Après l’austérité, le beau temps?
8 avril 2015
Mission accomplie pour le ministre des Finances Carlos Leitão, qui est parvenu à présenter un budget équilibré le 26 mars dernier. C’est évidemment au prix d’importantes compressions que cet objectif a été atteint. Au nom de la « rigueur », le gouvernement Couillard a offert aux citoyen.ne.s du Québec des coupures tous azimuts dans les services publics : réduction du budget des universités, des commissions scolaires, des municipalités, diminution des effectifs de la fonction publique, fusion d’établissements de santé, révision des règles de financement des CPE, etc.
L’attaque est généralisée, mais le Parti libéral du Québec mise sur le fait que chacun d’entre nous ne sera vraisemblablement concerné que par certaines des mesures et réformes adoptées et ne ressentira pas immédiatement les conséquences de ce grand dérangement. À moins que le mécontentement populaire ne donne lieu à une mobilisation qui dépasserait les secteurs traditionnellement opposés au gouvernement (mouvement syndical, étudiant, associatif, etc.), les Libéraux pourront s’en tenir à leur plan original. Comme le soulignait mes collègues dans leur analyse du budget, après deux années passées sous le signe de l’austérité, on peut en effet s’attendre à ce qu’ils mettent un frein aux compressions et commence à distribuer les cadeaux qui, calculent-ils, se transformeront en votes lors de la prochaine élection provinciale.
Cette stratégie ressemble à s’y méprendre à celle qu’a mise en place le parti Conservateur de Stephen Harper depuis qu’il a acquis sa majorité en 2011 : d’abord exiger de la population qu’elle se serre la ceinture pour atteindre l’équilibre budgétaire, puis répartir les fruits de ce sacrifice collectif sous la forme de réductions d’impôt. Après avoir réaliser d’importantes compressions budgétaires, des coupures de postes massives et des réformes impopulaires en 2012 et 2013, à partir de 2014 le gouvernement fédéral a notamment adopté une série de nouvelles mesures fiscales destinées aux familles en plus de bonifier des crédits d’impôt déjà existants.
Le hic, c’est que cette stratégie de communication maintes fois employée sert d’abord et avant tout à envelopper des mesures qui profitent surtout à une petite frange de la population, soit la plus favorisée. Sous prétexte d’« offrir un réel soutien aux familles canadiennes », le Parti Conservateur a entre autres introduit une mesure de fractionnement du revenu entre conjoints qui bénéficient majoritairement aux couples les plus fortunés, une majoration de l’exemption fiscale pour les CELI (comptes d’épargne libre d’impôt), qui sont surtout utilisés par les contribuables les plus aisés, et des prestations de garde qui avantagent les familles qui les utilisent le moins.
Dans une lettre publiée le mois dernier dans les pages du Devoir, Robert Laplante défendait l’idée que le programme du Parti Libéral témoignait de la soumission de Québec aux volontés du gouvernement fédéral. « En vérité, ce gouvernement d’inconditionnels du Canada a choisi de se soumettre entièrement aux volontés d’une majorité étrangère. Il préfère s’en prendre à sa propre population plutôt que de conduire un affrontement avec Ottawa dont il ne réclame rien. Résultat : des surplus à Ottawa et le retour des lamentations à propos du déséquilibre fiscal et… la liquidation de plusieurs de nos acquis les plus précieux. » N’est-ce pas plutôt aux volontés d’une élite minoritaire que se soumettent tant Ottawa que Québec?
Tant les Conservateurs fédéraux que les Libéraux provinciaux gouvernent en fonction des intérêts des grandes entreprises et des riches individus qui les dirigent, ceux-là mêmes qui profitent le plus du système fiscal actuel. La direction de l’économie est entre leurs mains et, pour reprendre les mots du journaliste américain Chris Hedges, nos gouvernants sont les précieuses « marionnettes » qui se plient devant leur volonté, celles qui leur accordent les permis de forer, qui construisent les routes jusqu’aux mines qu’elles exploitent, qui forment ceux et celles qui vont travailler pour leur compte. L’embauche récente par la minière Barrick Gold de l’ancien ministre fédéral des Affaires étrangères John Baird illustre d’ailleurs parfaitement la proximité entre l’élite politique et économique du pays. Et le déficit zéro, les baisses d’impôt dans tout ça? Ce ne sont que les slogans qu’utilisent nos dirigeants pour que l’on consente à se sacrifier pour le seul bénéfice de cette petite caste de privilégiés.