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La dette augmente vous dites?

12 octobre 2016

  • Philippe Hurteau

Ce soir, à 19 heures, la dette du Québec doit atteindre un nouveau niveau record. À 280 milliards de dollars, notre endettement collectif (les dettes contractées par le gouvernement du Québec) représenterait un lourd fardeau qui, on le devine, pèse de plus en plus lourd sur notre économie et notre avenir.

La dette augmente, c’est un fait. Mais augmente-t-elle trop vite? On peut commencer par rappeler que l’important, ce n’est pas vraiment la dette en elle-même, mais bien ce qu’elle nous permet d’acquérir. Dans le cas du Québec, c’est à l’aide de la dette publique que nous investissons dans les infrastructures (les routes, les hôpitaux, les écoles, etc.). Donc oui, bien sûr, la dette augmente, mais elle augmente en fonction des actifs qu’elle nous permet d’acquérir. Ce n’est donc pas un fardeau que nous portons, mais bien l’outil que nous utilisons pour doter le Québec de ce dont nous avons besoin pour assurer notre prospérité et notre bien-être.

C’est bien beau tout cela, me direz-vous, mais il reste qu’elle augmente fichtrement vite notre dette! N’est-il pas justifié de s’inquiéter un peu? La réponse courte : non.

Trois raisons me semblent nous permettre d’être optimiste. Je laisse de côté l’évolution du rapport dette-PIB qui, en lui-même, nous rappelle que l’état de la dette du Québec est loin d’être catastrophique. Je me concentrerai sur des considérations directement budgétaires.

Premièrement, on remarque depuis la fin des années 1990 (voir graphique 1) que le service de la dette (les coûts des intérêts que Québec paie annuellement sur sa dette) est en constante diminution. En 1997-1998, le service de la dette représentait 16,5 % de l’ensemble des dépenses consolidées du gouvernement. C’est donc dire que pour chaque tranche de 100 $ que Québec dépensait pour l’éducation ou la santé, 16,50 $ était réservé au paiement des intérêts sur la dette.

Depuis, le ratio du service de la dette sur les dépenses consolidées est à la baisse. Il se situe aujourd’hui, selon les projections du ministère des Finances, à 10,4 %. Ainsi, la dette augmente, mais pas la part qu’elle occupe dans les dépenses de l’État. Il est alors faux de la décrire comme un fardeau qui s’alourdit.

Graphique 1 : Évolution de la part du service de la dette dans les dépenses consolidées du gouvernement du Québec, en %

Source : « Données historiques depuis 1970-1971 », Budget du Québec 2013-2014 et Budgets du Québec 2012-2013 à 2016-2017.

Deuxièmement, il faut considérer la possibilité que la part du service de la dette dans les dépenses consolidées diminue uniquement parce que les autres dépenses augmentent plus vite de leur côté. Voyons voir.

Encore une fois, si nous prenons les données pour la période allant de 1997-1998 à 2016-2017, le portrait n’est pas l’un des plus alarmants. Bien entendu, en dollars courants (qui ne tiennent pas compte de l’inflation), le coût annuel du service de la dette grimpe. Toutefois, cette unité ne nous aide pas vraiment à étudier la variation sur une longue période. Il faut plutôt convertir les données en dollars constants (qui intègrent l’inflation) pour se faire une idée des tendances réelles.

La ligne bleue du graphique 2 montre l’évolution des données en dollars courants. De 1997-1998 à 2016-2017, l’augmentation du coût du service de la dette serait alors importante : il passe de 7 342 M$ à 10 418 M$ (une hausse de 41,9 %). Pourtant, une fois les montants convertis en dollars constants pour annuler l’effet de l’inflation et donc parvenir à visualiser la réelle évolution du service de la dette, on constate que son coût est stable dans le temps. En 1997-1998, ce poste budgétaire coûtait 10 430 M$ au gouvernement et en coûtera 10 418 M$ en 2016-2017 (une diminution de 0,1 %). Une fois de plus, difficile de voir en quoi notre dette publique serait un fardeau plus important à porter aujourd’hui qu’hier.

Graphique 2 : Évolution du coût annuel du service de la dette, en M$

Source : « Données historiques depuis 1970-1971 », Budget du Québec 2013-2014 et Budgets du Québec 2012-2013 à 2016-2017.

Troisièmement, il importe de se projeter vers l’avenir et de savoir planifier son endettement. En effet, il vaut mieux lancer des programmes d’investissements massifs par le biais des emprunts quand leur coût est  son plus bas. Justement, le taux d’intérêt moyen pondéré des emprunts du gouvernement n’a jamais été si bas (voir graphique 3). En 1998, le taux d’intérêt moyen sur la dette du Québec était de 7,4 %. En 2015, ce taux est de 3,7 %, et tout indique qu’il restera bas encore en 2016. Bref, non seulement la part de la dette dans les dépenses consolidées diminue et son coût réel est stable depuis presque deux décennies, il serait même justifié de lancer un maximum d’emprunts aujourd’hui afin de profiter des taux d’intérêt peu élevés.

Graphique 3 : Évolution du taux d’intérêt moyen pondéré des emprunts du gouvernement du Québec, en %

Source : Comptes publics du Québec 1999-2000 à 2014-2015, vol. 1.

Ce qui devrait nous inquiéter, au fond, ce n’est pas la dette, mais l’occasion manquée par le gouvernement d’investir en ce moment. La dette représente une part de moins en moins grande du budget, les dépenses liées à son entretien sont stables et les coûts actuels de refinancement de la dette sont à des planchers historiques.

Nous avons là une conjoncture parfaite pour faire exactement l’opposé de ce que fait le gouvernement Couillard. Au lieu de tout miser sur le Fonds des générations, un programme improductif dans lequel nous aurons englouti d’ici 2020 quelque 24 G$, pourquoi ne profiter de la situation pour investir massivement dans nos infrastructures?

Pourquoi ne pas être pragmatique pour une fois et tirer profit du bas taux d’emprunt pour se doter d’une stratégie de relance structurée autour d’objectifs ambitieux? S’endetter aujourd’hui, mais pas uniquement pour créer des emplois à court terme. Il faut plutôt en profiter pour entamer avec sérieux la transition écologique. Nous devrons le faire, qu’on le veuille ou non, alors pourquoi ne pas prendre les devants?

La posture alarmiste sur la dette nous empêche d’avancer. Ce dont le Québec a besoin aujourd’hui, c’est d’une politique énergétique digne des défis du 21e siècle. C’est d’une politique de transport capable d’offrir une alternative crédible à l’automobile. C’est d’une politique industrielle qui place au centre de ses préoccupations la promotion de la production et de la consommation locales (ce que l’on nomme aussi les circuits courts). Tout cela demande de la volonté politique, mais aussi des investissements. Par la dette publique, nous avons un outil à notre disposition. Ce qui nous manque, c’est un gouvernement qui veuille l’utiliser.

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