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Faut-il mettre fin au monopole de la SAQ?

11 mai 2016


Aux yeux des partisans du libre marché, le fait que des entreprises publiques aient l’exclusivité sur certains secteurs de l’économie apparaît comme une aberration des plus scandaleuses. C’est pour cette raison que surgit de manière périodique dans l’espace public l’idée de privatiser en totalité ou en partie la Société des alcools du Québec (SAQ), un projet porté par la volonté de libérer les consommateurs et les consommatrices québécoises des griffes de notre « soviet des alcools ».

La défunte Commission de révision permanente des programmes (CRPP), présidée par Lucienne Robillard, s’était rangée derrière cet argument et recommandait dans son rapport paru à l’été 2015 « que le gouvernement libéralise le commerce des vins et spiritueux, en prenant les moyens nécessaires pour protéger les revenus actuellement perçus sous la forme de dividendes » (vol. 2, p. 40). Actuellement, seul le commerce de la bière, de certains vins et de boissons panachées (coolers) est ouvert aux joueurs privés.

La Commission défendait sa position en argumentant, comme plusieurs avant elle, que de permettre aux détaillants privés de concurrencer la SAQ obligerait cette dernière à diminuer à la fois ses frais d’administration et le prix de ses produits. Les commissaires se basaient pour ce faire sur l’exemple de la Colombie-Britannique, province où le commerce de l’alcool a été libéralisé en 2002.

En réponse à ces arguments et aux recommandations de la CRPP, nous avons produit une étude comparative sur le commerce des vins et des spiritueux au Québec et en Colombie-Britannique. Elle s’attarde autant à l’évolution des prix de l’alcool et de la consommation qu’à celle des frais d’administration des sociétés publiques et des revenus que les gouvernements tirent de la vente de ces produits.

Nous avons de plus réalisé une étude de prix en nous rendant sur place pour comparer 584 bouteilles vendues à la SAQ, au BC Liquor Stores, le détaillant opéré par le gouvernement provincial, et dans des commerces privés britanno-colombiens.

À la lumière des données recueillies, nous constatons que la SAQ est capable d’offrir des prix équivalents à ceux de la Colombie-Britannique, où le privé concurrence pourtant le public pour la vente des vins et des spiritueux, mais aussi que dans cette province, ce sont les magasins publics qui offrent les meilleurs prix. Le prix moyen d’une bouteille d’alcool au BC Liquor Stores est de 17,24 $, contre 18,89 $ pour les détaillants privés de la province. Ces derniers offrent donc des prix 9,6 % plus cher que leur concurrent public.

La SAQ est pour sa part en mesure d’offrir des prix semblables à ceux des BC Liquor Stores, même si elle n’a pas de concurrents privés. Toujours selon les données recueillies dans le cadre de notre étude de prix, le prix moyen d’une bouteille d’alcool était de 17,24 $ dans les BC Liquor Stores, alors qu’il était de 17,71 $ au Québec. BC Liquor Stores propose donc des prix 2,6 % moins cher que la SAQ. BC Liquor Stores a l’avantage pour ce qui est du prix moyen des vins (14,68 $), qui sont 5,7 % moins cher qu’à la SAQ (15,57 $), mais c’est au Québec que l’on paie le moins cher pour une bouteille de spiritueux (24,72 $). En effet, il faut débourser en moyenne 3,7 % de plus (25,64 $) au BC Liquor Stores pour se procurer le même produit.

Notre analyse des données macroéconomiques indique en outre que la SAQ est une entreprise bien gérée. Ses frais d’administration ont diminué par rapport au montant de ses ventes depuis dix ans, tandis que ceux de BC Liquor Stores ont stagné. Les dividendes qu’elle verse au gouvernement ont pour leur part augmenté. Les revenus que tire le gouvernement québécois de chaque litre d’alcool vendu ont connu une hausse de 65 % entre 1997 et 2013, contre seulement 14 % en Colombie-Britannique.

Enfin, on a vu la consommation de vin et de spiritueux des Québécois·e·s augmenter sur la période à l’étude, ce qui indique que les prix proposés par la SAQ ne découragent pas la clientèle. Le nombre de litres d’alcool consommés par personne a augmenté de 84 % pour ce qui est du vin et de 72 % pour les spiritueux, soit des hausses plus fortes qu’en Colombie-Britannique.

L’alcool n’est pas un produit comme les autres. La présence du public dans la vente de l’alcool découle de la volonté d’encadrer le commerce de cette denrée dont la consommation abusive peut entraîner des problèmes de santé et de sécurité publique qui sont loin d’être négligeables.

Les données comparatives sur les prix du vin et des spiritueux ne nous permettent pas de conclure que les consommateurs et les consommatrices du Québec seraient mieux servies par un marché où le privé concurrencerait le public. C’était d’ailleurs la conclusion de notre étude précédente portant sur le marché albertain, province où la vente de l’alcool a été complètement privatisée. Une fois de plus, les hypothétiques avantages amenés par la libéralisation de la SAQ ne passent pas l’épreuve des faits.

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