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Budget du Canada 2023: des dents propres et des technologies « propres »

28 mars 2023

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11min


Chrystia Freeland déposait aujourd’hui à Ottawa son troisième budget à titre de ministre des Finances du Canada, dans ce qui était aussi le septième budget de l’ère Justin Trudeau. Voici ce que l’on peut en retenir.

Cadre financier

Le budget fédéral 2023-24 fonde ses projections sur l’imminence d’une « récession douce », ce qui aura pour effet de ralentir la croissance des recettes fiscales et d’augmenter de manière passagère l’endettement d’un point de pourcentage par rapport au PIB. Les projections demeurent, du reste, optimistes puisqu’on s’attend à un retour de la croissance économique en 2024.

Les dépenses de l’exercice s’élèveront à 490,5 G$ et les revenus à 456 G$, pour un déficit de 40 G$, soit pratiquement le même que pour l’exercice qui se termine (43 G$). La ministre des Finances n’a pas cédé à ceux qui souhaiteraient un échéancier plus clair de retour à l’équilibre budgétaire, ce qui, rappelons-le, ne pose aucun problème puisque même après le choc de la pandémie sur les finances publiques, la situation budgétaire du Canada demeure tout à fait enviable sur la scène mondiale.

Des dizaines de milliards pour des technologies « propres »

La ministre Freeland a entendu les inquiétudes des grandes entreprises canadiennes qui, voyant les États-Unis débloquer des centaines de milliards de dollars dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, craignaient pour leur « compétitivité ». Ainsi, le budget 2023-2024 annonce des dizaines de milliards de dollars en subventions qui prennent la  forme de crédits d’impôt remboursables à l’intention de l’industrie des technologies dites propres.

Pourtant, en matière environnementale, cette approche ne répond pas à l’ampleur de la tâche. Pire, elle entraîne carrément le Canada dans la mauvaise direction : sur le plan économique, le budget opte pour une transition menée par le secteur privé, tandis que sur le plan écologique, il mise naïvement sur des miracles technologiques que fait miroiter l’industrie fossile depuis plusieurs décennies. 

Le gouvernement fédéral ne craint pas les paradoxes : il consacre d’une part 33 % d’un plan de transition de 80 G$ à des projets d’infrastructures d’électricité de sources renouvelables, mais il consacre un autre 25 % de cette somme à des entreprises de l’industrie fossile pour des projets de captage et de séquestration carbone. 

Il faut dire que le gouvernement fédéral n’en est pas à sa première contradiction en matière environnementale. Par exemple, depuis 2000, pour chaque nouvelle unité d’énergie renouvelable produite au Canada, 13 unités d’énergie fossile se sont ajoutées, selon des données de l’Agence internationale de l’énergie compilées par l’IRIS. 

Malheureusement, cette tendance ne semble pas prête de se renverser. En effet, la Régie de l’énergie prévoit une augmentation de 20% de la production de gaz naturel et de 20% aussi pour le pétrole d’ici 2040. En d’autres mots, le budget fédéral et ses annonces de projets d’énergie renouvelable sont des coups d’épée dans l’eau au vu de la croissance effrénée de l’industrie fossile, dont le gouvernement se fait complice. 

Les subventions massives du fédéral allouées aux technologies de captage et de séquestration du carbone ont aussi de quoi faire sourciller lorsqu’on se rappelle que ces technologies, à l’heure actuelle, parviennent à détourner de l’atmosphère plus ou moins 0,1% des émissions de GES mondiales. Et encore, plusieurs études soulèvent des incertitudes quant à la pérennité du carbone séquestré dans le sous-sol terrestre, dont les mouvements sismiques ou autres peuvent occasionner des fuites de carbone.

En outre, le budget fédéral propose sa propre version du Plan nord avec une série de subventions à l’industrie minière dédiées aux minéraux critiques, nommément le lithium, le cobalt, le cuivre, le graphite, le nickel et les éléments composant les terres rares. Dans le cadre d’un soutien au développement de « technologies propres », les investissements dans l’extraction et le recyclage de ses métaux seront notamment admissibles à un crédit d’impôt remboursable de 30% sur la valeur des capitaux investis. 

