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Déconfinement: se baser sur la science… quand elle fait son affaire

28 avril 2020

  • Raphaël Langevin

Le premier ministre François Legault a annoncé la première phase de son plan de déconfinement le 27 avril. Ce plan prévoit la réouverture des écoles primaires et des garderies en dehors de la région métropolitaine dès le 11 mai prochain, et le 19 mai pour les établissements montréalais. Pour justifier cette décision, le premier ministre évoque 5 raisons particulières: le bien des enfants, l’accord de la santé publique, le risque moindre pour les personnes de moins de 60 ans, la situation des hôpitaux sous contrôle et le fait que la vie doit continuer. Si ces 5 raisons sont en apparence fort louables, il est toutefois nécessaire de s’assurer qu’elles soient vérifiées et légitimes. Dans ce billet, je propose de passer en revue ces 5 raisons en plus de faire un état général de la pandémie au Québec et de sa prise en charge par les autorités publiques.

Le bien des enfants

Il est évident que les jeunes avec difficulté d’apprentissage et sans soutien adéquat souffrent énormément de la fermeture des écoles. Or, les déclarations récentes concernant l’impact du confinement sur le développement infantile et les problèmes d’apprentissage ne peuvent passer sous silence le fait que, bien avant le confinement, ces problèmes étaient tout aussi sévères, mais ne semblaient pas être une priorité pour les gouvernements qui se sont succédé. Si de procéder au retour en classe pour les élèves avec difficulté d’apprentissage est une bonne chose, encore faut-il que les ressources adéquates soient disponibles pour aider ces élèves. Autrement, il est légitime de croire que leur situation se fait tout simplement instrumentaliser afin de permettre le retour au travail de leurs parents.

L’accord de la santé publique

Le premier ministre l’a évoqué plusieurs fois déjà: il a le « OK » de la santé publique pour rouvrir les écoles. Or, nous sommes en droit de nous demander si cet accord ne s’est pas fait sous certaines pressions particulières. Cela expliquerait pourquoi le groupe mandaté par les autorités de santé publique pour modéliser l’évolution de la pandémie présente deux scénarios pour le Québec: un optimiste et l’autre pessimiste. Le scénario optimiste correspond à la tendance européenne appliquée au contexte québécois, tandis que le scénario pessimiste est basé sur la réalité… québécoise! En effet, le scénario pessimiste est obtenu à partir des données de géolocalisation de Google au Québec. Autant dire que le scénario pessimiste aurait dû être rebaptisé « scénario réaliste », surtout voyant que les nouveaux cas symptomatiques prédits par le scénario pessimiste correspondent presque parfaitement à la tendance des chiffres observés au Québec. Ceci étant dit, il aurait peut-être été plus difficile d’obtenir l’accord de la santé publique s’il avait été clair dès le début que le scénario pessimiste est en réalité le scénario le plus probable (sinon le seul). C’est sans compter le fait que les projections effectuées par le Groupe de recherche de l’Université Laval ne tiennent pas compte du nombre de décès dans les CHSLD causés par la COVID-19, pas plus que du nombre de transferts hospitaliers en provenance des CHSLD, ce qui aurait probablement terni le portrait un peu trop aux yeux du gouvernement.

Le risque contrôlé pour les gens de moins de 60 ans

Cette raison est d’autant plus surprenante que inquiétante. Si l’âge est un facteur de risque important pour les complications liées à la COVID-19, plusieurs études récentes montrent que la présence de conditions chroniques est aussi un facteur de risque majeur chez les patient·e·s atteint·e·s. D’ailleurs, on apprenait récemment que la COVID-19 n’est pas spécifiquement une maladie pulmonaire, mais bien une inflammation généralisée des cellules dans les vaisseaux sanguins. Autrement dit, toutes les personnes atteintes d’hypertension, de diabète et de problèmes cardio-vasculaires sont à risque de développer des complications liées à la maladie. Or, ces problèmes sont présents chez à peu près un quart de la population québécoise âgée de plus de 12 ans selon les estimations du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Cela explique notamment pourquoi plusieurs personnes relativement jeunes infectées par le virus ont souffert d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) alors que ces gens ignoraient qu’ils ou elles étaient infecté·e·s. Comme la santé publique du Québec est nécessairement au courant de cette réalité, il est très étrange d’entendre le premier ministre parler de risque contrôlé pour les moins de 60 ans.

La situation dans les hôpitaux

Bien que la grande majorité des personnes infectées n’en meurent pas, la principale préoccupation de nos dirigeants politiques reste la capacité du système de santé à traiter les patient·e·s atteint·e·s. Si on se réfère encore une fois aux travaux publiés par le Groupe de recherche de l’Université Laval, il est prévu que le nombre de lits occupés dans les hôpitaux du Québec augmente de façon constante jusqu’à la fin du mois de mai, et cela sans considérer l’impact des mesures de déconfinement annoncées par le gouvernement. Un calcul relativement simple permet de constater que le nombre d’hospitalisations liées à la COVID-19 devrait dépasser la dizaine de milliers à la fin du mois de juin si l’impact des mesures d’assouplissement suit le scénario « pessimiste ». Alors que nous comptons environ 20 000 lits d’hôpitaux à travers toute la province, réserver plus de la moitié de ces lits pour des cas de COVID-19 met définitivement une pression insoutenable sur le système de santé québécois. Affirmer que la situation est actuellement stable dans les hôpitaux est certes vrai, mais ce n’est pas tant la situation actuelle qu’il faut regarder plutôt que ce qui risque d’arriver dans un futur proche, ce pour quoi la santé publique a dépêché le groupe de recherche en question. On est alors en droit de se demander pourquoi le gouvernement demande à des experts de faire des projections si c’est ensuite pour ne pas en tenir compte dans ses décisions.

