Les infrastructures fossiles de l’Est du Canada
6 juin 2023
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Le budget carbone résiduel nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius est de 400 Gt à l’échelle mondiale. Or, la seule exploitation tout au long de leur durée de vie prévue des infrastructures fossiles (puits, oléoducs, raffineries, etc.) en opération dans le monde suffirait à dépasser ce seuil de plus du tiers. Pour contrer la crise climatique, non seulement doit-on éviter toute nouvelle installation fossile, mais une partie des installations existantes doivent être démantelées prématurément.
Plusieurs freins retardent et empêchent cette transition. Dans un rapport conjoint paru aujourd’hui, le Centre canadien de politiques alternatives et le Corporate mapping project décrivent les obstacles à la sortie des énergies fossiles dans l’Est du Canada à partir d’une recension des infrastructures fossiles installées ou projetées sur le territoire. Ce billet résume les grandes lignes de cette étude, dont la conférence virtuelle de lancement se déroulera le 7 juin à 15h00.
La filière fossile de l’Est canadien
Lorsqu’il est question d’énergies fossiles au Canada, on songe immédiatement à l’Ouest canadien, où sont concentrés respectivement 98% et 95% de l’extraction de gaz naturel et de pétrole au pays. Or, le bassin Atlantique comporte également son lot d’installations fossiles dans chacune des dimensions de la filière des hydrocarbures, soit l’extraction, le transport, le raffinage, la distribution et la consommation. La figure 1 cartographie les infrastructures fossiles de cette région.
Extraction
La province de Terre-Neuve-et-Labrador produit annuellement 95 millions de barils de pétrole à partir de plateformes maritimes. Cette extraction est d’ailleurs appelée à augmenter dans la cadre des projets Bay du Nord et West White Rose. Le Nouveau-Brunswick, en dépit d’un fort mouvement de contestation, a levé le moratoire sur l’exploitation de gaz naturel par fracturation hydraulique dans certaines régions.
Raffinage
Les villes de Montréal, Québec et Saint-Jean (N.-B.) concentrent quant à elles 37% de la capacité de raffinage pétrolier au Canada, avec 672 000 barils de pétrole par jour.
Transport et distribution
La vallée du Saint-Laurent est pour sa part un axe de transport et d’exportation majeur par bateau, train et oléoducs. La ligne 9 de l’entreprise Enbridge est un oléoduc qui achemine du pétrole de l’Ouest canadien et des États-Unis vers la raffinerie Suncor à Montréal et celle de Valéro à Lévis par bateau, dont une partie de la production est consommée localement et l’autre est exportée par l’Atlantique. Un réseau de rails permet aussi le transport de pétrole par train jusqu’à la raffinerie Irving, à Saint-Jean, tandis que le réseau québécois de distribution de gaz naturel de plus de 12 000 km est un actif fossile important. Notons à cet égard que le récent partenariat entre Hydro-Québec et Énergir pour le système de biénergie et la gestion de la pointe hivernale continue de faire débat au Québec.
Consommation
Enfin, la majorité de l’électricité de la Nouvelle-Écosse est produite au moyen de quatre centrales thermiques au charbon, tandis que 24% de l’électricité du Nouveau-Brunswick est de source fossile. Au Québec, même si 98% de l’électricité provient des barrages hydroélectriques, la moitié des besoins énergétiques du Québec dépendent néanmoins de sources fossiles, principalement pour le transport, la production industrielle et le chauffage.
Des verrous carbone
Toutes ces infrastructures sont associées à des emplois, des intérêts financiers, des technologies ainsi que des systèmes de production et de consommation qui, conjointement, participent à freiner la transition énergétique et sa planification. À ce sujet, le terme « verrou carbone » est apparu au tournant du 21e siècle pour décrire comment des décisions passées d’investissement ayant permis la construction d’importantes infrastructures retardent aujourd’hui la transition juste. Les intérêts des entreprises propriétaires pèsent lourd dans cette inertie climatique. Leurs stratégies d’obstruction, déployées à partir de la fin des années 1980, sont d’ailleurs bien documentées : lobbyisme, écoblanchiment, désinformation, déni climatique, investissements massifs de capitaux. Ainsi, dans un contexte où les actifs de ces entreprises se retrouvent menacés par les efforts de transition, l’adoption de politiques publiques écologiques est soumise à une pression importante.
Le plus récent budget fédéral représente à cet égard une victoire pour l’industrie fossile canadienne, car les investissements publics massifs qu’il prévoit ne visent pas à rompre avec le fossile, mais plutôt à verdir son image grâce à des mirages technologiques tels que la capture et le stockage de carbone. En effet, le quart des 80 milliards d’investissements prévus par le gouvernement fédéral pour la transition énergétique sont dédiés à ces technologies. Ottawa contribue ce faisant à la consolidation de l’industrie fossile dans les décennies à venir.
Des cibles climatiques mystifiantes
Les provinces des Maritimes et du Québec visent toutes la carboneutralité d’ici 2050, et même d’ici 2040 pour l’Île-du-Prince-Édouard. Quelle est la valeur de ces cibles dans un contexte où Terre-Neuve entend tripler sa production de pétrole d’ici 2047, où le Nouveau-Brunswick a levé le moratoire sur l’extraction de gaz naturel par fracturation, où les activités de la mine de charbon Donkin en Nouvelle-Écosse ont récemment repris, où le Plan pour une économie verte du Québec ne permet d’atteindre au mieux que 60% des cibles pour 2030? Toute cible climatique est susceptible d’attenter à des intérêts privés puissants, qu’il s’agit d’identifier et de politiser à défaut de quoi les objectifs climatiques des différents paliers de gouvernement demeureront des leurres politiques.
Le rapport sur les verrous carbone de l’Est du Canada se termine par un inventaire des luttes environnementales menées depuis 2010 contre des projets impliquant des énergies fossiles. Face à un ensemble de fausses solutions promues par l’industrie et souvent reprises par les décideurs – VUS électriques, hydrogène, capture et stockage de carbone, gaz naturel, énergie nucléaire, etc. – les mouvements environnementaux doivent lutter à la fois pour une sortie des énergies fossiles, mais également contre cette approche techno-optimiste qui soutient l’idée d’une transition accomplie sans grandes transformations de nos systèmes de production et de consommation.
1 comment
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Si seulement 2% à 5% des infrastructures d’extraction des carburants fossiles se retrouvent dans l’est du pays, pourquoi en parler?
Le vrai problème est dans la demande de tels produits.