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Petite histoire de la cession de bail au Québec

6 septembre 2023

Lecture

6min

  • Colin Pratte

Le projet de loi 31 s’est valu des critiques notamment en raison de son intention de transformer la cession de bail en une résiliation, ouvrant ainsi la porte à la signature d’un nouveau bail et à une hausse du loyer. La mouture actuelle de la cession de bail est l’un des moyens dont disposent les locataires pour empêcher les hausses abusives de loyer. Quelle est l’histoire de cette disposition législative, quel était son objectif premier et quels débats son adoption a-t-elle générés à l’époque? 

Le droit à la stabilité… et à la mobilité

Les relations entre propriétaires et locataires sont l’objet d’une régulation législative dont un des principes dominants est le droit au maintien du locataire dans son logement. Au tournant des années 1970, plusieurs dispositions du Code civil du Québec appuyaient ce droit par l’entremise d’articles portant sur la reconduction automatique du bail, le maintien en cas de vente de l’immeuble, un certain contrôle de la hausse des loyers, les motifs pouvant justifier une éviction, etc. 

En 1973, le gouvernement du Québec a légiféré afin de répondre à un autre besoin légitime des locataires, soit celui de pouvoir déménager avant l’échéance prévue du bail. À l’époque, le droit au sous-louage et celui à la cession de bail n’étaient pas consacrés par la loi et demeuraient soumis au bon vouloir des propriétaires, certains insérant dans le bail des clauses d’interdiction. En cas d’un changement de vie imprévu (nouvel emploi, agrandissement de la famille, divorce, etc.), les locataires pouvaient se retrouver à assumer deux loyers, puisque la résiliation sans faute du bailleur n’était admise que dans les cas de figure suivants: 1) en cas de décès du locataire, les héritières et héritiers légaux pouvaient résilier le bail; 2) si le locataire intégrait un logement à loyer modique, un centre d’accueil ou un foyer pour personnes âgées; 3) si le locataire perdait un emploi pour lequel il avait signé un contrat de travail prévoyant la signature d’un bail. 

Dans le but d’équilibrer les intérêts des parties, le législateur a décidé en 1973 de faire porter le fardeau de trouver le ou la prochaine occupante au locataire cessionnaire, que le ou la propriétaire ne pouvait dès lors refuser sans l’appui d’un motif raisonnable. 

Le PL31 ou la fin de « l’équilibre »

Certains diront que l’objectif premier de la cession de bail, soit le droit à mobilité, est conservé au sein du projet de loi 31, puisqu’il prévoit une résiliation effective du bail aussitôt que le ou la propriétaire refuse le prochain occupant trouvé par la ou le locataire. Ainsi, les locataires sont libéré·e·s de leur bail, ce qui était leur intention première. Or, quelle est l’effectivité d’un droit à la mobilité dans un contexte où les locataires peinent à trouver un logement à un prix comparable au précédent?

Dans une publication de juillet dernier, l’IRIS démontrait à partir de données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement la variation des loyers selon différents cas de figure. Le tableau ci-bas montre clairement que le changement de locataire, qui est synonyme de signature d’un nouveau bail à l’exception des cessions de bail, entraîne des hausses de loyer quatre fois plus importantes que lorsqu’il n’y a pas de roulement de locataires.

La position des propriétaires: question d’éthique ou de taux d'inoccupation?

