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Lorsqu’une firme comptable s’improvise experte en transport en commun

22 novembre 2024

  • Colin Pratte

Selon Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT), le salut des sociétés de transport en commun passerait en partie par la sous-traitance de leurs opérations à des fournisseurs privés. Se basant uniquement sur des données financières, la firme comptable est arrivée à cette conclusion dans un rapport publié cet automne. Cette avenue est-elle la bonne? Pour y répondre, il convient d’élargir la méthode strictement comptable retenue par RCGT et invoquer des données de performance de services. 

Au Québec, certains services de transport en commun ont déjà recours à la sous-traitance. C’est le cas du transport scolaire et du réseau EXO. L’analyse de leur performance offre un portrait bien différent de celui présenté par RCGT et permet de déboulonner certains mythes concernant les prétendus bienfaits de la sous-traitance du transport en commun.

Mythe #1: la sous-traitance du transport en commun n’a pas de conséquences sur la qualité des services offerts

Dans les deux dernières années, environ 7000 élèves par jour ont été privés de transport scolaire en raison des bris de service récurrents. Pour le réseau EXO, c’est environ 80 des 5500 circuits quotidiens qui sont annulés chaque jour. Le transport scolaire et EXO partagent un point en commun: les services de transport sont accomplis par des transporteurs privés qui peinent à attirer et retenir leur main-d’œuvre, principalement en raison des conditions de travail médiocres offertes. Ce faisant, la majorité des bris de service que connaissent ces deux réseaux ont pour cause un manque de personnel. Autrement dit, la faible rémunération du travail a un coût: les salarié·e·s se tournent vers d’autres employeurs, au détriment des usagers et usagères qui voient leur service péricliter. 

Les avantages de la sous-traitance, pour leur part, sont obtenus par les entreprises privées au titre des profits engrangés: l’entreprise de transport scolaire Sogesco, qui contrôle 12% du marché québécois, a affiché un taux de bénéfice moyen avant impôt de 15,5% dans les 10 dernières années, ce qui représente le double de la moyenne canadienne pour l’ensemble des entreprises non financières.

L’échec du modèle de sous-traitance du transport scolaire a d’ailleurs incité le gouvernement de la CAQ à introduire des projets pilotes de rapatriement partiel du service dans le giron public dans quelque 10 centres de services scolaires (CSS). Dans un CSS de Lanaudière, l’IRIS a calculé que ce projet pilote a permis de diminuer les bris de service de 95% entre les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024. 

Sur le plan de la performance des services, EXO et le transport scolaire sont ni plus ni moins des contre-modèles en la matière. Or, en excluant les données relatives à la livraison du service, RCGT parvient à ériger leur modèle en solution.

Mythe #2: la sous-traitance du transport en commun favorise une saine concurrence entre des entreprises privées locales

La sous-traitance du transport en commun mise sur le système d’appels d’offres, où le plus bas soumissionnaire remporte le contrat. Le transport en commun, pour toutes sortes de raisons logistiques, se prête très mal à ce système. Dans le cas du transport scolaire, près de 100% des contrats sont au contraire accordés de gré à gré à quelque 10 transporteurs qui contrôlent environ 40% du marché. Le Vérificateur général du Québec avait d’ailleurs publié un rapport en 2011 qui identifiait le risque important que pose le marché concentré du transport scolaire pour les finances publiques du Québec.

Dans le cas d’EXO, les entreprises qui accomplissent le service sont bien souvent des multinationales possédées par des fonds d’investissement privés étrangers. Par exemple, le transporteur Transco opère les services d’EXO sur la Rive-Sud de Montréal. Transco est une filiale de la multinationale EQT, composée de 346 filiales à travers le monde, dont 13 sont établies au Luxembourg, 2 aux Îles Caïmans et d’autres aux Îles Vierges britanniques, à Guernesey, à Malte et à Hong Kong. 

Lorsque la firme comptable RCGT appelle à sous-traiter les services de transport en commun, elle réfère sans le dire à ce type d’entreprises: des entités multinationales, certaines établies dans des paradis fiscaux, qui sont nécessairement moins redevables qu’une société publique de transport , et dont la propriété étrangère a des impacts à la baisse sur les retombées économiques du transport en commun. Cette variable n’a pas été prise en compte par RCGT. 

Mythe #3: la sous-traitance du transport en commun n’est pas moins sécuritaire

Généralement et en raison des moins bonnes conditions de travail, les services de transport en commun accomplis par des transporteurs privés ont un roulement de personnel plus élevé qu’au public. Aux États-Unis, une recherche portant sur le transport scolaire de l’État du Minnesota a démontré que les chauffeurs et chauffeuses du privé étaient impliqués dans 33% plus d’accidents par 100 000 miles parcourus que leurs collègues du public. La raison? L’ancienneté des chauffeurs et chauffeuses du privé était en moyenne de 3,7 années, contre 10,5 du côté du public. 

Qu’en est-il au Québec? Les données sont à notre connaissance manquantes pour juger de l’aspect de la sécurité des services sous-traités. Ainsi, avant d’embrasser la solution mirage de la sous-traitance, le gouvernement devra sérieusement documenter cet enjeu.

Mythe #4: le modèle de sous-traitance d’EXO peut s’appliquer aux autres sociétés de transport 

À l’heure actuelle, le réseau EXO n’est pas propriétaire de sa flotte d’autobus et de ses garages, ceux-ci appartenant aux différents transporteurs privés à qui elle sous-traite le service. Or, dans le cadre de la politique d’électrification des transports, la STM, la STL et la RTL deviendront propriétaires de la flotte d’autobus et des garages du service d’EXO. Le cas échéant, le modèle de la sous-traitance, où les salariés d’EXO sont employés par des entreprises privées, ne sera tout simplement plus possible puisque les travailleurs et les travailleuses deviendront des employé·e·s des trois sociétés de transport du Grand Montréal et seront probablement régis par leur convention collective respective. 

Ainsi, la firme comptable met de l’avant dans son audit le modèle de sous-traitance d’EXO bien qu’il soit appelé à disparaître dans les prochaines années. Le rapatriement des opérations sous-traitées d’EXO au sein des trois sociétés de transport du Grand Montréal auront d’ailleurs pour effet d’améliorer la qualité des services offerts, puisque la STM, la STL et la RTL sont en meilleure position que les transporteurs privés pour attirer et retenir leur main-d’œuvre et ainsi diminuer les bris de services récurrents d’EXO.

La sous-traitance: une solution à courte vue

En somme, lorsqu’une firme comptable pond un rapport de 515 pages qui évalue principalement les modèles de transport en commun à partir de la donnée $/km parcouru, elle parvient à des conclusions qui auraient pour effet de diminuer la qualité des services de transport en commun, chose que le Québec et les sociétés du monde ne peuvent se permettre en contexte de crise écologique.  

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