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Pas assez de panacée de gouvernance

9 décembre 2013

  • AD
    Alain Deneault

Quinze. C’est le nombre de fois qu’on relève le mot gouvernance dans un article signé Yvan Allaire, qu’a publié Le Devoir le 6 décembre dernier. À force de réitérer le fétiche — absent de notre vocabulaire il y a quelques années encore — peut-être viendra-t-on à lui donner le semblant de consistance qu’il n’a toujours pas.

L’auteur, un animateur du nébuleux Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), trouve mille et une manières de conférer des lettres de noblesse au sème. « Nous vivons une crise de gouvernance dans les institutions et organismes de l’État québécois », écrit-il en citant les problèmes de gestion (un mot qui, lui, a une histoire et du sens) qu’on observe au Fonds de solidarité, au CHUM, au CUSM, à Tourisme Montréal et dans les universités, selon ses exemples.

Une « crise de la gouvernance »… Voilà qui laisse entendre que le terme renvoie à quelque chose que l’on connaît, à une histoire même, et qu’au vu de celle-ci, on pourrait repérer des phases de turbulence. Comme d’habitude, il suffit de quelques lignes pour que l’on voie de quoi il retourne, comme d’habitude, au titre de cette docte compréhension du monde, soit un art du second guessing. La rhétorique du « on aurait dû » prend le dessus, comme si la sapience de la gouvernance réglerait le problème des organisations d’État et du capitalisme si on l’appliquait convenablement.

Tournons les choses comme il se doit : la gouvernance est elle-même le symptôme de la crise. Michel Nadeau, du même IGOPP, expliquait à Radio-Canada plus tôt cette année qu’il aurait lui-même été tenté de conduire Arthur Porter à la tête du Centre universitaire de santé de McGill (CUSM). Comment résister à un tel candidat en effet? Sa fiche était « impeccable » : il était un ami de Stephen Harper qui l’a nommé au service des renseignements, on le savait proche de Philippe Couillard et il était passé par Oxford, Cambridge et Toronto! De plus, il avait auparavant conseillé George Bush! On sait aujourd’hui que cet auteur présumé de malversations est aujourd’hui réfugié à l’étranger. Monsieur Nadeau ne semblait pas se douter que le passage dans les cercles de l’oligarchie et les hauts lieux du pouvoir ne garantit en rien la rigueur morale. C’est plutôt de là que proviennent très précisément les criminels à cravate. On n’a toutefois pas appris dans les cours de « gouvernance » à penser dans un ordre logique.

De l’avis d’Yvan Allaire lui-même, l’immunité éthique de la gouvernance n’a fonctionné en rien en ce qui concerne les cas de fraudes et les abus monumentaux qui ont conduit à la faillite du courtier en énergie Enron, aux États-Unis, au début des années 2000. Certes, la société plaidait la « bonne gouvernance » et se drapait dans sa charte pour abuser ceux qui utilisent aujourd’hui l’expression à chaque paragraphe de leurs textes, mais cela n’a empêché en rien l’entreprise de passer entre les mains de criminels de la finance. Que disait le spécialiste Allaire à l’époque? « Le conseil [d’administration] ne possède aucun détecteur d’intégrité ni aucun système d’alarme pour lui indiquer que la direction, naguère intègre et méritant pleinement sa confiance, a récemment succombé aux pressions et aux tentations et commis des actes imprudents, voire frauduleux » (Propos de gouvernance… Avant, pendant et après la crise financière de 2007-2008, Montréal : Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, 2010, p. 242). Mais le même Monsieur Allaire ne fait-il pas son pain et son beurre d’expliquer comme sa théorie de la « gouvernance créatrice de valeurMD » garantit les institutions de bien choisir les membres d’un conseil?

La gouvernance est la crise. Elle a consisté dans sa très récente histoire à exclure les notions de politique, de démocratie et de bien commun dans la conscience publique au profit d’un jargon managérial inspiré des organisations privées. C’est à cette approche qu’on doit le « cher client » de la Bibliothèque et des archives nationales du Québec, à savoir une expression fautive qui trahit une soumission de toute institution publique à une culture institutionnelle de type privé.

Le Ph. D. et MSRC Allaire se satisfait de croire qu’il n’y aurait plus « crise », c’est-à-dire plus de collusion, plus de malversation, plus de dévoiement, plus de perversion des institutions publiques… si on leur appliquait « les mêmes règles et principes de gouvernance auxquels sont soumises depuis 2006 les sociétés d’État », lesquelles sont fièrement « calquées sur les normes de gouvernance dans le secteur privé », celles qui n’ont pas empêché par exemple Pierre Karl Péladeau de s’inviter chez Hydro-Québec cette année pour mieux « servir » l’État. *L’auteur de « Gouvernance », Le management totalitaire, Montréal, Lux Éditeur, 2013.

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