La dette, l’OCDE et le FMI
5 juin 2015
Francis Vailles a fait paraître vendredi dernier une série d’articles à propos de la dette du Québec. Celui qui a le plus circulé propose des réflexions très intéressantes quant à la dette et à la question des régimes de retraite. Il apporte quelques faits nouveaux, bien que le gouvernement du Canada les ait déjà soulevés dans un de ces documents budgétaires, qui vont en somme dans la direction générale de nos publications récentes sur le sujet, bien que nos interprétations, sans surprise, diffèrent.
Dans un autre article qui a moins circulé, Francis Vailles souligne un problème quant au calcul de la dette selon la méthode de l’OCDE développée par le gouvernement du Québec en 2010 et reprise, entre autres, par LouisGill, nous-mêmes et le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal. En gros, le gouvernement du Québec aurait utilisé la valeur comptable de la dette tandisque l’OCDE utilise sa valeur marchande et nous aurions tous repris cette méthode de calcul à sa suite. Une telle divergence viendrait fausser la comparaison à l’avantage du Québec. À première vue, M. Vailles semble avoir vu juste, bien que les informations qu’on trouve ici semblent dire que le Canada et les États-Unis font exception à cette règle. Toutefois, quand on fait le calcul comparatif, on constate le contraire.
Voilà un élément tout à fait pertinent que personne n’avait noté et qui change les classements. Dans son texte, M. Vailles affirme que pour comparer les données que nous utilisons, nous aurions dû comparer le Québec avec les autres pays à partir des données du FMI qui, lui, utilise la valeur comptable. Qu’à cela ne tienne, nous avons fait la rapide comparaison avec les données rendues disponibles par le FMI, auxquelles nous avons ajouté le Québec (avec et sans une part de la dette fédérale) pour voir si la situation changeait de façon critique et si nous devions revenir sur nos conclusions générales sur la dette du Québec.
Dette brute
Graphique 1 : Dette brute selon le FMI, 2013
Source :FMI, Fiscal Monitor, Dette brute /PIB, 2013, calculs des auteurs pour le Québec
Comme on le voit au graphique 1, du côté de la dette brute comprenant une part de la dette fédérale, les changements de classement par rapport à notre brochure semblent importants : le Québec passant du dixième rang au cinquième (dans les pays choisis, rappelons que nous ne les avons pas tous conservés). Cependant, quand on regarde les données avec un peu plus d’attention, on voit que le Québec (à 94,8% d’endettement) est tout près des pays qui le suivent (France, Espagne) avec un peu plus de deux points de pourcentage de différence tandis qu’il est assez loin de celui qui le précède, les États-Unis, avec plus de huit points de pourcentage de distance. L’Italie, qui vient avant les États-Unis a quant à elle une différence de 34 points de pourcentage avec le Québec.
Bref, bien que le classement ait changé, le Québec reste dans le même groupe de pays qui ont des dettes à des niveaux comparables (États-Unis, France, Espagne, Royaume-Unis, Canada et Belgique – qui n’est pas dans notre classement). Ces pays ne sont pas les plus endettés (il s’agit plutôt du Japon, Portugal, Italie et Grèce – qui n’est pas dans notre classement) mais ils font partie du deuxièmegroupe le plus endetté qui se tient à bonne distance du premier et qui est sous la moyenne d’endettement des pays avancés. À l’intérieur de ce groupe de pays, les différences entre les pays sont assez minces, ce qui fait qu’un changement de calcul a un impact important sur le classement.
Si on ne tient pas compte de la dette fédérale (un élément problématique comme nous l’avons souligné ailleurs), le Québec reste dans le même groupe, celui des dettes relativement modestes – avec les Pays-Bas, la Finlande et la Suisse.