Mentionnons que l’industrie minière, en raison des dangers qu’elle pose pour la santé des populations et des écosystèmes, est tout sauf une filière « propre ». On sait par exemple que dans la ville de Rouyn-Noranda au Québec, un quartier entier sera déplacé en raison des multiples émissions toxiques de la Fonderie Horne voisine.

La transition écologique n’est aux yeux du gouvernement Trudeau qu’une autre occasion de stimuler le secteur privé : « pour exploiter pleinement le potentiel du pays en minéraux critiques, le gouvernement fédéral doit veiller à mettre en place un cadre qui accélérera l’investissement privé », peut-on lire dans le budget. Cette ruée minérale est synonyme d’une augmentation des conflits entourant les usages du territoire, ce qui contraste avec les mesures de réconciliation envers les peuples autochtones, dont le budget entend faire « progresser l’autodétermination ». 

L’allocution d’un haut fonctionnaire du gouvernement au huis clos du budget était sans détour : « la prise de décision demeure sur le marché puisque c’est là qu’on retrouve l’expertise ». Il cherchait à se faire rassurant. On devine pour qui. 

On en conclut que pour l’actuel gouvernement fédéral, l’autodétermination du secteur privé prime sur celle des peuples autochtones, qui sont pourtant les premiers à souffrir des politiques économiques de pillage et de destruction des écosystèmes. 

Des politiques sociales qui brillent par leur absence

En 2016, lors du premier budget de l’ère libérale, l’IRIS notait que le gouvernement, malgré sa grandiloquence, semblait avoir du mal à aller au bout de ses idées et se bornait à lancer des consultations. Sept ans plus tard, il est frappant de constater qu’à l’égard de plusieurs grands chantiers, le gouvernement Trudeau n’accouche finalement de rien.

Il y a d’abord l’assurance médicaments. Rappelons que le gouvernement avait nommé en grande pompe l’ancien ministre de la Santé de l’Ontario Eric Hoskins à la tête d’un comité qui avait élaboré une proposition de régime d’assurance médicaments pancanadienne. Cette année, le mot médicament apparaît une seule fois dans le document budgétaire de 300 pages. Et nulle part n’est-il fait mention de l’assurance médicaments.

Il y a ensuite l’assurance-emploi. Rappelons-nous que face à un régime incapable d’aider les millions de travailleurs et de travailleuses qui perdaient leur emploi dans la foulée de la pandémie de COVID-19, Justin Trudeau avait promis de mettre sur pied un régime d’assurance-emploi « digne du XXIe siècle ». Manifestement, le gouvernement s’est finalement plutôt rendu à l’argumentaire des patrons qui jugeaient que le moment était mal venu d’envisager son amélioration. Pourtant, à l’approche d’une récession, le gouvernement ne disait-il pas vouloir concentrer son aide vers ceux et celles qui en ont le plus besoin ?

La seule mesure que l’on trouve à ce chapitre dans le budget consiste à reconduire pour un an (jusqu’à octobre 2024) une extension de cinq semaines des prestations pour les chômeurs et chômeuses qui résident dans 13 régions particulièrement affectées par le chômage.

De plus, le gouvernement paraît démissionner face à la crise qui sévit au Canada dans le domaine du logement. Alors que Justin Trudeau avait fait grand cas de sa « Stratégie nationale pour le logement » durant son premier mandat, il n’y a aucune nouvelle annonce dans le budget de cette année. Cette inaction est particulièrement grave dans la mesure où l’on apprenait récemment qu’un logement sur cinq au Canada appartiendrait à des spéculateurs et que le manque de logement – qui se chiffre déjà en centaine de milliers – pourrait quadrupler dans les prochaines années. 

Or, la construction de logements sociaux ou le soutien à d’autres initiatives d’habitation hors marché, à titre de mesures d’urgence, aurait pu alléger la pression sur le marché locatif.