La vie doit continuer

Le premier ministre et plusieurs autres figures publiques avancent régulièrement l’idée qu’il est impensable de conserver le confinement jusqu’à ce qu’un vaccin sécuritaire et efficace soit disponible. Or, à ma connaissance, personne ne s’est jamais revendiqué d’une telle position publiquement. Cet homme de paille utilisé par François Legault permet de mieux justifier la stratégie actuellement envisagée par le gouvernement, soit la réouverture graduelle des écoles et de l’économie québécoise. C’est faire complètement abstraction d’une stratégie mitoyenne pourtant recommandée par l’OMS et aussi suivie par les pays qui contrôlent le mieux l’épidémie à travers le monde. Cette stratégie se résume en quatre mots : détecter, tester, isoler et retracer. Autrement dit, avant de déconfiner un tant soit peu, il est préférable d’avoir l’assurance que les systèmes de santé nationaux peuvent détecter hâtivement les foyers d’éclosion, tester tous les gens dans ces foyers, isoler les individus contaminés et répertorier leurs contacts récents. Cette approche implique un dépistage massif inconditionnel, ce qui n’est pas le choix du Québec malgré l’augmentation prévue de la cadence de dépistage.

Même en augmentant de 5 000 à 15 000 le nombre de tests quotidiens au Québec, une telle stratégie nécessite un changement radical du rôle de l’État québécois dans la gestion de la crise. Les efforts déployés par la Corée du Sud, pour ne prendre que cet exemple, ont amené à des investissements publics massifs afin de procéder à une vaste campagne de dépistage et à des embauches importantes pour fins d’isolation et de traçage des contacts des personnes infectées. C’est aussi ce qu’a fait l’Allemagne, ce qui lui a permis de limiter considérablement le nombre de décès en lien avec le virus malgré d’importantes éclosions sur son territoire. De tels investissements seraient assurément bénéfiques à long terme, la santé publique ayant toujours été le parent pauvre de la santé au Québec. Cette idée rejoint aussi celles mises de l’avant par mes collègues de l’IRIS, à savoir qu’il est plus que temps de nationaliser toutes les résidences pour les personnes âgées au Québec et de procéder à l’embauche de 250 000 personnes dans le secteur public québécois afin de pouvoir fournir des services adéquats en temps de crise tout en limitant les décès. À défaut d’implanter une telle stratégie, il est clair que la pandémie se prolongera, comme partout ailleurs dans le monde où les mesures de restriction sont relâchées en l’absence d’infrastructures publiques structurantes pour contenir les nouveaux foyers d’éclosion. Mais cela implique forcément de questionner une des « vaches sacrées » du gouvernement Legault, soit le rôle auxiliaire que l’État occupe actuellement dans la structure économique nationale.

L’angle mort du retour à l’école : le délai de détection

Il reste un dernier élément sur lequel il vaut la peine de se pencher. Même si les deux prochaines semaines s’annoncent clémentes, les simulations du Groupe de recherche de l’Université Laval montrent qu’un assouplissement des mesures de confinement le 11 mai prochain entraînera une hausse du nombre de cas et des décès dans la province. L’équipe de chercheurs en conclut que l’instauration d’une « veille stratégique » est une étape cruciale afin de nous assurer que l’ouverture des écoles primaires et des garderies ne génère pas une envolée des cas.

Or, cette surveillance implique deux choses: une capacité de dépistage conséquente permettant d’identifier les nouveaux cas de contamination dans les écoles et autres milieux reliés et une capacité d’intervention tout aussi adaptée en cas d’éclosion subséquente. Nous savons depuis quelque temps que les enfants peuvent être des vecteurs asymptomatiques importants de propagation de la maladie, ce qui signifie que le dépistage peut difficilement se faire de manière préventive auprès des jeunes, à moins de dépister aléatoirement à travers toutes les écoles du Québec. Nous savons aussi que le délai entre la transmission du virus et l’obtention d’un diagnostic positif dépend de la période d’incubation du virus et du délai de traitement des tests de dépistage, ce qui peut prendre plusieurs jours, voire des semaines.

En rassemblant toutes ces informations, un constat évident émerge: la veille stratégique, à défaut d’être préventive et systématique, sera toujours en retard sur la propagation du virus. Il serait dès lors bien dommage de devoir fermer à nouveau les écoles à la fin du mois de mai pour ensuite constater une recrudescence des cas les jours suivants, faisant ainsi prolonger la pandémie tout l’été pour un seul mois d’école supplémentaire.

Déconfiner? Oui, mais à certaines conditions

Pour terminer, il est assez ironique de voir le gouvernement de l’Ontario annoncer, à quelques heures d’intervalle avec le Québec, un ensemble de conditions dont deux très précises afin de considérer la levée du confinement: observer une diminution constante des nouveaux cas pendant plus de deux semaines partout en Ontario et réussir à contacter chaque jour au moins 90% des nouveaux cas quotidiens afin de procéder au traçage de leurs contacts. Alors que l’Ontario compte environ quatre fois moins de cas que le Québec toute proportion gardée, on ne peut que saluer cette récente décision de l’administration Ford qui se base autant sur les plus récentes données scientifiques que sur une analyse rigoureuse de l’efficacité des différentes stratégies implantées à l’international. Pour paraphraser le premier ministre ontarien, ce qui doit dicter nos actions n’est pas le moment du déconfinement, mais bien la manière d’y arriver.

François Legault dit écouter la science afin de guider ses choix stratégiques, mais d’autres exemples montrent que son écoute n’est peut-être pas aussi attentive qu’elle devrait l’être. On ne saurait malheureusement se surprendre de cela, ce gouvernement semblant être à l’écoute de la science… seulement lorsque ça l’arrange.

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