Financement de l’action communautaire : quand la philanthropie retire ses billes
25 octobre 2018
Une longue relation unit les groupes communautaires montréalais et québécois au réseau Centraide. Ce réseau est le principal soutien philanthropique du milieu communautaire québécois. Or, la relation privilégiée qu’il a su développer avec les groupes communautaires semble peu à peu se détériorer, notamment dans la région de Montréal, comme en témoignent les critiques de l’Organisation populaire des droits sociaux de la région de Montréal (OPDS-RM) et la récente sortie du directeur adjoint du Camp St-Donat. Ces critiques et déceptions récentes s’ajoutent d’ailleurs à une liste de récriminations exprimées depuis quelques années déjà par des responsables d’organismes communautaires.
En décembre 2017, Centraide du Grand Montréal a annoncé sa volonté de cesser le financement de l’OPDS-RM. Le retrait de ce bailleur de fonds représente une amputation de 83 % du budget de l’organisme. Après 38 ans de soutien, Centraide met donc un terme à son association avec cet organisme d’Hochelaga-Maisonneuve. Cette coupure menace directement la survie de l’organisation. Les motifs invoqués par la fondation sont les suivants : manque de renouvellement des pratiques, manque de collaboration avec les partenaires, lacunes au niveau des communications et du site Internet, peu d’intérêt pour la formation et faible utilisation des médias sociaux. En gros, Centraide reproche au groupe de ne pas correspondre suffisamment aux critères de financement de la fondation, critères, qui, par ailleurs, apparaissent fort discutables pour évaluer l’action d’un groupe centré sur la défense collective des droits des personnes pauvres. La lutte à la pauvreté implique-t-elle vraiment de favoriser les groupes centrés sur l’innovation, le développement des capacités organisationnelles et le travail en partenariat tout en laissant pour compte ceux qui privilégient une approche plus militante axée sur la mobilisation?
Un autre cas mérite ici d’être porté à notre attention. Récemment, Dominique Bonetto, directeur adjoint du Camp St-Donat, a publié sur Facebook un message annonçant la fermeture définitive du camp à la suite du retrait du financement Centraide. Malgré la création d’un nouveau site Internet, l’augmentation significative de la clientèle, l’engagement d’un « partenaire commercial sur 5 à 10 ans » et l’obtention d’une « subvention de 400 000 $ pour rénover la marina et construire un nouveau gymnase », Centraide a décidé de se retirer, nous dit Bonetto. Les motifs expliquant cette décision ne sont actuellement pas connus.
Ces deux cas, fort différents, doivent nous amener à réfléchir sur l’impact du soutien philanthropique, mais, surtout, sur l’impact du retrait du bailleur de fonds. Nombreux sont les groupes qui, dans un contexte de sous-financement des organisations communautaires et de réduction des budgets alloués au soutien de la « mission de base », sont tentés d’aller chercher du financement philanthropique. Outre l’impact de mieux en mieux connu de cette forme de soutien sur les groupes communautaires en termes de perte d’autonomie, d’alourdissement des charges administratives et de cooptation de l’action communautaire par les élites, une dimension parfois moins connue est celle des effets d’un retrait soudain, d’une fin abrupte et non anticipée du financement philanthropique, notamment lorsque celui-ci représente une partie significative du budget de fonctionnement. Cet impact spécifique se fait déjà sentir au sein des milieux ayant été soutenus par les partenariats publics-philanthropiques de la Fondation Lucie et André Chagnon (FLAC) et qui perdront l’an prochain leur soutien de ces partenariats[1].
Les groupes communautaires reçoivent, pour la plupart, du financement public. Aucun groupe bénéficiant de subventions publiques n’est cependant assuré de recevoir un financement continu et stable pendant des années. Le sous-financement actuel de l’action communautaire amenuise d’ailleurs grandement cette probabilité. Dans la mesure où la philanthropie, notamment la philanthropie privée des élites, est actuellement guidée par la volonté de « maximiser l’impact des dons » et d’être à la « fine pointe de ce qui se fait »[2], celle-ci est amenée à réduire le nombre de donataires, à cibler les projets les plus novateurs et ceux engendrant le plus de résultats quantitativement mesurables. En conséquence, la philanthropie, particulièrement le modèle de philanthropie d’investissement (Venture philanthropy) initialement adopté par la FLAC et exerçant une influence sur Centraide du Grand Montréal[3], a tendance à se retirer quand les résultats ne sont pas assez clinquants ou lorsque l’effet de nouveauté d’un projet s’est dissipé. Les groupes sur le terrain se retrouvent donc tributaires des changements d’orientation des acteurs philanthropiques, situation qui complique davantage la recherche d’un financement stable et récurrent.
[1] Le partenariat Avenir d’enfants liant la Fondation Lucie et André Chagnon et le Gouvernement du Québec se termine en 2019.
[2] SILVER, Ira. Unequal Partnerships: Beyond the Rhetoric of Philanthropic Collaboration, 2006, USA, Routledge.
[3] Une série d’entretiens de recherche avec des responsables de groupes communautaires montréalais a mis cette dimension en lumière. Plusieurs critiques à l’égard de Centraide du Grand Montréal ont d’ailleurs été exprimées lors des entretiens.