Dette nette
Graphique 2 : Dette nette selon le FMI
Source : FMI, Dette brute / PIB,2013, calculs des auteurs pour le Québec
Qu’en est-il de la dette nette? Cette question importante est à la base d’une vignette et d’une vidéo de notre part, lesquels ont beaucoup circulé. Dans ce cas précis : très peu de conséquences. En effet, si on lui ajoute une part de la dette fédérale, le Québec est légèrement plus endetté que les Pays-Bas et légèrement moins que le Canada. Il se retrouve en meilleure position que l’Allemagne, la France, les États-Unis, etc. Il se retrouve plutôt dans le troisième groupe d’endettement et non plus dans le deuxième, comme avec la dette brute.
Quand on ne regarde que l’endettement du gouvernement du Québec sans lui attribuer de dette fédérale, alors le Québec se trouve parmi les États les moins endettés entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les données présentées dans la vidéo restent donc strictement exactes, tandis qu’il y aurait quelques changements mineurs à faire dans la vignette, mais le résultat général est le même. Çatombe bien, nous nous disions justement qu’il fallait produire une publication plus fréquente sur la dette, cela nous donnera l’occasion d’approfondir ces données.
Est-ce que le Québec est trop endetté?
Dans le débat public actuel, la dette du Québec est devenue la justification de la mise en place des politiques d’austérité. Nous serions trop endettés et notre lourd fardeau fiscal ne nous laisserait aucune marge de manœuvre. La comparaison internationale nous permet de voir que le Québec n’est pas dans une situation catastrophique comme la Grèce ou le Japon. Mais est-il suffisant de constater que notre gazon est plus vert que la majorité de nos voisins pour en conclure que le Québec n’est pas trop endetté? La réponse est simple : non, ce n’est pas suffisant. Depuis la publication de notre brochure, l’IRIS ne nie pas la dette du Québec, nous tentons d’exposer des faits pour permettre d’avoir un débat sain autour de la dette. Et surtout démontrer que l’utilisation de lapeur autour de celle-ci et du fardeau fiscal est davantage une justification politique qu’une réalité économique et statistique.
D’ailleurs, dans cet article, qui se réfère à une étude du FMI, il est affirmé que la mise en place de politiques d’austérité visant à rembourser rapidement la dette nuit davantage à l’économie qu’elle ne l’aide. Pourquoi? Puisque l’État est également un agent économique qui, par des investissements dans des infrastructures, peut dynamiser l’économie, un remboursement trop rapide de la dette lorsque l’économie nationale a besoin d’investissement ne fera que ralentir celle-ci. Mais l’étude va plus loin que cette conception keynésienne de l’État. Pour les auteurs, la capacité d’emprunt d’un État pour l’investissement ne peut se résumer au simple ratio dette/PIB. Il faut y inclure ce qu’ils nomment « l’espace fiscal disponible ». Cette méthode du FMI, également appliquée par Moody’s pour faire l’évaluation de ses cotes de crédit, observe le rapport entre la dette/PIB, mais aussi le rapport recettes fiscales/PIB (ce qui est souvent nommé le poids de la fiscalité). En ajoutant cette variable d’espace fiscal, c’est-à-dire un coefficient qui détermine si un État a la possibilité d’augmenter ses taxes et impôts sans nuire à son économie, cela permet une sorte d’assurance pour ne pas tomber en défaut de paiement.
Le pire des scénarios est d’avoir une dette nette (la dette brute à laquelle sont soustraits les actifs financiers) tout en possédant un haut taux de pression fiscale. Au graphique 3, nous voyons que le Japon possède une dette nette représentant 134% de son PIB, alors que les revenus de ses recettes fiscales représentent 29,5%. Dans l’étude, les auteurs offrent une catégorisation pour leur coefficient. La Grèce et le Japon se retrouvent dans une situation assez dramatique, tandis que la France, l’Espagne et l’Irlande sont dans une situation relativement fragile. Un autre groupe est composé entre autres du Canada, des États-Unis et des Pays-Bas, possédant des dettes très gérables de par l’espace fiscal disponible et un ratio dette/PIB qui n’est pas si élevé. Le dernier groupe, disons les meilleurs élèves, est principalement composé des pays scandinaves.
