La fin d’une époque: adieu recherche fondamentale
6 avril 2012
Depuis maintenant près de deux mois, il ne se passe pas une journée sans que la question de l’avenir de l’éducation universitaire ne soit posée. Souvent abordée – et à juste titre – sous l’angle du problème de l’accessibilité, trop souvent sont occultées les transformations imposées au monde de la recherche dans le vaste mouvement qu’est la marchandisation du savoir.
Heureusement, le gouvernement fédéral est là pour nous rappeler à l’ordre. Dans son budget du 29 mars, le ministre des Finances, Jim Flaherty, a présenté sa vision de ce que devrait être la recherche universitaire au Canada. L’idée est assez simple, mais brutale : retirer le financement fédéral à la recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée directement commercialisable. Sous prétexte de stimulation économique et de participation à la croissance, le ministre, d’un seul coup de crayon, met fin au financement public de la pensée scientifique indépendante.
S’il est important que le travail de la science puisse trouver des débouchés dans le monde concret, on ne peut limiter sa pertinence à cet aspect. La recherche fondamentale, celle qui s’opère et s’effectue à l’abri des pressions industrielles, est le moteur essentiel de l’avancement du savoir et des connaissances dans une société. En coupant le financement public qui lui était réservé, les chercheurs d’aujourd’hui et de demain seront forcés d’adapter leurs travaux non pas aux besoins, interrogations ou débats de leur discipline, mais à ceux de corporations pour qui la science n’est qu’un outil d’accumulation parmi d’autres.
Au Canada, les entreprises privées, comme le montre le graphique ci-dessous, investissent moins qu’ailleurs en recherche et développement.
Pour pallier à ce « désavantage économique », le gouvernement fédéral décide de se porter au secours du secteur privé. À croire que les 220 milliards $ obtenus en baisse d’impôt par les entreprises depuis 2006 ne suffisaient pas…
La liste des sommes allouées pour opérer le délaissement de la recherche fondamentale parle d’elle-même. En voici quelques exemples :
- Donner 37 M$ aux organismes subventionnaires pour que ceux-ci réorientent la distribution de leurs fonds en fonction de critères économiques.
- 110 M$ au Conseil national de recherches du Canada afin d’aider les entreprises dans le cadre du Programme d’aide à la recherche industrielle.
- 95 M$ sur trois ans et ensuite 40 M$ par année pour rendre permanent le Programme canadien pour la commercialisation des innovations en y ajoutant un volet militaire.
- 67 M$ pour réorienter les activités du Conseil national de recherches du Canada dans l’optique de diriger des recherches pertinentes pour l’industrie.
- 500 M$ sur cinq ans à partir de 2014-2015 destinés à la Fondation canadienne pour l’innovation ayant pour but d’appuyer le développement d’infrastructures de recherche de pointe.
Le dernier budget fédéral était très sombre et cela pour une multitude de raisons. Pensons par exemple à la modification de l’âge auquel les Canadiens et Canadiennes auront droits à leur pension de vieillesse ou au licenciement de 19 200 postes dans la fonction publique (sans jamais expliquer comment il sera possible de maintenir la qualité des services offerts à la population, ni juger des effets néfastes de ces pertes d’emplois sur la reprise)…
Pour ceux et celles qui tiennent à l’indépendance et à l’autonomie du monde universitaire par rapport aux entreprises, pour qui le développement du savoir n’est pas réductible à sa participation à la stimulation économique et pour qui la qualité des connaissances n’a pas grand-chose à voir avec le nombre de brevets dûment enregistrés… l’orientation décrétée par le gouvernement fédéral la semaine dernière est lourde de conséquences.