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La guerre aux pauvres

14 janvier 2015

  • Philippe Hurteau

Quelques jours avant le passage de la nouvelle année, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale a une fois de plus montré qu’il porte très mal son nom. Vous êtes certainement nombreux et nombreuses à avoir été choqué par cette histoire : une bénéficiaire de l’aide sociale qui se fait réclamer 25 738 $ pour n’avoir pas déclaré ses revenus de mendicité des dix dernières années.

Oui oui, une personne handicapée qui quête dans le métro et reçoit 40 ou 60 $ de dons par semaine est désormais traitée de fraudeuse par le ministère sensé gérer nos mécanismes de solidarité sociale. Disons qu’il y a là matière à devenir cynique, surtout qu’au même moment se multipliaient les vœux de bonne année de nos élu.e.s dans lesquels on ne manque pas d’insister sur l’importance de l’entraide et de la générosité.

Cet acharnement ne relève pas de l’excès de zèle d’un fonctionnaire qui manque de jugement. Il est en fait la conséquence pitoyable du climat d’austérité imposé par M. Couillard et ses troupes. Pendant que les différents ministères voient leur budget amputé de plusieurs millions de dollars, celui de la solidarité sociale a pu embaucher 10 nouveaux employé.e.s l’été dernier. Leur mission : faire la guerre aux fraudeurs. Leur objectif : que le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale baisse.

C’est en quelque sorte le retour des « boubou macoutes », les inspecteurs engagés il y a 25 ans par Robert Bourassa pour justement lutter contre la fraude.

Mais de quoi parle-t-on exactement quand on parle de fraude? Le Québec est-il aux prises avec une armée de Bougon vampirisant ses ressources? Déjà, mettons les choses en perspective. Fin 2014, 442 316 personnes ont reçu de l’aide sociale, soit 5,4 % de la population totale pour des prestations de 2,8 milliards $. De ce montant, 124 millions $ sont considérés comme étant frauduleux.

Par contre, la majorité de cette somme (99 millions $), de l’aveu même du ministère, est composée d’erreurs de bonne foi, c’est-à-dire de simples mégardes quand vient le temps de remplir une demande. Ceci nous laisse avec un bien maigre 25 millions $ de « fraudes véritables ».

Pour vous donner une idée, on parle ici d’un petit 56 $ par bénéficiaire ou d’un rachitique 3 $ par Québécois.e.s.

Bien sûr, il faut limiter les fraudes, là n’est pas la question. Il est simplement toujours aussi perturbant de voir le gouvernement s’attaquer aux plus faibles. Surtout quand se met en place une « austérité sélective » comme l’a si bien nommé Josée Legault en décembre dernier.

Pendant que l’on demande à une personne qui doit mendier dans le rue pour survivre de rembourser 25 000 $ au fisc, le Québec continue d’être le champion des subventions aux entreprises et de se priver de 568 millions $ par année en permettant à ces dernières de reporter le paiement de leur impôt. Une liste aussi longue que scandaleuse montrant le deux poids deux mesures des politiques d’austérité pourrait être établie. Invariablement, l’austérité, c’est pour les pauvres. Surtout pas pour le 1 % des plus riches qui a vu son taux d’impôt effectif chuter drastiquement depuis 10 ans.

Pour ceux et celles qui se demandent pourquoi des gens descendent dans la rue ou pourquoi les actions du gouvernement ne passent pas comme une lettre à la poste, il y a là un début de réponse. Ce n’est pas par un manque de communication ou de pédagogie. Ce n’est pas non plus par ignorance ou par peur du changement. C’est, plus simplement, parce que de plus en plus de gens comprennent que le retour hâtif à l’équilibre budgétaire ne se fera pas sur le dos de quelques privilégié.e.s, mais bien sur celui des plus démuni.e.s. Le courage dont fait preuve M. Couillard se résume ainsi : faire la guerre aux pauvres.

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