En 1973, le taux d'inoccupation des logements à Montréal était élevé comparativement à aujourd’hui. Durant les années 1971 et 1972, ce taux grimpait respectivement à 8,2% et 5,7%. Ce contexte faisait craindre aux propriétaires de logements d’échouer à trouver des occupant·e·s. On retrouve ainsi dans les mémoires d’association de propriétaires des critiques virulentes de l’article prévoyant la possibilité de résiliation en cas de déménagement dans un logement social. La Chambre de Commerce de la province de Québec écrit

« Nous comprenons mal qu’un locataire qui a consenti librement une entente avec un locateur et qui dispose de plus d’une grande latitude quant à la sous-location de son logement et d’un recours en cas de lésion (articles 1664a) puisse mettre unilatéralement un terme à son bail sur avis de trois mois pour la simple raison qu’il va jouir d’un logement subventionné par le gouvernement ou ses organismes. Cette mesure nous apparaît tout simplement injuste à l’endroit des locateurs »

La Ligue des propriétaires de Montréal propose une lecture similaire, revendiquant même que les locataires trouvent eux-mêmes les prochains occupant·e·s:

« Nous comprenons que les logements subventionnés puissent en certains cas, avoir plus d’attrait que ceux de l’entreprise privée. Toutefois l’entreprise privée devra entrer en compétition avec ces logements qu’elle doit d’autre part dans une grande proportion subventionner avec ses taxes. Pour éviter que les immeubles à proximité des habitations subventionnées ne se dépeuplent au bénéfice de ces habitations, nous suggérons que le Législateur impose au locataire voulant ainsi résilier son bail l’obligation de trouver, avant son départ, un sous-locataire acceptable. »

En commission parlementaire où sont discutés les mémoires déposés, la question des cessions de bail occupe peu de place. Le représentant de l’Association provinciale des constructeurs d’habitation l’évoquera devant les députés présents, reconnaissant que son opposition est difficilement justifiable [nous soulignons] :

« On demanderait que l’article prévoie quand même que, pour qu’il y ait sous-location ou cession de bail, il y ait autorisation écrite du locateur. Évidemment, la question de pas refuser sans motif raisonnable, même si on s’y oppose, je pense qu’on serait plutôt rétrograde de ce côté ».

Est-ce à dire que l’éthique des propriétaires des années 1970 était plus développée que celle de la ministre de l’Habitation France-Hélène Duranceau et des propriétaires contemporains qui appuient la levée de la condition des motifs raisonnables pour la cession de bail? Cette éthique à géométrie variable est en fait moins guidée par un principe de moralité que par le taux d'inoccupation en vigueur aux époques respectives: lorsqu’il est élevé, les propriétaires militeront pour que ce soit les locataires qui trouvent les prochain·e·s occupant·e·s, voir qu’il leur soit interdit de résilier leur bail à l’occasion de l’obtention d’un logement social; lorsque le taux d'inoccupation se rapproche de zéro, les propriétaires voudront plutôt que les futur·e·s occupant·e·s soient trouvé·e·s par eux et elles-mêmes, et dans l’entre-fait signer un nouveau bail au loyer plus élevé. Autrement dit, on imagine très bien les propriétaires d’aujourd’hui, et alors que les taux d'inoccupation sont très bas, qualifier à leur tour de « rétrograde » l’opposition à la résiliation de bail en cas de déménagement dans un logement social. 

En somme, le recours contemporain à la cession de bail comme outil de contrôle des hausses de loyer s’inscrit dans l’esprit de la réforme de 1973 et son objectif de mobilité des locataires. En participant à éviter des hausses de loyer, la mouture actuelle de la cession de bail favorise la mobilité, et la réforme envisagée par le PL31 nous ramènerait à une époque pré-1973, ce qui en fait un projet de loi foncièrement « rétrograde ». 

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3 comments

  1. Une autre preuve que les élus n’ont de comptes à rendre qu’aux riches qui ont pris le contrôle du gouvernement depuis la création de la démocratie représentative, un oxymore honteux.
    Le peuple n’apparaît même plus dans les lois.

  2. Si les montants inscrits à la 2ieme ligne du tableau sont exacts, le % d’augmentation est de 8,02 %.
    En tant que locataire, ça me semble erronée.
    Personnellement, après quelques échanges écrits « significatifs » avec le représentant du propriétaire qui possède environ 4 000 portes en Outaouais, ça s’est finalisé à 2,7% (au départ, il demandait 6,1%).

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