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Crise du logement : un marché locatif en manque d’encadrement

29 juin 2023

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12min


La situation du logement s’est grandement dégradée dans les dernières années au Québec. Si l’existence d’une crise fait maintenant consensus, tous ne s’entendent pas sur les solutions pour y remédier. Dans cette fiche, nous proposons un état de la situation du marché locatif au Québec et dans sept de ses villes les plus populeuses, ainsi qu’un survol des phénomènes qui ont une influence sur le prix des loyers et la disponibilité des logements. Nous formulons aussi certaines recommandations afin de mieux protéger le droit au logement et d’améliorer les conditions de vie des locataires.

Marché locatif : état de la situation

La situation du logement s’est légèrement améliorée durant la pandémie, le taux d’inoccupation se rapprochant alors du seuil de 3 %, considéré comme le point d’équilibre. Or, dans la dernière année, comme le montre le tableau 1, le taux d’inoccupation a recommencé à diminuer. Le Québec en est ainsi à sa cinquième année d’affilée sous le point d’équilibre.

La situation est d’autant plus préoccupante que certaines municipalités du Québec ont désormais un taux d’inoccupation sous la barre du 1 %. C’est le cas notamment de Saguenay (0,9 %), Gatineau (0,8 %), Sherbrooke (0,9 %), Trois-Rivières (0,9 %) et Drummondville (0,4 %), comme on peut le voir au graphique 1. La proportion de municipalités de 10 000 habitants et plus dont le taux d’inoccupation se trouve désormais sous la barre du 1 % a quant à lui grimpé de 50 % à 71 % depuis un an.

L’augmentation du coût des loyers s’est accélérée durant la période observée, comme on le voit dans le graphique 2. Bien que le facteur couramment évoqué pour expliquer cette situation soit le rétrécissement de l’offre de logements, deux phénomènes nous obligent à nuancer cette affirmation. D’une part, le pourcentage de logements vacants a augmenté de manière constante dans les sept villes étudiées entre 2008 et 2016. Cette hausse des taux d’inoccupation n’a pas empêché les loyers de croître durant la même période, quoique la progression ait été modeste (hausse de 6,8 % en moyenne pour l’ensemble du Québec).

D’autre part, de nouvelles données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) montrent que le changement de locataire a une influence sur l’évolution des prix (tableau 2). Ainsi, alors que le loyer moyen a augmenté de 3,62 % entre octobre 2021 et octobre 2022 au Québec pour les logements dont les locataires n’ont pas changé, il a connu une augmentation de 13,22 % durant la même période pour les logements qui ont changé de locataire. Cette différence met en évidence le fait que des propriétaires de logements locatifs profitent de la fin d’un bail pour hausser le loyer à un niveau dépassant les hausses recommandées par le Tribunal administratif du logement. Les données colligées annuellement par le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec sur le prix des logements disponibles, qui sont systématiquement plus élevées que celles de la SCHL, confortent aussi cette hypothèse.

Besoins impérieux en matière de logement

La situation actuelle est préoccupante entre autres parce qu’elle mine la qualité de vie des locataires. Ils et elles sont davantage susceptibles de payer trop cher pour se loger ou d’être mal logé·e·s. En effet, les ménages locataires sont proportionnellement plus nombreux que les propriétaires à consacrer 30 % ou plus de leur revenu aux frais de logement (loyer, électricité, eau chaude, frais hypothécaires, impôt foncier, etc.). En 2020, c’était le cas de 25 % des locataires au Québec, contre 10 % des personnes propriétaires de leur résidence principale (graphique 3). Près d’un locataire sur 10 (8,6 %) consacrait même 50 % ou plus de son revenu à ces frais, contre environ un propriétaire sur 30 (3,2 %).

Le portrait est toutefois possiblement beaucoup plus sombre que ce que révèlent les plus récentes données. En effet, le recensement de 2021 a été réalisé en 2020, année où les revenus après impôt ont augmenté grâce aux aides gouvernementales liées à la pandémie de COVID-191, tout comme l’épargne des ménages, qui a atteint un niveau record au 2e trimestre de 20202. Cela pourrait expliquer pourquoi le logement pesait moins dans le budget des ménages en 2020 que lors de la précédente édition du recensement de la population. En 2015, c’est plutôt 34 % des ménages locataires qui consacraient 30 % ou plus de leur revenu aux frais de logement. Il faudra attendre 2026 pour voir comment la situation a évolué après la pandémie et sous l’effet de la poussée inflationniste qui a frappé l’ensemble de l’économie.