Une exception majeure : le Régime canadien de soins dentaires

La seule exception concerne le nouveau Régime canadien d’assurance dentaire qui avait été annoncé l’année dernière et qui prendra son envol cette année. La portée et les coûts du programme seront toutefois plus élevés que prévu. Les dépenses pour ce programme devraient atteindre 5 G$ par année à partir de l’exercice 2027-2028. Le programme sera destiné aux Canadien·ne·s non assuré·e·s dont le revenu familial annuel est inférieur à 90 000$.

Soulignons cependant que la mesure pourrait, encore une fois, s’avérer très rentable pour les cabinets privés de dentistes. En effet, le domaine des cabinets de dentiste fait l’objet d’une vague importante d’investissements financiers qui concentre leur propriété au Canada. Aux États-Unis, où le phénomène a débuté depuis plusieurs années, cette pratique est fortement décriée, certains États américains ayant voté des législations pour l’interdire. Le nouveau Régime canadien d’assurance dentaire est l’occasion pour le gouvernement canadien de faire le point sur cette situation et mettre un frein à la financiarisation de la dentisterie au pays. 

Autres mesures

En outre, le gouvernement a prévu différentes mesures pour protéger le pouvoir d’achat des ménages face à l’inflation. La mesure la plus en vue est la bonification du crédit pour la TPS qui se présente comme un « remboursement pour l’épicerie ». Cette mesure est positive considérant qu’elle cible les bonnes personnes et qu’elle est facile à administrer. Il faut toutefois espérer que ces sommes ne viendront pas simplement grossir davantage les marges de profits des magasins d’alimentation, ce qu’on ne peut exclure puisque le gouvernement n’a toujours pas agi pour contrecarrer les stratégies de ces entreprises, dont les bénéfices ont connu une croissance fort appréciable durant la pandémie.

Mondialisation et politique étrangère

Deux enjeux internationaux se glissent subrepticement dans le budget 2023. Le premier concerne un dada de la ministre des Finances, qui est également l’ancienne ministre des Affaires étrangères. Dans une section consacrée à la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement, le budget reconnaît que la mondialisation des marchés a « participé à la construction d’un système de commerce mondial vulnérable aux perturbations des chaînes d’approvisionnement critiques. » Le budget entend désormais privilégier une « amilocalisation », c’est-à-dire réorienter les échanges économiques vers les « démocraties comme la nôtre » (p. 21). Il s’agit d’un indéniable changement de ton – en particulier venant d’un gouvernement libéral – par rapport à celui des beaux jours de la mondialisation des marchés.

Sur un tout autre plan, on voit apparaître les revenus que pourrait tirer le Canada des récentes ententes internationales sur un « impôt mondial minimum ». On s’attend ainsi à des recettes fiscales supplémentaires de l’ordre de 2,7 G$ en 2026-2027.

Sinon, le budget prévoit un financement de 8 M$ par année durant cinq ans pour l’établissement à Montréal du tout nouveau Centre d’excellence OTAN pour le changement climatique et la sécurité, que le Sommet 2022 de l’OTAN a consacré. L’une des deux missions de ce centre consiste à travailler à « atténuer les répercussions des changements climatiques sur les activités militaires ». La formulation a de quoi surprendre et aurait mérité une inversion du sujet et du prédicat, afin que le Centre soit plutôt dédié à diminuer la contribution des activités militaires aux changements climatiques, dont il est difficile de mesurer l’ampleur, secrets d’État obligent. 

Conclusion

Comment expliquer qu’après 8 ans au pouvoir, le gouvernement libéral de Justin Trudeau n’ait toujours pas été en mesure de déployer un projet politique à la hauteur de ce qui l’avait mené au pouvoir, recevant alors un immense soutien au Canada et même à l’étranger ?

Après tout, lors de son premier mandat, la situation budgétaire du gouvernement Trudeau était enviable. Cela lui a d’ailleurs permis de réaliser des dépenses beaucoup plus élevées que n’importe quel gouvernement dans l’histoire du Canada pour faire face à la pandémie de COVID-19. Et depuis sa dernière élection, les libéraux bénéficient du soutien d’un parti à gauche de l’échiquier politique, le NPD.

