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Dépenser pour mieux relancer l’économie

20 novembre 2020

  • Raphaël Langevin

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les gouvernements ont multiplié les programmes spéciaux afin de soutenir les travailleurs, les travailleuses et les entreprises les plus durement touchés par les restrictions sanitaires. Comme ces programmes ont eu des impacts majeurs sur les finances publiques, plusieurs travailleurs et travailleuses craignent un retour à l’austérité budgétaire dès la fin de la crise sanitaire. Dans ce billet, je montre pourquoi les déficits publics record enregistrés actuellement ne peuvent servir de justification à l’adoption de mesures austéritaires et pourquoi de telles mesures auraient des effets dévastateurs sur l’économie québécoise, minant ainsi les chances d’un retour à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans.

Vers une nouvelle ère austéritaire?

Dans sa récente mise à jour économique, le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, prévoyait que le Québec serait capable d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2025, et ce, « sans couper dans les services et sans augmenter les taxes et impôts ». La réelle signification d’un tel refrain est pourtant bien connue du public, le précédent gouvernement libéral ayant maintes fois tenté de faire croire à la population québécoise que sa « rigueur budgétaire » n’aurait pas d’incidences négatives sur les services à la population. Comment le ministre prévoit-il alors atteindre l’équilibre budgétaire? Tout comme l’évoquait Donald Trump en 2017 pour justifier des baisses d’impôts massives, M. Girard mise sur une croissance économique post-COVID soutenue afin d’augmenter les recettes de l’État québécois. Et pourquoi faut-il absolument atteindre l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans? Parce qu’il faut « fermer l’écart de richesse avec le Canada », tout simplement.

Comme le mentionnaient récemment mes collègues chercheurs Guillaume Hébert et François Desrochers, l’excuse d’un éventuel rattrapage économique avec le reste du Canada relève de la  pathologie en plus d’être fondamentalement erronée. Mais avant tout, cette marotte ne peut en aucun cas servir d’argument afin de justifier les choix budgétaires du ministre. En supposant que la croissance économique du Québec est bel et bien en retard par rapport au reste du Canada, en quoi cela commande-t-il une remise en question du « modèle québécois », surtout considérant le fait que l’austérité budgétaire fait déjà partie des stratégies prioritaires des gouvernements provinciaux des quatre dernières décennies? L’obsession du déficit zéro ne serait-elle pas plutôt le problème que la solution? De plus en plus d’évidences tendent à montrer que oui.

La santé actuelle des finances publiques

En juin 2018, l’IRIS publiait un rapport de recherche démontrant l’inefficacité patente des mesures austéritaires afin de réduire l’endettement public au Québec. En effet, nous avons montré que les dépenses publiques stimulent les investissements privés et la croissance économique. Nos résultats montraient à l’inverse que limiter ces mêmes dépenses sous prétexte qu’il est nécessaire d’atteindre l’équilibre budgétaire constituait une stratégie totalement contre-productive. La COVID-19 a-t-elle changé la donne depuis ? Quelques études récentes permettent de répondre à cette question.

D’abord, mon collègue le chercheur Philippe Hurteau a publié une note socioéconomique démontrant clairement qu’il n’y a aucun risque significatif à l’horizon : le poids de la dette du Québec reste amplement sous contrôle, malgré un déficit public provincial anticipé de 14,9 milliards de dollars pour l’année 2020. Même en supprimant tous les versements futurs au Fonds des générations et en supposant une croissance économique relativement faible pour les années à venir, le ratio dette/PIB du Québec continuerait de diminuer et se situerait sous la barre des 50 % d’ici 2030, une situation très enviable comparativement à la plupart des pays de l’OCDE.

Notons d’ailleurs que la situation est semblable au niveau fédéral. En effet, le Directeur parlementaire du budget publiait le 29 septembre dernier une analyse affirmant que, « [s]ous réserve du cadre de politique actuel, […] la politique budgétaire fédérale serait viable à moyen terme » et que « [m]algré le déficit record en 2020-2021 […], le ratio de la dette fédérale au PIB augmente initialement, puis diminue progressivement à moyen terme ». En clair, en dépit des déficits record, autant les finances publiques provinciales que fédérales restent et resteront en excellente santé pour l’année courante et celles à venir.

