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Interventions policières: la fausse bonne solution des caméras corporelles

8 janvier 2024

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5min


Lors du dévoilement à la fin de 2023 du nouveau budget de la Ville de Montréal, nous apprenions que 18,3% des 7 milliards de dollars de dépenses annoncées pour 2024 seraient dédiés à la sécurité publique. Même si le montant alloué à ce poste de dépenses est similaire à celui de l’année précédente, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a vu son enveloppe être bonifiée de 33,8 millions de dollars. Cette augmentation de 4,3% porte le financement total du SPVM à 821,5 millions de dollars en 2024. Rappelons qu’en 2022, le SPVM avait déjà reçu 45 millions de dollars supplémentaires afin de pouvoir fonctionner « correctement ».

Jusqu’ici, rien de bien surprenant, sachant que le service de police de Montréal ne connaît pas l’austérité budgétaire et que son chef, Fady Dagher, affirme déjà que les dépenses du SPVM dépasseront de 37 millions de dollars les sommes qui lui sont offertes pour l’année à venir. En utilisant la rhétorique d’une accentuation des actes de violence impliquant des armes à feu, ces augmentations budgétaires visent à rassurer les citoyen·ne·s tout en imposant l’image d’une police proactive qui place le bien-être et la sécurité de la population au centre de ses priorités. Notons cependant qu’à l’été 2023, le nombre d’incidents où des armes à feu ont été utilisées a diminué de 30% sur l’ensemble du territoire métropolitain comparativement à la même période en 2022.

Par contre, ce qui fait sursauter dans ce budget, c’est le montant de 18,3 millions sur dix ans qui servira à ce que les policières et les policiers soient équipé·e·s de caméras portatives. Selon le discours officiel, cette démarche devrait aider à restaurer la confiance du public envers le SPVM, maintes fois accusé de profilage racial ainsi que de violences économiques et physiques, principalement envers certains groupes marginalisés et racisés.

Illusion d’objectivité et de neutralité

Si en théorie, l’utilisation de caméras corporelles peut permettre aux personnes victimes de violences perpétrées par un policier ou une policière de présenter des preuves devant les tribunaux, on constate que ces caméras sont avant tout des outils de surveillance des citoyen·ne·s, voire d’intimidation. En effet, puisque les dispositifs dont le SPVM souhaite faire l’acquisition ne fonctionnent qu’au moment où ils sont activés par la personne qui les porte, leur utilisation permet d’influencer l’interprétation des événements en fonction de trames narratives qui peuvent omettre certains détails importants, principalement avant ou après une intervention.

Et si l’on se fie à un rapport de 2018 commandité par le SPVM, les agent·e·s estiment majoritairement que ces outils devraient être allumés ou éteints selon le « bon jugement » du corps policier. Les policiers et les policières se trouvent ainsi en position de force face aux citoyen·ne·s contre qui les images captées selon une activation arbitraire de la caméra pourraient être retenues, mettant ainsi de côté les propos ou les actions des agent·e·s quand ces dispositifs sont éteints. Dans ce même rapport, on indique aussi que lorsqu’elles se croient filmées, les personnes interpellées sont plus hésitantes à défendre leurs droits, alors que les agent·e·s du SPVM affirment qu’il est difficile de ne pas « oublier » d’activer leur caméra. Cela met en évidence quelques-unes des multiples failles associées à ce type d’initiative.

Augmentation des budgets et absence de résultats

Par ailleurs, cet « investissement » de 18,3 millions de dollars permet, encore une fois, de faire augmenter le budget du SPVM sans garantir que les pratiques de ce dernier évoluent de façon positive. Sachant que les caméras corporelles n’aident pas à réduire la stigmatisation à l’égard des groupes marginalisés ou à contrer le profilage racial, tout porte à croire qu’il s’agit ici d’une nouvelle mesure spectacle. Cette dernière servirait en d’autres mots à atténuer quelques-unes des nombreuses critiques qui écorchent toujours le SPVM.

Au-delà du profilage, notons que même une fois activées, les caméras ne semblent pas décourager l’usage de la violence chez certain·e·s agent·e·s de police. Deux exemples d’interventions policières filmées par des caméras corporelles illustrent tristement cette réalité, soit l’assassinat de George Floyd en 2020 et le meurtre de Tyre Nichols en 2022, battu à mort par la police de Memphis alors qu’il était menotté.

Soulignons enfin que l’efficacité de ces dispositifs en matière de protection des civil·e·s n’a jamais été confirmée, puisque malgré le caractère soi-disant « impartial » des caméras, la preuve vidéo ne surpasserait pas les témoignages des personnes impliquées lorsque les images sont visionnées par des parties extérieures comme des juré·e·s.

Devant de tels constats, on ne peut que questionner la pertinence d’utiliser une technologie inefficace pour résoudre des problèmes sociaux et systémiques par ailleurs fort complexes. Face à l’optimisme malavisé de certains envers les caméras corporelles, il ne reste qu’à se demander pourquoi, si ces caméras pouvaient réellement avoir un impact positif sur le SPVM et à l’avantage des Montréalais·es, il faudrait attendre 10 ans avant que celles-ci soient implantées, alors que le coût de la mesure ne représente qu’une infime fraction du budget annuel du service de police.

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1 comment

  1. À tout pouvoir doit s’opposer un contre-pouvoir afin d’éviter les abus.

    Cette histoire de caméra ne règle pas le problème car elle s’attaque à l’effet plutôt que la cause.

    Tous les citoyens, forces de l’ordre inclus, doivent savoir que l’uniforme est intouchable.
    Il ne faut jamais donner à un représentant des forces de l’ordre un prétexte pour dégainer et/ou pointer une arme. Dans un tel cas, il va s’en servir.

    C’est au contre-pouvoir d’évaluer le comportement du représentant des forces de l’ordre en toute situation.

    Reste à définir le contre-pouvoir en question.

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