivre mieux partagé suppose un espace d’expérimentation, de discernement et de délibération apte à générer un désir collectif suffisamment solide et remportant suffisamment d’adhésion, au-delà de simples rapports de force, pour contribuer aux retournements et aux solidarités nécessaires.
Où y a-t-il aujourd’hui convergence, méconnaissance, malentendus, dissensus argumentés, enrichissements mutuels possibles, valeurs, visions et idéologies différentes dans ces tensions ?
108 Une première version de ce document de réflexion tentait l’exercice et en jetait les bases en posant un certain nombre de questions. Ce qui en faisait un document de discussion. Il est apparu qu’il serait plus avantageux de conserver ces questions pour les déployer dans le cadre d’un événement qui pourrait réunir les parties intéressées et recueillir ce faisant des réponses aux questions posées.
109 Pour reprendre une formulation cooptée au début des années 2010 par les participant·e·s au Carrefour de savoirs sur la richesse et les inégalités au Saguenay–Lac-Saint-Jean.
110 On pourrait citer ici la réflexion d’une participante lors d’une animation tenue à l’automne 2022 à Saint-Agapit-de-Lotbinière, à propos de l’échelle des revenus rendue visible : « Mieux vaut le savoir que pas le savoir ! »
111 Voir par exemple Thomas Samuel KUHN, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion (Champs), 1983 (1962), et Henry MILNER, Civic literacy : How informed citizens make democracy work, Hanover et Londres, Tufts University et New England University Press, 2002.
112 Dans son travail sur les révolutions scientifiques, Thomas Samuel Kuhn a bien mis en évidence la contribution de l’étude des anomalies dans la mise en question des paradigmes des sciences dites normales, et leur évolution ou révolution vers de nouveaux paradigmes.
113 Emmanuel BODINIER, « Justice sociale et poétique », Revue Projet, no 386, février-mars 2022, p. 45-49, www.revue-projet.com/articles/2022-02-bodinier-justice-sociale-et-poetique/1095.
114 SOLIDARITÉ POPULAIRE QUÉBEC, Le Québec qu’on veut bâtir : la charte d’un Québec populaire, 1994, blogocram.wordpress.com/2014/02/01/la-charte-dun-quebec-populaire-1994/ (consulté le 8 septembre 2022).
115 LABRIE, Un atelier sur les inégalités avec la métaphore des escaliers roulants, op. cit.
116 COLLECTIF POUR UN QUÉBEC SANS PAUVRETÉ et autres, « Le droit de nos droits », La soupe au caillou, no 145, 2003, p. 1-2, pauvrete.qc.ca/IMG/pdf/bull145.pdf.
119 Vivian LABRIE, Avancer vers des villes et des villages sans pauvreté, riches pour tout le monde et riches de tout leur monde. Entre le local et le global, nos projets passent-ils le test ?, Cahier, Réseau québécois de Villes et villages en santé, 2018, semaphore.uqar.ca/id/eprint/1812/9/Trousse_Gaudreau%20et%20al_09_RQVVS_pauvreteruralite-entre_le_local_et_le_global-cahier.pdf, et pour le dépliant, semaphore.uqar.ca/id/eprint/1812/10/Trousse_Gaudreau%20et%20al_10_RQVVS_pauvrete_et_ruralite-tests_en_bref-pliage.pdf.