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Réforme Dubé | Santé Québec : une agence pour gérer le système de santé comme une usine d’automobiles

25 août 2023

Lecture

4min

  • Anne Plourde

L’étude détaillée du projet de loi 15 (PL15) visant à « refonder » le système de santé a repris lundi. Une des pièces maîtresses de la réforme que souhaite réaliser le ministre Christian Dubé est la création d’une agence, Santé Québec, qui sera chargée de la gestion des opérations jusque-là assumée par le ministère de la Santé et des Services sociaux. On apprenait aussi la semaine dernière que le gouvernement Legault souhaite confier à une autre agence certaines responsabilités du ministère des Transports. Derrière ce qui ressemble à une nouvelle mode se cache pourtant une vieille idée : celle de gérer les services publics comme une entreprise privée.

La création d’agences prétendument autonomes du gouvernement pour gérer les services publics et prendre en charge certaines fonctions traditionnellement dévolues à l’État n’est pas nouvelle. Cette pratique remonte en fait au début des années 1980 et s’inscrit dans la mouvance néolibérale de la « nouvelle gestion publique », qui émerge à cette époque. Bien qu’elle puisse prendre différentes formes, la nouvelle gestion publique consiste pour l’essentiel à importer dans le secteur public les méthodes de gestion propres au secteur privé, notamment en créant des instances autonomes dirigées par des PDG partageant la culture de l’entreprise privée.

Cette approche prétend réduire les coûts et la lourdeur bureaucratique de l’État et augmenter l’efficacité des services. L’efficacité est d’ailleurs le maître-mot de la réforme Dubé et l’objectif officiel du PL15. Le ministre de la Santé a aussi été très clair sur son intention de recruter des « top guns du privé » pour diriger la future agence.

Or, cette nouvelle structure est peu susceptible d’atteindre ses objectifs officiels, principalement parce que les services publics répondent à une logique bien distincte de celle du secteur privé et qu’il est faux de penser que les soins de santé peuvent être gérés comme une chaîne de montage. De plus, tout indique que Santé Québec est condamnée à devenir un organisme dont l’efficacité sera plombée par une lourdeur bureaucratique d’une complexité ingérable.

Toutefois, on peut s’attendre à ce que la centralisation du pouvoir décisionnel entre les mains d’une poignée de gens issu·e·s des milieux d’affaires permette d’atteindre d’autres objectifs qui, historiquement, ont également motivé le virage vers la nouvelle gestion publique. En effet, la naissance de ce courant est en partie une réaction des élites économiques et politiques à la démocratisation des services publics qui se développe durant les années 1960 et 1970. Au Québec, la « participation populaire » était sur toutes les lèvres à cette époque et, sous la pression populaire, des réformes importantes ont donné aux citoyen·ne·s ordinaires une place dans les instances décisionnelles chargées de gérer les services publics, notamment en santé et en éducation.

C’est ainsi qu’au moment de la création du système public de santé en 1971, chaque CLSC, chaque CHSLD et chaque hôpital était doté d’un conseil d’administration élu sur lequel étaient représenté·e·s les citoyen·ne·s. Cette place formelle dans les lieux de pouvoir leur permettait de s’assurer que les services publics répondent réellement à leurs besoins. Elle leur offrait également un lieu de mobilisation et d’organisation pour résister aux décisions politiques et gestionnaires impopulaires, comme les tentatives de coupes budgétaires, de réduction de services ou de privatisation.

Du point de vue du milieu des affaires et des gouvernements qui souhaitaient implanter ces politiques néolibérales, les avancées démocratiques des années 1970 sont rapidement devenues une nuisance. Dès le milieu de cette décennie, les associations patronales et les chambres de commerce ont dénoncé les ouvertures à la participation populaire et réclamé que les services publics soient dirigés par des gestionnaires professionnel·le·s, donc par des personnes issues des écoles de commerce et de gestion (et proches des gens d’affaires).

Dans les décennies suivantes, cette nouvelle gestion publique revendiquée par les élites économiques s’est imposée par l’entremise d’une série de réformes qui ont progressivement éliminé les lieux de participation populaire au sein du réseau. En effet, les fusions d’établissements successives ont conduit à la suppression des centaines de conseils d’administration sur lesquels siégeaient les citoyen·ne·s. La création de l’agence Santé Québec, qui fera disparaître les 34 conseils d’administration qui subsistaient encore, est l’aboutissement ultime de ce processus.

Désormais, le système public de santé sera géré comme une entreprise par une poignée de gestionnaires issu·e·s du secteur privé, qui seront chapeauté·e·s par un seul conseil d’administration sans aucune imputabilité démocratique puisque la totalité de ses membres sera nommée directement par le gouvernement. Si on peut fortement douter de la capacité de cette nouvelle structure à réduire les lourdeurs bureaucratiques et à augmenter l’efficacité du réseau, on peut être certain·e qu’elle facilitera l’imposition de mesures et de décisions impopulaires.

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6 comments

  1. Parfaitement en accord avec votre analyse. Il y a urgence a faire passer le message aux partis politiques les plus progressistes et à divulguer le message de la façon la plus claire possible pour alerterr l’opinion publique.

  2. Merci pour cet article. Ça me surprend à chaque fois que nos « experts » gestionnaires à la tête du gouvernement soient si fermés, voire si aveugles à la nécessité de «descendre » à la base. Ça nous prend des gestionnaires de 1er niveau dans le réseau qui connaissent les problèmes sur le terrain, qui ont des compétences humaines, qui prennent le temps d’écouter, d’écouter et d’écouter les travailleurs sur le terrain qui savent mieux que la tête comment agir localement , avec efficacité et bienveillance sur les défis rencontrés, qui ont le bien-être de leur personnel à coeur, qui ont la confiance de la tête pour agir non pas toujours en fonction des règles, mais d’abord à partir de ce qui est reconnu largement dans un milieu comme étant la bonne pratique dans le contexte particulier. La tête est usée et dépassée. Un véritable changement dans le réseau va passer par le coeur.

  3. Peut-être que cette approche va permettre au gouvernement de gérer le système ambulancier correctement.
    Après tout, de payer 600,000,000$ par année pour ce service, devrait inclure un droit de regard.

  4. Le choix du mot AGENCE dit tout; Le commerce de la sante. Ideologie venant d une supposee science jamais reconnue comme tel. Croyance qui a impregne nos cerveaux.

  5. En gestion, la centralisation est utilisée lorsque des problèmes organisationnels sont découverts afin de les concentrer en un seul endroit afin de les régler plus aisément.

    Dans le cas d’un organisme gouvernemental, c’est plutôt la première étape qui vise à le privatiser.

  6. Ces articles sont essentielles à notre information surtout lorsque nous sommes directement concerné, aîné.e.s avec un handicap et une une maladie chronique.

    Mais comme une nouvelle n’attend pas l’autre, voici que l’on appends que le Ministre Dubé va faire la même erreur concernant la numérisation du système de santé en octroyant une contrat à une firme qui a fait ses frasques au Royaume Unis et au Danemark qui a mis cinq années à s’en remettre. Chercher l’erreur…

    En ce qui concerne les soins et le maintien à domicile, le bureaucratie y règne en roi et maître. On consacre semble t’il un temps fou à remplir de la paperasse, temps qui est enlevé au soins à domicile…

    Que se passe-t’il au Québec? Sommes nous devenu des cancres en efficacité au frais
    des contribuables?

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