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Milliardaires de quelques jours dans des escalateurs piégés

14 décembre 2022

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5min

  • VL
    Vivian Labrie

Il y a 20 ans, le 13 décembre 2002, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Son article 20 se lit comme suit : « Chaque ministre, s’il estime que des propositions de nature législative ou réglementaire pourraient avoir des impacts directs et significatifs sur le revenu des personnes ou des familles qui, selon les indicateurs retenus en application de la présente loi, sont en situation de pauvreté, fait état des impacts qu’il prévoit lors de la présentation de ces propositions au gouvernement. »

Le ministre des Finances du Québec a-t-il fait état des impacts prévisibles pour les personnes en situation de pauvreté des 6,7 G$ dépensés en 2022 par son gouvernement en « montants ponctuels pour le coût de la vie » à la très grande majorité des contribuables québécois dont le revenu net était grosso modo de 104 000 $ ou moins ? Notons que c’est l’équivalent de 5 % du budget de l’ensemble des ministères pour l’année en cours qui aura été distribué « ponctuellement ».

On nous a présenté la mesure comme un moyen de pallier l’inflation. Devant tous les moyens structurants qui auraient pu être mis en place (augmentation du crédit pour solidarité, amélioration des prestations de dernier recours, augmentation du salaire minimum, couverture des soins dentaires, construction de logements sociaux), pourquoi avoir choisi celui-là ? Pourquoi des versements ponctuels à une majorité de ménages ? Pour en venir à quoi ? Voici en tout cas quelques effets constatables.

Pour le reprendre au printemps dernier aux gens qui avaient des dettes envers l’État, ce qui est souvent le cas pour les plus pauvres pris dans des règles contraignantes, notamment à l’aide de dernier recours.

Pour échapper aux plans d’action périodiques qui indiquent timidement comment le gouvernement prévoit tenir compte de la loi de 2002, laquelle doit le guider pour « tendre vers un Québec sans pauvreté » et pour réduire la pauvreté ainsi que les inégalités (ce qui supposerait d’améliorer les lois et les règlements en conséquence).

Selon le dernier plan d’action (2017), le revenu récurrent garanti à l’aide sociale de base aurait dû couvrir un très faible 55,1 % des besoins de base selon la mesure du panier de consommation (MPC). Comme l’a montré l’IRIS en mai 2022, il n’en aura couvert que 47,1 %, un manque de 1 656 $ pour une vie de misère. Au programme de solidarité sociale, il aurait dû couvrir 77,6 % de ces besoins. Il n’en aura couvert que 67 %, un manque de 2 352 $ en comparaison avec la garantie de revenu promise.

Pour échapper à une fiscalité attentive, qui, pour tendre vers une société sans pauvreté, devrait agir comme l’instrument des solidarités et non de la reproduction des inégalités.

Non imposable, le 3,5 G$ versé en décembre échappera à toute velléité de solidarité fiscale. Vous n’en avez pas besoin ? Donnez-le à une personne ou à une cause, est la réponse gouvernementale à la critique. Les organisations qui voient passer les guignolées du temps des fêtes le savent bien : la philanthropie ne peut remplacer une fiscalité solidaire qui inclut à l’année tout le monde dans son équation, elle peut tout juste pallier, à la graine, une fiscalité qui colle les gens dans des escalateurs qui descendent pour les un·es et qui montent pour les autres. Il y a de la bonne glu dans les 6,7 G$ de 2022.

Une mesure qui permet au gouvernement de contourner ses obligations

Avec ces milliards hors loi, règlement et fiscalité attentive, on peut facilement échapper à la clause d’impact non judiciable de la loi de 2002, mais pas au fait qu’ils auront vraisemblablement dispersé à tout vent, pour soi-disant contrer l’inflation, beaucoup plus que le déficit de couverture des besoins de base selon la MPC en 2022. En effet, en 2017, il manquait 3,9 G$ aux ménages les plus précaires pour pouvoir accéder à ce panier de biens et services minimal qui permet de répondre à des besoins élémentaires, mais qui ne fait pas sortir pour autant de la pauvreté et de la vie dure qui vient avec.

Nous savons déjà par ailleurs (voir ici et ici) que le Québec aurait eu plusieurs occasions depuis l’adoption de la loi de 2002, de régler ce déficit de couverture, une dette collective empruntée à l’espérance de vie de la population la plus pauvre. Il aurait suffi, comme le préconisait la proposition de loi citoyenne ayant précédé la loi, de faire primer l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre de la population sur celle du cinquième le plus riche. Cela aurait pu se faire sans perte de niveau de vie pour ceux et celles qui couvraient déjà leurs besoins et même très bien. Les lois, les règlements, la fiscalité, et ce qui piège les gens dans des escalateurs qui descendent pour les un·e·s et montent pour les autres, ont fait le contraire. Il est encore temps d’y repenser. Et de reconsidérer la richesse qui nous sépare au lieu de nous réunir. Vu le contexte de l’urgence climatique, ce serait peut-être la chose la plus juste et la plus verte à faire.

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1 comment

  1. Ceux qui gagnent leur vie dans l’univers de la politique visent pratiquement toujours leur sécurité d’emploi personnelle. Très rarement un geste politique va dans le sens du bien-être populaire. Les élus et toute l’armée de leurs subalternes soumis aux oligarques ploutocrates que sont les entreprises et les monopoles, il ne leur est jamais laissé le temps de penser aux conséquences de leurs décisions sur le coup et dans le temps sur les citoyens de leur propre pays.
    La démocratie, historiquement, n’a été efficacement défendue que lorsque le pouvoir législatif était aux mains d’une assemblée élue par tirage au sort… À chaque année!

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