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Les prisons de Harper

12 décembre 2012

  • Guillaume Hébert

Le 5 décembre dernier, une manchette du Devoir nous apprenait que l’enseignement collégial offert aux détenus était désormais en péril en raison des coupures fédérales du dernier budget Flaherty. Au Collège Marie-Victorin, ces coupures pourraient mettre fin à quarante ans d’enseignement aux prisonniers pour fins de réinsertion. Aux coupures fédérales s’ajoutent d’ailleurs des coupures provinciales en vertu des compressions budgétaires qui visent un retour à l’équilibre budgétaire.

Ces mauvaises nouvelles pour les partisans de la réhabilitation sont une suite logique aux initiatives conservatrices soi-disant « tough on crime » applicables aux politiques correctionnelles.

Au début de l’année 2012, le projet de loi omnibus C-10 a été adopté au Parlement canadien. Cette loi, officiellement nommée « Loi sur la sécurité des rues et des communautés », a été dénoncée à travers le Canada et notamment au Québec où le ministre de la Justice de l’époque, Jean-Marc Fournier, avait multiplié les allers-retours à Ottawa pour défendre le point de vue québécois. Ses démarches bénéficiaient d’un appui unanime de l’Assemblée nationale. Chaque fois, il est rentré bredouille.

Québec (comme au moins sept autres provinces) dénonçait alors les coûts induits par les multiples dispositions du projet de loi, un ensemble de mesures visant principalement à forcer l’augmentation de la durée des peines de prison. Plusieurs de ces mesures figuraient dans les plans des conservateurs depuis longtemps, mais n’avaient pu être adoptées faute de majorité au Parlement.

Il y a un an, l’IRIS publiait une évaluation des coûts que pourrait entraîner C-10 :

Source : Coûts et efficacité des politiques correctionnelles fédérales, IRIS, décembre 2011

Mais Québec ne dénonçait pas seulement les coûts de la loi fédérale, il critiquait l’effet déstabilisateur qu’elle pourrait avoir sur les pratiques québécoises de réhabilitation, en particulier celles qui concernent les jeunes. En octobre, les directeurs des centres jeunesse s’inquiétaient par exemple des conséquences de la fin de la confidentialité de certains délinquants juvéniles. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse s’était également prononcée en février contre la loi C-10 pour les mêmes motifs.

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Nul besoin ici de replonger dans le débat « répression vs réhabilitation ». Ce débat est terminé et on sait tous qui l’a gagné. Tous, sauf les conservateurs de Stephen Harper et le sénateur-djihadiste Pierre-Hugues Boisvenu.

Notons que la recette conservatrice dans le domaine ressemble tristement à l’approche tough on crime appliquée aux États-Unis dans les dernières décennies et qui fait figure d’échec retentissant. L’un des cas médiatisé a mené à l’adoption d’une loi controversée en Arizona, la « Support Our Law Enforcement and Safe Neighborhoods Act ». C’est dire que même le nom ressemble à s’y méprendre à la nouvelle loi canadienne.

L’un des effets anticipés de cette loi, en Arizona, permet désormais aux policiers de réaliser des contrôles faciès et d’imposer des incarcérations prolongées des immigrants illégaux.

Ces détentions augmenteront le nombre de détenus et du même coup les occasions d’affaires pour les prisons privées étasuniennes. Leur intérêt dans l’affaire était tel qu’ils n’ont pas attendu l’adoption de la loi pour s’en réjouir… Ils ont carrément écrit la loi, comme l’a révélé un reportage troublant de NPR.

Apparemment, c’est ce que l’on appelle là-bas un « partenariat public-privé » : le secteur privé écrit la loi, puis les élus votent le texte…

Étant donné que C-10 augmentera la population carcérale, la question naturelle qui nous vient  ensuite est : où mettrons-nous ces prisonniers ? Le gouvernement songe-t-il faire appel au secteur privé comme aux États-Unis ?

Les signes d’une privatisation de la détention au Canada s’accumulent et, comme en Arizona, les migrants en font déjà les frais. Pour le moment, il n’existe pas de prisons privées, mais les firmes de détention investissent le « marché » de l’incarcération des demandeurs d’asile.

Selon The Guardian, le ministre de l’immigration Jason Kenney a visité des prisons privées en Australie et le gouvernement fait l’objet du lobbying d’entreprises privées d’incarcération.

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Dans une rare prise de position politique, le Barreau du Québec a demandé en novembre l’avis des tribunaux sur la loi C-10. L’ordre professionnel des avocats espère invalider des dispositions qui réduisent le pouvoir de la justice en limitant la marge de manœuvre des juges, une mesure selon eux inconstitutionnelle.

Ce n’est pas la première tactique d’opposition à la loi. Dès 2011, le gouvernement du Québec cherchait des façons de contourner les dispositions problématiques. Plusieurs trucs étaient envisagés : retenir dans un lot que les chefs d’accusation qui ne sont pas liés aux nouvelles peines minimales, évitement par le « plea bargaining » (négociation avant procès),  écartement de certains détails sur les preuves (ne pas mentionner le nombre de plants de cannabis pour éviter d’atteindre le plancher de six devant mener à une peine minimale), etc.

Le nouveau ministre péquiste de la Justice Bertrand St-Arnaud s’est ouvertement lancé dans le contournement de C-10 en instaurant un « programme québécois  de traitement de la toxicomanie sous surveillance judiciaire ». Le communiqué gouvernemental  est clair sur le but de cette annonce :

« En agissant de la sorte, il donne ainsi la possibilité aux juges de ne pas infliger les nouvelles peines minimales d’emprisonnement lorsque le contrevenant suit avec succès le programme de traitement de la toxicomanie, et ce, conformément à l’article 10(5) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. »

Il s’agit d’une réponse québécoise à une étude du ministère fédéral de la Justice qui prévoyait une multiplication par cinq des emprisonnements pour la culture de la marijuana. L’association canadienne des juristes de l’État elle-même anticipait que C-10 causerait « trop de procès ».

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