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Un budget fédéral qui alimente le cynisme

9 avril 2022

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À la suite de son alliance avec le NPD, le gouvernement libéral avait les coudées franches pour faire de ce budget un outil de lutte contre la pauvreté et le réchauffement planétaire. La ministre des Finances Chrystia Freeland a toutefois accouché d’un plan budgétaire qui offre des demi-mesures et fait la part belle aux promoteurs et aux investisseurs privés.

Le déficit fédéral continue de fondre cette année. De 328 milliards de dollars en 2020-2021, il passe à 114 milliards en 2021-2022 et sera inférieur à 10 milliards d’ici 2026-2027. Quant à la dette fédérale, elle continue à descendre pour atteindre 48 % du PIB en 2021-2022. Le Canada est le pays du G7 le moins endetté en proportion de la taille de son économie. Ottawa avait donc une marge de manœuvre des plus enviables pour mettre en branle les chantiers les plus pressants. Dans deux domaines clés, soit le logement et l’environnement, le gouvernement choisit plutôt de soutenir le secteur privé dans l’espoir qu’il règle des problèmes qu’il a pourtant contribué à créer.

Les locataires laissés à eux-mêmes

Le prix des logements a continué de grimper dans les dernières années au détriment des ménages à faible et moyen revenu. Entre la fin de 2017 et de 2021, les loyers ont connu une hausse de 13,4 % alors que l’inflation augmentait d’un peu plus de 7 % durant la même période. Des mesures étaient donc attendues pour soutenir les locataires, mais ils sont largement laissés à eux-mêmes. Il faut dire que le Canada ne s’est jamais remis des coupes qu’ont subies les programmes de construction de logements sociaux dans les années 1990 et que, jusqu’ici, la Stratégie nationale du logement a surtout favorisé la construction de logements locatifs qui ne sont pas accessibles aux plus pauvres. Les logements dits abordables disparaissent plus vite que ceux qui se construisent et l’ajout annoncé de 100 000 logements sur cinq ans ne répondra qu’à une fraction des besoins actuels, estimés à près du triple.

Des mesures contradictoires d’accès à la propriété

Le gouvernement annonce aussi des mesures pour soutenir l’accès à la propriété, dont la mise en place d’un compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP) et la bonification du crédit d’impôt pour l’achat d’une habitation. Puisqu’elles soutiennent la demande, ces mesures sont néanmoins susceptibles d’alimenter la hausse des prix des maisons.

En contrepartie, le gouvernement prend quelques moyens pour freiner la spéculation, dont l’imposition des bénéfices lors de « flips » immobiliers, une mesure plus que bienvenue dans un marché en ébullition. Il empêche aussi pour deux ans les achats par des investisseurs étrangers, qui représentent néanmoins une minorité d’acheteurs. Il aurait été plus judicieux de cibler l’ensemble des investisseurs qui par leurs pratiques tirent les prix de l’immobilier vers le haut depuis deux décennies. Par exemple, on aurait aisément pu accroître la mise de fonds requise pour les achats de propriété lorsqu’il s’agit d’opérations d’investisseurs. Bref, sur le plan du logement, les promoteurs privés apparaissent comme les grands gagnants de l’approche adoptée dans ce budget.

Le secteur privé au secours de l’environnement ?

Le laisser-aller est aussi au rendez-vous au chapitre de l’environnement. Ottawa mise sur les véhicules électriques, auxquels un demi-milliard est consacré dès 2022-2023, et finance à coup de milliards l’exploitation de minerais critiques. Le gouvernement soutient en outre par l’intermédiaire de la Banque de l’infrastructure du Canada différentes industries, souvent elles-mêmes très polluantes, pour qu’elles développent des technologies censées permettre au Canada d’atteindre la carboneutralité bien que leurs preuves restent généralement à faire. En plus d’un acte de foi envers le privé, il s’agit d’une occasion manquée d’assumer un véritable leadership dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Le gouvernement avait la responsabilité, au vu des avertissements lancés par le GIEC quelques jours plus tôt, de donner au Canada les moyens de transformer ses modes de production, de consommation, de transport et d’habitation. Après l’annonce du soutien par le gouvernement du projet pétrolier de Bay du Nord, il est clair que celui-ci évite les remises en question qui s’imposent.

Malgré son alliance avec le NPD, le budget libéral échoue à adopter une stratégie réaliste pour diminuer la surchauffe immobilière et des mesures structurantes pour lutter contre le réchauffement climatique. Il risque par le fait même d’alimenter le cynisme de la population envers les institutions parlementaires.

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre ouverte dans l’édition du 9 avril 2022 de la Presse.

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