La réponse est simple pour peu qu’on cesse d’accorder aux libéraux un statut « progressiste ». En effet, non seulement le PLC n’est pas un parti de « gauche », mais c’est un parti avant tout aligné sur l’intérêt de Bay Street et du monde des affaires avant de l’être sur celui de la majorité de la population. Ainsi, sans surprise, le fil conducteur du gouvernement est : le privé.

En matière d’environnement, le gouvernement libéral fait appel aux capitaux privés pour réaliser la transition écologique, leur laissant développer le marché des batteries électriques plutôt que de mettre en place une stratégie structurante qui permet une véritable transition écologique.

En matière de logement, il a stimulé le marché et laissé les promoteurs privés régler la crise du logement.

En matière de fonction publique, il privilégie les firmes-conseils telles que McKinsey plutôt que ses propres employé·e·s.

En somme, le gouvernement Trudeau n’est jamais allé au bout de ses propositions ambitieuses et enthousiasmantes puisqu’elles auraient requis d’encadrer les marchés et de réduire la sphère d’influence du secteur privé. Le gouvernement libéral est donc un gouvernement… libéral.

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2 comments

  1. Le gouvernement du Canada est sous contrôle d’intérêts privés qui n’ont clairement rien à faire du bien-être des citoyens.
    Le fédéral collecte une taxe directe, investi dans la santé, l’éducation et les ressources naturelles alors que ce sont des champs de compétence exclusivement provinciale.
    Nous vivons dans une parodie de pays depuis 156 ans. Pourquoi le non respect de la constitution n’entraîne pas de conséquences pour les contrevenants?

    Il nous faut sortir des accords de Bâle.
    La dette du Canada est fictive.

  2. La dette, une création des représentants du libre marché incluant bien sûr les gouvernements complaisants, pour venir essayer d’enrayer la crise du système capitaliste en décrépitude. Il est temps de demystifier la notion de dettes et de finances publiques, et surtout ne pas avoir peur de vulgariser les concepts. La dette du Québec est la dette de québécois ( ses) envers d’autres québécois (ses). C’est comme si Marie disait à Paul, j’ai de l’argent que je n’ai pas besoin pour l’instant et que j’aimerais épargner pour ma retraite d’en environ 30 ans. Je peux te prêter ces argents pour t’acheter une maison et tu auras 30 ans pour me rembourser, c’est-à-dire l’obligation de me rembourser le montant avant ou a la date d’échéance. Alors, combien d’épargnes ont l’ensemble des québécois (ses)? ( a elle seule la CDPQ gère $402 milliards).Quelle est la dette de la province? ($219 milliards)?
    Est-ce que nos gouvernements de complaisance pourraient aller jusqu’à ´créer ´ de fausses dettes, d’utiliser des jeux comptables pour berner la population?
    Comme par exemple la part des surplus qu’Hydro-Quebec ´ garde pour ses opérations-infrastructures et qui est ´comptabilisé ´ comme une dette par le seul actionnaire (language du ´capital’ , Georges Orwel a vu juste) qui est l’état québécois, ce qui augmente la dette brute et les dépenses du service de la dette.
    La réduction des impots des corporations de 18% a 12% ( baisse de 33%)!!!
    La création du fond des générations à l’aide d’un ´marketing’ populiste.
    La capitalisation des fonds de pensions des employés (ées) de l’état ( dette pour la partie sous-capitalisée de l’emplyeur) et donc service de la dette qui augmente, alors, que la contribution employeur devrait être par répartition seulement, c’est-à-dire que l’employeur ( l’état québécois) paie sa part lors du paiement des rentes.
    Je crois sincèrement que vous pouvez contribuer à demystifier le jeu de l’argent a l’aide de petites capsules éducatives. Si on veut être en mesure de changer le système, on doit le maîtriser.
    Merci pour votre excellent travail.

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