La solidarité à 20$
31 octobre 2013
Agnès Maltais nous apprenait aujourd’hui que les prestations d’aide sociale seront augmentées de 20$ par mois pour les personnes seules et bonifié par la suite jusqu’à un supplément de 50$ en 2017. Associée à cette mesure, la ministre annonçait également une nouvelle conception de l’aide et du soutien aux personnes qui se retrouvent sur l’assistance économique de dernier recours. Fini la lutte à la pauvreté. Maintenant, la solidarité, elle est durable.
Dans les faits, qu’aura comme effet la hausse annoncée? Est-ce qu’elle aidera vraiment la situation des personnes qui touchent ces prestations? D’abord, rappelons que les montants reçus de l’aide sociale sont déjà très bas, bien en dessous du seuil de faible revenu pour une personne seule. Entre 2006 et 2009, on a cru pertinent de ne pas indexer complètement les prestations au coût de la vie. Résultat? Les plus pauvres sont encore plus pauvres et un rattrapage est nécessaire. Ainsi, le 20$ de plus qui sera versé aux prestataires, s’il augmente leurs revenus, ne sera même pas suffisant pour les ramener à ce que ces personnes obtenaient en 2006. Et les sommes demeurent bien en-deçà du seuil de faible revenu. En fait, les deux premières années de ce “réinvestissement” ne couvrent même pas les compressions de 19 M$ réalisées par le gouvernement péquiste.
Au terme du processus de bonification prévue en 2017, s’ils décident en plus d’indexer les prestations au coût de la vie à chaque année (ce qui n’est ni garanti, ni annoncé), le montant total versé par année, soit 7 848$, sera de nouveau à la hauteur de ce qui était donné en 2000 (7 842$). Sinon, si l’indexation n’est pas appliquée et que les seules hausses sont celles annoncées, ces bonifications prévues ramèneront les prestations à un montant parmi les plus bas des 20 dernières années (en supposant un niveau annuel d’inflation à 2%). Cette solidarité durable serait alors synonyme de pauvreté durable pour les prestataires.
Certaines personnes peuvent penser que c’est une bonne chose, que de faibles prestations auront un effet mobilisant pour le retour à la vie active des prestataires. Or, ce n’est pas ce qui se voit dans les chiffres. Aucune corrélation ne peut être trouvée entre les montants offerts et le nombre de ménages qui demandent de l’aide de dernier recours. Notons par exemple que les familles monoparentales sont celles qui reçoivent les prestations les plus élevées ainsi que celles qui restent le moins longtemps sur l’aide sociale. L’état de l’économie, la facilité à trouver un emploi décent et l’accès à un bon réseau de soutien sont des facteurs plus déterminants, tant sur la possibilité d’avoir recours à l’aide sociale que la durée des prestations.
D’ailleurs, si l’objectif est de réduire le nombre de prestataires, il serait peut-être intéressant de s’attaquer à la « trappe à la pauvreté ». À chaque mois, ils ont droit de gagner 200$, sans pénalités. Les sommes supérieures à ce montant sont complètement déduites de la prestation, jusqu’à ce que celle-ci soit nulle. Ainsi, si on vous offre un emploi au salaire minimum de 20h/semaine, votre revenu final sera exactement le même que si vous travailliez 5h/semaine. Si travailler n’est pas qu’une question d’argent (réseau social, reconnaissance, dignité, sens de l’accomplissement, dépassement de soi, etc.), lorsque les revenus n’atteignent même pas le seuil de faible revenu, ça demeure un enjeu important.
Le deuxième pan de la réforme suggérée par la ministre Maltais est de faire de la solidarité quelque chose de « durable ». Plutôt que de lutter contre la pauvreté, elle souhaite favoriser l’entraide. S’il s’agit potentiellement d’une bonne nouvelle pour les budgets des groupes communautaires autonomes, les nouvelles subventions annoncées ne seront, elles non plus, pas suffisantes pour résorber un sous-financement chronique dénoncé depuis des années par ces mêmes groupes. On peut également craindre une déresponsabilisation de la part de l’État quant à la solidarité sociale.
C’est d’ailleurs déjà une réalité selon plusieurs groupes que nous avions interrogés pour notre étude sur le financement des organismes communautaires. Depuis l’adoption de la Loi sur la lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale, le gouvernement ne semblait jamais près de gagner ce fameux combat. Cette nouvelle solidarité durable est-elle l’annonce qu’il jette définitivement l’éponge?