Qu’en est-il du Québec? Nous ne reprenons pas ici l’ensemble du calcul du FMI, mais nous pouvons voir au Graphique 3, à l’aide d’une comparaison rapide entre les deux variables, que le Québec se retrouve dans la même catégorie que le Canada, la Suisse, les Pays-Bas et même les États-Unis (si nous prenons en considération que dans l’étude du FMI, le Canada et les États-Unis se retrouvent dans la même catégorie). Donc le Québec, avec une pression fiscale avoisinant 36% du PIB (cela inclut taxes et impôts fédéraux et des municipalités), est loin d’être le plus imposé dans le monde et avec une dettenette d’environ 35% du PIB (incluant une part du fédéral) est loin d’être le plus endetté. En fait, il se situe même dans une position gérable selon les a priori du FMI. Plusieurs diront que le Québec n’a pas de marge de manœuvre fiscale contrairement à ce qu’exposent les chiffres, mais nous savons que c’est un réflexe normal, puisque personne ne veut être plus imposé. Cela démontre peut-être simplement que les enjeux entourant la pression fiscale se jouent davantage dans l’arène politique que dans celle des statistiques.
Graphique 3 : Dette nette (% du PIB) et pression fiscale (% du PIB) 2012
Source :OCDE et FMI
Les intérêts
Contrairement à nous, Francis Vailles considère que la dette nette est moins importante à considérer parce que « les intérêts annuels à payer sont calculés sur la dette brute ». Pour nous, il est étrange de regarder la dette brute si on veut parler des intérêts payés. Pourquoi ne pas regarder le service de la dette lui-même? À entendre le ministre des Finances, le Québec serait dans une situation où la part d’intérêt qu’il verse est en traind’exploser par rapport à son budget. Encore faudrait-il le démontrer.
À première vue, ça ne semble pas vraiment être le cas. Les données de Statistique Canada sont en train d’être revues sur ces questions, les seules qui sont disponibles pour l’instant vont jusqu’en 2009. Néanmoins, le graphique 4 tiré de ces données ne montre pas une explosion de la part des dépenses consacrées aux intérêts.
Graphique 4 – Part des dépenses consacrées au service de la dette
Source :Statistique Canada, CANSIM, tableau 385-0001, calcul des auteurs.
L’institut de la Statistique du Québec nous signale quant à lui (attention : ces chiffres ne sont pas comparables avec ceux de Statistique Canada, les deux organismes n’utilisant pas les mêmes chiffres, ni pour le service de la dette, ni pour les dépenses) que le service de la dette représentait 12,6% des dépenses totales du gouvernement en 2005-2006 et 10,9% en 2012-2013.
Le gouvernement du Québec nous propose dans son dernier budget ce graphique pour montrer l’évolution du service de la dette par rapport aux revenus consolidés.
Graphique 5 – Part des dépenses consolidées consacrées au service de la dette
Source :Ministère des Finances, Budget 2015-2016, p. D.22.
Dans un blogue récent, Stéphane Gobeil mettait le service de la dette en rapport auPIB.
Graphique 6 : Part du PIB que représente le service de la dette
Source :http://www.journaldemontreal.com/2015/05/29/la-dette-la-dette-cest-pas-une-raison-pour-se-faire-mal
Dans tous les cas, sommes-nous devant des taux d’intérêt sur la dette hors de contrôle? Il serait difficile de l’affirmer. La part de nos dépenses consacrées au service de la dette a connu une importante diminution depuis le début des années 2000, et si l’on peut voir une légère remontée depuis la crise, celle-ci tend à se résorber.
Bref, des comparaisons internationales sur la dette brute ne nous aident pas vraiment à avoir des réflexions sur le service de la dette. Quant à la dette nette, elle semble davantage utile si l’on veut juger de la situation réelle d’endettement et de la capacité à faire face à des périodes difficiles, et éviter des défauts de paiements. Sur cette question, le Québec semble, en fait, en assez bonne posture.