Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

La Banque du Canada a contribué à l’inflation

31 janvier 2023

Lecture

5min

  • Julia Posca

La semaine dernière, la Banque du Canada annonçait qu’elle procédait à une hausse d’un quart de point du taux directeur pour le faire passer de 4,25% à 4,5%. Cette huitième hausse depuis mars 2022 est vue comme un moyen de freiner l’inflation au pays. En effet, l’objectif de la banque centrale est de décourager la consommation et l’investissement afin de ralentir la demande et ainsi agir à la baisse sur les prix dans l’économie canadienne.

Comme d’autres, l’IRIS a émis à de nombreuses reprises (ici, ici, ici, ici et ici) des doutes quant à cette stratégie, arguant dans un premier temps que l’inflation des derniers mois a davantage été causée par des problèmes liés à l’offre de biens et de services (catastrophes naturelles, oligopole pétrolier, problèmes avec les chaînes d’approvisionnement, etc.), et dans un deuxième temps, que les modifications apportées au taux directeur au Canada n’auraient pas d’effet sur ces facteurs. Un an après le début de cette intervention du banquier central, on remarque que cette politique de hausse des taux d’intérêt a carrément eu pour effet de contribuer à la hausse de certains prix – et donc, à une baisse moins rapide de l’inflation générale.

Le graphique ci-bas met en lumière ce phénomène et nous permet de faire quelques constats quant à la situation actuelle de l’économie. On y retrouve la variation générale pour le Canada de l’indice des prix à la consommation (IPC d’ensemble), ainsi que celle de trois groupes de produits (aliments, transports et logement) et un sous-groupe (coût de l’intérêt hypothécaire, qui est compris dans la grande catégorie « logement »). Pour chaque groupe, on voit 4 bandes verticales qui représentent chacune un semestre (décembre 2020 à juin 2021, juin 2021 à décembre 2021, décembre 2021 à juin 2022, juin 2022 à décembre 2022).

Premier constat : de manière générale, les prix ont augmenté beaucoup moins fortement lors du plus récent semestre (0,1%) que lors des précédents (6,2%, 1,8% et 2,9%) – tellement peu qu’on ne voit même pas la barre bleu pâle pour l’IPC d’ensemble! –, ce qui peut être interprété comme une baisse de l’inflation. C’est ce qui explique d’ailleurs que la Banque du Canada ait affirmé lors de son annonce de la semaine dernière qu’elle attendrait désormais de voir la trajectoire que suivront les prix dans les mois à venir avant de procéder à une nouvelle hausse de son taux directeur.

Deuxième constat : ce ralentissement généralisé de l’IPC est en partie dû à la baisse des prix du transport (-6,8%), un groupe de produits fortement influencé par les prix de l’essence, qui eux se répercutent sur bien d’autres produits, car il augmente les coûts de production d’un grand nombre de produits. La banque du Canada n’ayant que peu d’emprise sur ce facteur, elle ne peut cependant pas s’attribuer la responsabilité de cette baisse.

Troisième constat : bien que le rythme de progression des coûts liés au logement ait ralenti lors du dernier semestre (hausse de 2,6% contrairement à 4,3% le semestre précédent), le coût de l’intérêt hypothécaire a pour sa part connu une forte hausse (15,7%) durant cette période. Notons que ce coût était plutôt en baisse lors des deux semestres de 2021, avant la première hausse du taux directeur en mars 2022, et qu’il n’a connu qu’une hausse modeste de 2,0 % au cours du premier semestre de 2022, alors que le taux directeur est passé de 0,25 % en janvier et février à 1,5 % en juin.

Or, c’est précisément la hausse du taux directeur qui explique l’augmentation du coût de l’intérêt hypothécaire. En effet, un taux directeur plus élevé entraîne automatiquement une augmentation des taux d’intérêt que les banques privées appliquent sur les prêts qu’elles octroient aux propriétaires occupants, et donne donc lieu, éventuellement, à une hausse de l’intérêt payé par différentes catégories d’emprunteurs. Par exemple, les détenteurs d’une hypothèque à taux variable, celles et ceux qui doivent renégocier leur emprunt ou encore les personnes qui acquièrent une propriété doivent consacrer des sommes plus importantes au paiement des intérêts sur leur prêt hypothécaire qu’au début de la pandémie. À ce propos, on notera que, paradoxalement, la croissance de l’endettement des ménages canadiens inquiète aussi la Banque du Canada, une contradiction qui met en lumière les limites de son mandat unique de contrôle de l’inflation.

Notons que la hausse du taux directeur augmente aussi le coût des emprunts des entreprises, qui ont tendance à refiler ce coût supplémentaire aux consommateurs. Il est toutefois impossible de détecter l’impact spécifique de ces hausses supplémentaires de l’inflation, car on ne peut pas les lier à des produits en particulier. Elles n’en sont pas moins bien réelles et s’ajoutent à celle du coût de l’intérêt hypothécaire.

Ces tendances nous rappellent une fois de plus que la stratégie de la banque centrale a un vilain défaut, soit celui de proposer une solution unique à un problème, l’inflation, qui est non seulement multifactoriel, mais dont les conséquences sont elles aussi multiples et différentes selon la place qu’on occupe dans l’économie. Espérons que la Banque du Canada en tiendra compte pour calibrer son approche au cours de l’année 2023.

Icône

Vous aimez les analyses de l’IRIS?

Devenez membre

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

3 comments

  1. Augmenter le taux directeur fait monter les prix et les revenus des financiers. Cela contribue directement à augmenter l’inflation, le chômage et l’écart entre les riches et les autres..
    Quand on veut éliminer l’inflation, on fait deux choses:
    1- On contrôle le prix de vente à la baisse. Autrement dit, on cesse de croire en cette chimère qu’est le libre marché pour se concentrer sur l’accès universel aux biens premiers, tel que défini par Michel Chartrand et Michel Bernard.
    2- On détruit à tout jamais le pouvoir des banques privées de créer et d’utiliser l’argent-dette et on laisse l’état contrôler la quantité d,argent en circulation.

  2. La hausse des taux d’intérêts, n’est-ce pas un peu comme le pétrole? Leurs effets ne se répercutent-ils pas sur toute l’économie? En augmentant les frais de financement, la Banque du Canada prend à Pierre, Jean, Jacques et Cies l’argent disponible pour investir et consommer. Au premier semestre de 2022, soit bien trop tard pour agir la Banque du Canada qui croyait l’inflation temporaire en raison des goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement a commencé à rehausser les taux mais sans grand impact puisqu’ils commençaient. Puis l’accélération des hausses a commencé à rattraper plus de monde au fur et à mesure de la disparition des liquidités et de l’augmentation de l’endettement. S’il y a un reproche à faire à la Banque du Canada, ne serait-ce pas de n’avoir pas reconnu assez tôt que l’inflation n’était pas temporaire? Les enquêteurs ont l’habitude de chercher à qui le crime profite? Je regarderais du côté des banquiers et de tout ceux qui gravitent en finance et qui ont tout misé sur le bénéfice d’affirmer haut et fort que l’inflation serait temporaire.

  3. Historiquement, quel groupe de la société tire le plus d’avantages à une période de forte inflation?

Les commentaires sont désactivés