Les locataires sont en outre plus susceptibles de résider dans un logement dont la taille ne convient pas à leurs besoins – une proportion qui n’a toutefois pratiquement pas changé depuis 2015. En 2020, 7 % des locataires avaient indiqué résider dans un logement dont la taille n’était pas convenable (graphique 4). Seuls 2 % des propriétaires au Québec affirmaient être dans cette situation.

Ces deux indicateurs nous portent à croire que la tendance à la hausse des loyers, en mettant sous pression financièrement les ménages locataires, risque de creuser les inégalités en matière de logement au sein de la population québécoise, plus particulièrement entre les ménages propriétaires et locataires.

Constats sur la régulation du marché locatif

Pour de nombreux acteurs, dont l’actuelle ministre de l’Habitation3, le recul de l’abordabilité du logement au Québec s’explique par le manque de logements4. Plusieurs phénomènes que nous allons brièvement examiner nous mènent cependant à croire que, s’il est exact de dire que la disponibilité de certaines catégories de logement fait défaut, c’est surtout le manque d’encadrement du marché locatif qui crée les conditions d’une augmentation constante des loyers et de l’érosion du parc locatif abordable, tout comme la présence importante d’entreprises à but lucratif dans le marché du logement.

D’abord, bien qu’elle soit minimalement balisée, la reprise de logement est utilisée par les propriétaires comme moyen pour hausser les loyers au-dessus des taux prescrits, un phénomène qui semble avoir pris de l’ampleur dans les dernières années à la faveur de la hausse des prix de l’immobilier5. Cette tactique peut aussi être employée pour convertir un logement en copropriété, comme cela a été observé depuis le début des années 20006. Une étude réalisée en 2020 au sujet des reprises et des évictions survenues entre 2015 et 2019 dans le quartier montréalais de La Petite-Patrie avait conclu que 74 % d’entre elles étaient frauduleuses ou malveillantes7.

Ensuite, la conversion de logements en hébergement à court terme contribue elle aussi à restreindre l’offre, et ce, dans plusieurs municipalités québécoises. Un récent rapport a montré qu’il y avait en février 2023, soit en dehors de la saison touristique, 29 482 offres de chambres ou de logements entiers à louer sur le site Airbnb dans tout le Québec8. De ces annonces, 90 % concernaient des logements entiers, et 79 % n’affichaient pas la certification nécessaire pour l’hébergement à court terme. Or, la comparaison entre le taux d’inoccupation et la proportion de logements offerts en location à court terme dans certains quartiers ou certaines villes confirme que la plateforme contribue à la crise du logement en retirant des logements du marché9.

Enfin, la détention d’une part importante du parc locatif par des fonds d’investissement ou des entreprises est aussi considérée comme un facteur qui tire le prix des loyers vers le haut, étant donné le poids économique de ces acteurs et les objectifs financiers qu’ils poursuivent10. Des données de Statistique Canada montrent que, dans certaines provinces canadiennes, les investisseurs sont propriétaires d’entre 20,2 % (Ontario) et 30,5 % (Nouvelle-Écosse) du parc de logements locatifs11. À Montréal, où 11,7 % des unités locatives sont détenus par des propriétaires financiarisés (ex.: fonds d’investissement ou société de gestion d’actifs), une équipe de recherche a montré que cette concentration de la propriété des logements locatifs avait une incidence à la hausse sur les loyers demandés dans la métropole12.

Recommandations

L’idée selon laquelle la crise est causée par un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements en amène plusieurs à conclure qu’il faudrait construire davantage de logements. C’est par exemple la position que défendent les gouvernements québécois et canadien13. Pourtant, malgré une hausse de la construction domiciliaire dans la dernière décennie, l’accès au logement a continué de se dégrader14. Le nombre de mise en chantier de logements locatifs a quant-à-lui presque doublé (+102,3 %) entre 2016 et 2020. Cette solution risque de s’avérer contre-productive si le parc de logements, actuel et futur, n’est pas protégé par un cadre législatif adéquat et si son expansion continue d’être guidée par une vision mercantile du développement immobilier et de l’accès au logement15. Pour être efficaces, les mesures à mettre en place doivent avoir pour objectif le contrôle des loyers, la protection du parc locatif existant et la croissance du parc de logements locatifs hors marché privé.

