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Bye Bye : deux remarques

8 janvier 2015


À chaque Bye Bye sa marée de commentaires. Pas vraiment une critique au sens fort du terme, mais un série de « j’aime » ou « j’aime pas ». « Trop télé » nous dit  Le Devoir. « Au contraire, trop politique » nous dit le Métro. Eh bien. Mais, par delà des goûts et des couleurs, que nous dit le Bye Bye sur nous? Sur l’état de l’idéologie au Québec? Probablement beaucoup de choses – notamment sur notre rapport au poids et au poil facial des femmes –, mais je me contenterai de deux remarques.

Austérité : la bataille du mot est gagnée

À mesure qu’une piètre imitation de Philippe Couillard répétait « austérité pour toi pour toi pour toi, oui, mais pas pour moi » sur la musique de Stromae, je me disais que son double devait jurer dans sa barbe. Ce mot n’ayant jamais franchi la frontière de ses véritables lèvres sauf pour être démenti, le voir repris de façon systématique – même par des alliés comme André Pratte qui n’a pas le choix d’en faire son titre s’il veut qu’on sache de quoi il parle – annonce que la bataille du vocabulaire est perdue.

Or, l’austérité a une interprétation de gauche et une interprétation de droite. À droite, on insistera sur l’argent que le gouvernement vient prendre dans les poches des contribuables. À gauche, on insistera plutôt sur les effets de l’austérité sur les programmes sociaux et les plus démuni.e.s. Si ces deux positions ne sont pas irréconciliables et qu’on peut bien admettre une austérité à deux volets (augmenter taxes et tarifs ET faire des compressions dans les programmes sociaux), il est intéressant de voir que malgré les apparences, l’interprétation de gauche a pris beaucoup de place dans le Bye Bye.

Bien sûr, ne voyant pas les mannes d’argent sortir des poches de tous les contribuables pour aller dans les coffres de l’État, en entendant les premiers mots de cette chanson qui évoque les millions qui sortiront de nos poches, l’interprétation de droite trouvait son écho. Par contre, si on porte attention toute la chanson ainsi que le sketch avec laquelle elle est intercalée où Philippe Couillard distribue l’argent des Québécois.e.s à ses amis : on entend à plusieurs reprises ce que la gauche pense de l’austérité :

« Partout on coupera, oui partout on coupera, c’est juste une petite saignée »;

« 2$ pour les programmes sociaux? Non, c’est ma contribution pour le Movember »

« Les pétrolières, les compagnies pharmaceutiques, les multinationales et surtout les banques : vous pouvez venir chercher le reste! »

L’insistance sur la question de l’austérité et ses effets dépasse la seule reprise de Papaoutai. On se souviendra des clips sur les systèmes de santé et d’éducation qui attaquent directement l’effet des coupures sur les services offerts à la population. Bref, le Bye Bye nous permet de prédire que le mot austérité ne disparaîtra pas en 2015 et de constater que son interprétation de gauche a une certaine résonance dans la population.

Télé : le dernier rempart du commun?

Dans une discussion récente, on me rappelait des sketchs de Bye Bye des années 1980 et 1990. Ceux qui revenaient spontanément en tête ressemblaient assez peu, en fait, à ce que nous voyons du Bye Bye aujourd’hui. En fait, ces sketchs d’un autre temps mettaient en scène des moments du quotidien des Québécois.e.s sans nécessairement reprendre un vidéoclip, une émission de télé ou des célébrités : il s’agissait de représentations du monde ordinaire dans des situations du quotidien. Des gens dans leur cuisine, dans leur salon, dans un bar, à l’épicerie ou, plus lointain et plus classique, sur les marches d’un balcon de Westmount.

Sans consacrer leur talent et l’énergie à la reprise léchée des productions télévisuelles à succès, les artisans des anciens Bye Bye évoquaient néanmoins la communauté qui avait passé à travers l’année. C’est aussi ce que les Zapartistes  réussissaient, avec encore moins de moyens, dans les bonnes années de leur rétrospective.

Aujourd’hui, le Québec est plus diversifié, les habitudes culturelles plus éclatées, certes. Mais au lieu de ne faire qu’un constat de ces faits pour dire qu’il sera de plus en plus difficile de faire des Bye Bye, ne serait-il pas temps de faire le pari de retrouver de la communauté autrement que dans le remâchage de produits culturels déjà consommés, critiqués, repris et commentés? Poursuivre sur cette voix signifiera inévitablement faire la chasse à ce qui aura été le plus vu et le plus écouté, sans pour autant parler de ce qui aura été le plus vécu par les membres de la collectivité.

En s’accrochant à son dernier rempart pour bâtir le commun – le monde télévisuel grand public – le Bye Bye n’est-il pas un bon représentant d’un malaise persistant au Québec? Ne témoigne-t-il pas de notre incapacité à produire quelque chose qui soit diversifié sans être fade ou qui soit mordant sans tomber dans la bêtise des préjugés? Miroir d’une politique incapable de parler au peuple sans passer par des épouvantails ou des Bonhommes Sept Heures, le Bye Bye, en voulant à tout prix rester la grande communion annuelle, est devenu le nom que prennent notre colère tiède et nos amours cheap. Ceux-ci sont d’ailleurs de plus en plus dirigés que vers des cibles évanescentes : vedettes politiques lointaines, téléséries célèbres ou chanteurs populaires. Un monde inaccessible qui ne nous concerne plus vraiment… sauf quand on est tellement connu que Radio-Canada nous demande de préparer le prochain Bye Bye.

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