Augmenter les investissements publics et les impôts des plus fortuné·e·s : les seules options réalistes

Cependant, si la crise sanitaire perdure, n’y a-t-il pas un risque que les niveaux d’endettement public explosent ? Deux études récentes démontrent que cette crainte est injustifiée et que limiter maintenant les dépenses publiques risque en fait d’ajouter une crise économique par-dessus la crise sanitaire existante. Une analyse récente du Fonds monétaire international (FMI) affirme ainsi que « l’investissement public est un instrument efficace des programmes de relance destinés à limiter les effets de la pandémie sur l’économie ». En effet, les économistes du FMI estiment qu’une « augmentation de l’investissement public égale à 1 % du PIB […] dynamiserait le PIB de 2,7 %, l’investissement privé de 10 % et l’emploi de 1,2 % », cela sous certaines conditions amplement satisfaites par le Québec et le Canada.

Plus près de nous, des économistes de l’Université de Sherbrooke et de l’Université Carleton ont estimé que, pour la période 1980-2019, chaque dollar public dépensé au Québec avait augmenté de deux dollars la croissance économique à court terme. En limitant l’analyse aux seuls investissements publics (et non aux dépenses publiques totales), ce même montant augmente à 3,50$ et son effet s’estompe plus lentement au fil des années. En clair, si nous souhaitons diminuer le poids de la dette publique du Québec, l’accroissement des investissements publics au-delà des cibles d’équilibre budgétaire doit être considéré comme la stratégie prioritaire. Ne pas emprunter une telle voie risque tout simplement d’amoindrir la croissance économique dont le ministre Girard a cruellement besoin afin d’équilibrer le budget québécois d’ici cinq ans.

Si l’équilibre budgétaire n’est utile ni pour réduire l’endettement public ni afin de stimuler la croissance économique, pourquoi le ministre invoque-t-il une telle politique afin de fermer le soi-disant « écart de richesse » avec le reste du pays? Et pourquoi refuser d’augmenter les impôts des plus riches afin d’atteindre cet équilibre si précieux à ses yeux? Selon l’économiste français Thomas Piketty, plusieurs individus et entreprises se sont grassement enrichis grâce à la pandémie. Augmenter leur taux d’imposition ne les ferait pas fuir du Québec (même que plusieurs « jeunes riches québécois » demandent à se faire imposer davantage), ni diminuer leur offre de travail; cela ne ferait qu’aider l’État à boucler efficacement son budget tout en réduisant les inégalités de revenu. À moins que l’objectif inavoué du gouvernement soit simplement de réduire la place du secteur public dans l’économie québécoise, les choix budgétaires du ministre restent difficilement justifiables.

Des investissements pour favoriser la transition écologique

Toutefois, si augmentation des investissements publics il doit y avoir, il importe de savoir lesquels  favoriser. Les économistes cités ci-haut sont sans équivoque : « [N]ous jugeons que c’est probablement le temps le plus opportun pour le Québec de se doter d’infrastructures vertes et d’améliorer l’offre de transports collectifs ».

Tandis que la ville de Montréal « piétonnise » et « cyclise » plusieurs de ses principales artères commerciales, il n’existe pas de meilleur moment pour que le gouvernement québécois investisse davantage dans des projets structurants de transport collectif, comme le prévoit le Plan pour une économie verte déposé lundi dernier. Par contre, les investissements prévus se concentrent principalement sur les gestes individuels et risquent d’être insuffisants afin d’atteindre les cibles de réduction de GES fixés pour 2030. Les enveloppes budgétaires contraignantes prévues ne permettent pas non plus d’envisager des projets de transport collectif optimaux et ambitieux, comme cela risque d’être le cas pour le tramway de Québec. Pourtant, de tels investissements ont au moins trois mérites importants, soit de stimuler efficacement la croissance économique, réduire significativement nos émissions de gaz à effet de serre et fournir des emplois stables et de qualité en ces temps incertains. Fournir un financement adéquat à ce type de projet est donc la meilleure voie à emprunter, à moins que le gouvernement ne soit qu’à la recherche d’excuses pour justifier un éventuel retrait de son appui financier envers le tramway de Québec (et aussi le REM de Montréal). Une telle situation serait hautement déplorable si elle s’avérait, mais ce ne serait pas la première fois que le gouvernement agit de la sorte à des fins purement électoralistes.

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