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Faut-il interdire les publicités de voitures à essence? (1)

27 janvier 2021

  • Colin Pratte

Soulignons l’incongruité : d’ici 2035, les voitures à essence neuves seront interdites de vente au Québec, car jugées nuisibles à l’environnement. Or, d’ici à ce que le couperet tombe, les publicités commerciales pour ces voitures se poursuivent sans ménagement, comme si le danger écologique des voitures à essence n’allait être réel qu’en 2035.

Notre quotidien continue ainsi d’être envahi par des publicités de voitures, les véhicules utilitaires sport (VUS) étant particulièrement promus par les fabricants. Cet accent mis sur les VUS n’est d’ailleurs peut-être pas étranger à l’évolution des préférences des Québécoises et des Québécois en matière de transport routier. Le tableau suivant illustre la quantité de voitures sur les routes selon leur catégorie.

Les camions légers représentaient un véhicule sur quatre en l’an 2000. Deux décennies plus tard, leur proportion a presque doublé. En somme, à l’ère des changements climatiques, la promotion publicitaire pour les voitures à essence, qui ne cessent comme on le voit d’augmenter en nombre et en grosseur, relève d’une indulgence politique malvenue.

Par le passé, les gouvernements n’ont pourtant pas hésité à encadrer, voire interdire, la promotion de marchandises représentant un problème de santé publique. À titre d’exemple, la Cour suprême du Canada avalisait en 1989 la législation provinciale interdisant les annonces publicitaires destinées aux enfants de moins de 13 ans. La Cour avait conclu que bien que l’interdiction entravait la liberté d’expression commerciale des entreprises protégée par la constitution canadienne, cette entorse était justifiée puisqu’elle poursuivait de façon raisonnable un objectif urgent et réel, en ce cas la protection des enfants contre des stratégies de manipulation.

À l’instar des publicités pour enfants qui en menacent le sain développement, l’arsenal publicitaire des constructeurs automobiles participe à une menace tout aussi préoccupante, soit les changements climatiques. Ces deux exemples de pratiques publicitaires pathologiques touchent à un problème constitutif de notre économie, à savoir que l’impératif de croissance des profits qui animent la plupart des entreprises privées les rend parfois aveugles aux conséquences sociales et écologiques de ce diktat.

Une crise des médias instructive?

Il est navrant de constater que de ce programme économique médiocre — soit la multiplication de transactions lucratives, peu importe l’utilité ou l’inutilité sociale de ce qui est vendu — dépend une foule de sphères de notre société. En matière de restriction publicitaire, le premier secteur affecté auquel on peut songer est celui des médias, dont le modèle de revenus dépend en partie des recettes publicitaires et incidemment, de la surproduction/surconsommation qu’elles supposent. En 2018, la filière de la vente d’automobiles comptait pour 15% de l’ensemble des dépenses publicitaires réalisées au Québec. Interdire les publicités de voitures à essence entraînerait donc nécessairement un manque à gagner pour les médias. Cette crise aurait le mérite de provoquer une réflexion sur le modèle de financement des médias, dont une bonne partie dépend de recettes publicitaires dérivées d'un régime de production et de consommation insoutenable.

La responsabilisation individuelle n’est pas suffisante

Le 28 janvier prochain, la Chaire de gestion du secteur de l’énergie des HEC publiera son rapport annuel sur l’État de l’énergie au Québec. Si dans les éditions passées, les achats de voitures et plus particulièrement de VUS étaient identifiés comme source importante des émissions de GES au Québec, on peut s’attendre à un portrait similaire cette année. Face à ce constat, il importe d’approfondir le débat pour s’attarder à ce qui contribue aux achats individuels de voitures à essence. Les stratégies de vente auxquelles ont recours les compagnies automobiles comptent parmi les facteurs contributifs, d’où la pertinence de débattre de leur proscription.

L’année dernière, en réaction à la publication du rapport des HEC sur l’énergie et la question des VUS, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles Jonatan Julien le reconnaissait lui-même : « Des changements de comportements, comment on peut y arriver? C’est les actions gouvernementales. Il va falloir qu’il y ait des actions supérieures ». À cet égard, la cohérence aurait voulu que l’interdiction à court terme des publicités de voiture à essence accompagne la prohibition à long terme de leur vente.

Dans un prochain billet, la stratégie publicitaire d’un constructeur en particulier sera analysée afin d’illustrer l’efficacité des campagnes publicitaires automobiles.

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