Afin de freiner les hausses abusives de loyer, la création d’un registre des loyers apparaît comme une mesure facile à implanter qui améliorerait l’accès à l’information sur le marché locatif. L’organisme Vivre en ville vient d’ailleurs de créer un tel outil afin d’inciter le gouvernement québécois et les municipalités à l’adopter16. Du côté de Montréal, l’administration a annoncé qu’elle exigerait des propriétaires d’immeubles de plus de sept logements qu’ils inscrivent le montant de leurs loyers dans un registre des baux17. À ce propos, la création d’un registre des propriétaires de logements locatifs fournirait des informations utiles pour appliquer des mesures fiscales visant à limiter la détention spéculative d’immeubles.

Plusieurs mesures permettraient de freiner l’érosion du parc de logements locatifs. Parmi celles-ci, l’adoption d’un moratoire sur les reprises de logements pour cause d’agrandissement, de division, de démolition ou de changement de vocation serait souhaitable, particulièrement en période de faible taux d’inoccupation.

L’interdiction complète des plateformes de type Airbnb doit aussi être envisagée, car les mesures actuelles d’encadrement de l’hébergement touristique sont facilement contournables, faute notamment de surveillance18. C’est la décision qu’a prise la Ville de Barcelone, en Espagne, où les locations de moins de 30 jours chez des particuliers sont interdites19.

Enfin, s’il est souhaitable d’augmenter le stock de logements disponibles dans plusieurs localités du Québec, les gouvernements et les administrations municipales doivent soutenir en priorité la construction de logements hors du marché privé afin d’augmenter le nombre d’habitations à bas prix, qui a eu tendance à diminuer au pays dans la dernière décennie20, et de prévenir de futures hausses. Cela signifie de miser sur le logement social et communautaire21, qui regroupe notamment les habitations à loyer modique, les coopératives d’habitation et les organismes sans but lucratif d’habitation. L’exemple de Vienne, en Autriche, montre que la création massive de logement social est un outil puissant pour préserver l’accès au logement à travers le temps22. Tant que celui-ci dépendra d’un marché organisé de manière à garantir des profits aux propriétaires d’habitations, la capacité des locataires à se loger convenablement sera toujours menacée, car soumise à l’impératif de rentabilité.


2 STATISTIQUE CANADA, Tableau 36-10-0112-01, Comptes courants et compte du capital - Ménages, Canada, trimestriel, 31 mai 2023.

3 André DUBUC, « La ministre Duranceau promet des solutions bientôt », La Presse, 28 avril 2023.

4 ASSOCIATION DES PROFESSIONNELS DE LA CONSTRUCTION ET DE L’HABITAITON DU QUÉBEC, « Quelle est l’ampleur du déficit de logements au Québec ? », Bulletin de l’habitation, avril 2022.

5 Olivier FAUCHER, « Évictions de locataires à la pelle », Le Journal de Montréal, 29 mars 2021.

6 Louis GAUDREAU et Manuel JOHNSON, Spéculation immobilière et accès au logement : Trois propositions pour Montréal, IRIS, 22 janvier 2019.

8 REGROUPEMENT DES COMITÉS LOGEMENT ET ASSOCIATIONS DE LOCATAIRES DU QUÉBEC, La démesure Airbnb : un saccage du parc locatif québécois, mars 2023.

9 Ibid.

12 Cloé ST-HILAIRE, Mikael BRUNILA et David WACHSMUTH, « High Rises and Housing Stress », Journal of the American Planning Association, 2 février 2023, p. 1-15.

13 CABINET DE LA MINISTRE RESPONSABLE DE L’HABITATION, « Budget 2023-2024 du gouvernement du Québec – Plus de 1 G$ alloués à l’habitation pour construire plus de logements et mieux loger les ménages québécois », Communiqué de presse, 24 mars 2023 ; PREMIER MINISTRE DU CANADA, Bâtir plus de logements, plus rapidement, Communiqué de presse, 17 mars 2023.

14 ST-HILAIRE, BRUNILA et WACHSMUTH, op. cit.; Marie-Sophie BANVILLE, Trois mythes sur la crise immobilière, IRIS, 29 juin 2022.

15 Francis HÉBERT-BERNIER, « Crise” du logement ou système efficace d’exploitation des locataires ? », Pivot, 1er mai 2023.

16 VIVRE EN VILLE, « Lancement du registre des loyers », Communiqué de presse, 11 mai 2023.

17 Philippe TEISCEIRA-LESSARD, « Montréal exigera une certification et un registre des baux », La Presse, 15 février 2022.

19 COURRIER INTERNATIONAL, « Victime du “surtourisme”, Barcelone s’attaque à Airbnb », 1er octobre 2021.

22 Kevin GUILLAS-CAVAN, « Autriche. Le logement social à Vienne : un modèle original à la croisée des chemins », Chronique Internationale de l’IRES, 2021, vol. 1, no 173, p. 17-32.

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