Retraites et démagogie
18 Décembre 2013
À l’heure où on se parle, les ministres des Finances du Canada et des provinces canadiennes sortent à peine de leur réunion au lac Meech où ils ont été incapables de dégager un consensus au sujet des retraites. Cette année, on en aura beaucoup parlé, des retraites, avec le Rapport D’Amours, la mise en place des RVER et la campagne électorale municipale. Alors que la préoccupation semblait être jusqu’à présent de trouver un moyen de sauver et d’améliorer le taux de couverture (le nombre de personnes ayant un régime de retraite) et le taux de remplacement (les prestations à la retraite comparées au salaire précédent) tout en diminuant le poids des déficits dans les budgets des employeurs, le gouvernement fédéral semble maintenant essayer de changer l’enjeu. Les Canadien·ne·s à la retraite jouissant d’un des meilleurs systèmes lorsqu’on le confronte à ceux des autres pays comparables, aucune modification n’est nécessaire, rien ne doit être espéré à ce palier. Toute réforme demandant un investissement devra attendre les conditions gagnantes. Lesquelles? On le saura quand on les verra.
Pourtant, plusieurs statistiques semblent démontrer qu’il est nécessaire d’agir maintenant. Bien qu’en 2008 un peu plus de 60% de la population active du Québec participe à un régime complémentaire de retraite et/ou cotise à des RÉER, la Régie des Rentes du Québec estime que seulement le quart des travailleuses et travailleurs ont un potentiel élevé d’obtenir des revenus adéquats une fois à la retraite. Pour plus de la moitié de l’ensemble de la force active de la province, le potentiel est de faible à nul. Par ailleurs, entre 1996 et 2008, le taux de faible revenu chez les personnes âgées a augmenté de 4,6% à 12,3%. Pendant la même période, le taux est resté plutôt stable dans les autres catégories d’âge.
Du côté du gouvernement du Québec, on vient de mettre en place un plan de restructuration dans lequel il envisage d’exiger un partage 50/50 des coûts des régimes de retraite des secteurs public et parapublic. Cette mesure vient d’abord répondre aux demandes de plusieurs maires qui se plaignent depuis des mois, voire des années que ces régimes pèseraient très, trop lourd dans les budgets municipaux et mettraientt donc la santé financière de certaines villes en danger. C’était même l’enjeu majeur de la campagne électorale de Régis Labeaume en novembre dernier.
Selon ce dernier, les syndiqué·e·s des villes sont grassement payé·e·s et leurs privilèges mettent en danger les finances de tout le monde. Il serait illégitime de demander aux contribuables, qui souvent n’ont pas eux-mêmes de régime de retraite, de payer pour le luxe dans lequel se vautrent les employé·e·s des municipalités. Il faudrait donc imposer à ces favorisé·e·s une solution puisqu’ils sont incapables de négocier de bonne foi.
Si on se penche sur la question des retraites avec ces idées en tête, on est à peu près certain·e de ne rien y comprendre. Essayons de démêler tout ça.
Un peu d’histoire
D’abord, il est important de rappeler que les régimes de retraite sont des avantages négociés, donc approuvés par les deux parties. Lors de la négociation des conventions collectives, les municipalités ont souvent choisi d’améliorer leur participation à la retraite de leurs employé·e·s pour éviter d’avoir à bonifier les salaires directement. C’était, en quelque sorte, la solution facile à court terme : une cotisation plus grande au régime de retraite n’a pas autant d’effet à court terme sur les finances de la ville qu’une amélioration des salaires. Rappelons-le un régime de retraite n’est pas un cadeau fait aux employé·e·s : c’est une partie de la rémunération qu’on accepte de prendre plus tard dans le cadre d’une négociation de ses conditions de travail.
Pendant les années 1990, les rendements des régimes de retraite étaient relativement élevés. Les employeurs se sentaient à l’aise de s’engager à verser de bonnes primes de retraite, voire même à les bonifier, s’imaginant que ces rendements seraient encore au rendez-vous dans le futur. Certains n’hésitaient pas, tant au privé que dans les municipalités, à se permettre des congés de cotisations (donc à cesser de verser des sommes dans le fonds de retraite) prétextant que ceux-ci généraient des surplus. Cette décision n’était pas très prudente, pour dire le moins. Aujourd’hui, lorsqu’arrive une période de vache maigre, ce même employeur dit : « Finalement, j’ai changé d’idée, ce que je vous avais promis pour vos retraites ne tient plus. » Voilà ce qu’on appelle de la négociation en toute bonne foi.
Dangereux déficits?
Avec la crise de 2008, les taux de rendement des régimes ont chuté. Plus important encore, ce sont les prévisions de revenus à venir qui se sont effondrées. Voilà, ce dont on parle quand on parle des « déficits actuariels ». C’est le montant qui manquera pour payer les retraites de tout le monde dans 25 ou 30 ans en fonction des prévisions actuelles. Or, les prévisions sont justement cela, des prévisions : elles changent et évoluent. De la même façon qu’il n’était pas sage de croire que les taux de rendement élevés dureraient éternellement, il est exagéré de crier à la catastrophe maintenant.
On apprenait cet automne, qu’une embellie des marchés financiers avait amélioré grandement la situation des régimes de retraite. Un analyste a même affirmé que «l’augmentation considérable des ratios de solvabilité des régimes canadiens signifie que plus de la moitié du déficit de solvabilité du régime [à prestations déterminées] type au Canada a été effacée depuis le début de l’année». S’il peut se réduire de moitié en quelques mois, l’horrible déficit actuariel semble moins terrifiant et inéluctable que ce qu’on nous laisse croire.
Des solutions
Prendre les problèmes avec plus de calme ne signifie pas les nier. Il est important de stabiliser les régimes de retraite à prestations déterminées puisque ce sont, selon notamment le Rapport D’Amours, les régimes qui offrent « une meilleure protection, et cela à meilleur coût ». Ainsi, ce n’est pas en les présentant comme des privilèges réservés à une élite qu’on parviendra à améliorer le système de retraite. Rappelons que le plus gros problème des régimes de retraite, c’est qu’une bonne partie de la population n’en a pas, ou en ont un qui les couvre mal. Vivre une vie digne une fois qu’on a terminé sa période de travail actif n’est pas un luxe et tout le monde devrait avoir ce droit. C’est en prenant les régimes à prestations déterminées comme modèle et non comme épouvantail qu’on trouvera des solutions.
Comme nous l’avons démontré dans une étude, en rehaussant notre régime public, le Régime des rentes du Québec (RRQ), nous pouvons à la fois stabiliser les régimes de retraite déjà existants et assurer à tout le monde une retraite convenable. Supposons un RRQ qui assure 50% du salaire une fois à la retraite comme le propose bon nombre de provinces. On prend alors collectivement cette responsabilité et tous les régimes actuellement déficitaires viennent de voir diminuer grandement leur responsabilité. Bien sûr, d’autres modifications pourront être apportées à des régimes déficitaires dans le cadre de négociations (ça s’est fait et plus d’une fois), mais la situation serait, dès le départ, bien moins problématique qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Si on se penche sur l’enjeu des retraites avec calme et sérieux, on voit que des solutions beaucoup plus intéressantes pour tout le monde émergent et qu’on laisse derrière les délires démagogiques dans lesquels certain·e·s s’emportent en ce moment.