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Le gouvernement doit embaucher 250 000 personnes maintenant

25 mars 2020

  • Guillaume Hébert

Le directeur de la santé publique Horacio Arruda l’a mentionné avant-hier : pour freiner la propagation du virus, le confinement doit s’accentuer et plutôt que d’aller à l’épicerie, il faudrait idéalement que les marchandises soient acheminées chez les gens, en particulier les personnes âgées et autres personnes à risque. Ce qui nous place devant la question suivante: qui accomplira tout ce travail?

On se retrouve ainsi face à deux exigences contradictoires :

  • D’une part, les gens doivent être de plus en plus confinés à la maison pour ralentir la propagation de la COVID-19
  • D’autre part, on a besoin de travailleurs et de travailleuses pour accomplir un nombre grandissant de tâches qui relèvent des services essentiels.

Comment faire ? L’IRIS propose un plan en trois temps pour vaincre la pandémie et poser les jalons d’une économie plus résiliente.

Garantir la sécurité au travail

Dans les cours de premiers soins, on apprend que la première étape avant d’aider une personne est de s’assurer d’être soi-même en sécurité. Il faut donc que les personnes qui descendent au front dans cet « effort de guerre » se sentent en sécurité afin qu’ils et elles puissent accomplir adéquatement leur mission. Il faut par ailleurs les protéger contre la menace bien réelle du surmenage.

En Europe, un pourcentage élevé des personnes infectées par le virus sont des travailleurs et des travailleuses de la santé. Par conséquent, non seulement il faut continuer à assurer la sécurité du personnel dans les services sanitaires, il faut aussi le faire pour les autres services essentiels comme le secteur de l’alimentation, où des épiceries ont d’ailleurs innové pour protéger leurs employé·e·s. Il va de soi qu’il faut aussi mettre en congé et en quarantaine les travailleurs et travailleuses infectés et qu’aucune personne âgée ne devrait travailler actuellement.

Embaucher 250 000 personnes

Soudainement, il n’y plus de pénurie de main-d’œuvre au Québec. Bien au contraire, le taux de chômage risque fort d’exploser comme jamais dans l’histoire.

Lors de son point de presse quotidien hier, le premier ministre se réjouissait des initiatives de bénévolat qui surgissent un peu partout au Québec. Il est vrai que cette volonté d’aider qui se manifeste aux quatre coins de la province fait au chaud au cœur.

Mais un gouvernement dans une crise aussi gigantesque que celle que connaît l’humanité actuellement ne doit pas se contenter d’applaudir les bénévoles : il doit mobiliser ses propres effectifs pour venir à bout des défis extraordinaires qui se présentent à nous.

L’IRIS propose au gouvernement de procéder à l’embauche immédiate de 250 000 personnes et de les mobiliser étape par étape. À ces embauches pourraient s’en ajouter d’autres en fonction de l’évolution de la crise sanitaire et économique. Le chiffre ne devrait pas faire peur au moment où plus d’un million de personnes ont probablement perdu temporairement leur emploi cette semaine. En outre, la nouvelle a fait peu de bruit, mais une seule entreprise, Walmart, a annoncé il y a quelques jours son intention d’embaucher 10 000 personnes au Canada afin de répondre à la forte croissance de la demande dans ses magasins.

Nous pourrions ainsi mettre à contribution ces personnes pour 1) accomplir des tâches essentielles pour combattre la crise, et 2) contribuer à la relance d’une économie plus résiliente à court, moyen et long terme. Le fait de procéder à ces embauches rapidement permettrait en outre de limiter fortement la hausse du chômage.

Que feront tous ces gens ?

  • Offrir du soutien au système de santé et de services sociaux, notamment les directions de la santé publique.
  • Mettre en place un immense réseau de services à domicile qui rendra possible le confinement à domicile des personnes.
  • Garantir l’approvisionnement en nourriture, en particulier pour les personnes âgées.
  • Soutenir les parents, en particulier les parents d’enfants à besoins particuliers.
  • Œuvrer de façon à renforcer la chaîne d’approvisionnement en aliments, ainsi qu’en médicaments, en produits pharmaceutiques et autres denrées et biens essentiels.
  • Solidifier et développer l’agriculture locale et biologique afin de réduire notre dépendance face aux producteurs étrangers et assurer la sécurité alimentaire du Québec.
  • Venir en aide aux personnes les plus vulnérables (les personnes itinérantes, les personnes immigrantes sans réseau, les personnes sans statut, etc.).
  • Rénover nos infrastructures pour façonner des communautés plus résilientes, notamment face aux épidémies qui surviendront dans le futur.
  • Diversifier l’économie régionale en soutenant de nouvelles industries qui répondent au besoin de l’époque, notamment en matière de transition écologique.

Toutes les personnes qui acceptent de joindre les rangs de ces « bataillons de la crise » recevront un salaire de 50 000$ – soit grosso modo le salaire moyen au Québec – pour 25 heures de travail par semaine. Le nombre d’heures de travail pourra être revu plus tard. Les personnes doivent être embauchées le plus rapidement possible afin qu’elles puissent compter sur un revenu et ainsi avoir les moyens de passer à travers de la crise..

Ces travailleuses et travailleurs pourront être mobilisé·e·s au fur et à mesure que les conditions l’exigent et le permettent (notamment en ce qui a trait à la sécurisation des milieux et des outils de travail). Ils pourront être affectés à l’endroit le plus pertinent en fonction de leur qualification et on peut commencer à en former certains sans attendre par visioconférence.

Est-ce que les gens pourront occuper si rapidement un nouvel emploi ?

Certainement, surtout s’il leur permet de se sentir utiles. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, les femmes ont été massivement recrutées dans les usines pour remplacer les hommes mobilisés par le conflit armé. Une crise peut être l’occasion d’adapter rapidement la sociologie du travail.

Le nombre d’heures devra être maintenu bas afin de favoriser l’embauche d’un plus grand nombre de travailleurs et de travailleuses et de familiariser la population en général avec une baisse du temps de travail. Cette réduction des heures hebdomadaires consacrées au travail permettra de lutter immédiatement contre deux autres fléaux de notre époque : les émissions de gaz à effet de serre et le stress de la vie quotidienne.

Coût de la mesure : 12,5 milliards de dollars par année. Pour 250 000 travailleuses et travailleurs en temps de crise sanitaire et économique, c’est une aubaine. Et si effectivement l’économie canadienne se dirige vers des pertes de « 40 à 60 milliards de dollars par mois », l’embauche massive est une solution plus facile à adopter et qui sera reçue favorablement par la population.

La sortie de crise de 2008 a surtout pris la forme d’un soutien aux entreprises privées à but lucratif, pour qui l’intérêt collectif et les bonnes conditions de travail sont des obstacles à la rentabilité des affaires. Pourquoi ne pas cette fois-ci favoriser la démocratisation de l’économie par l’élargissement des services publics et, éventuellement, le soutien aux coopératives et à l’économie sociale?

Les calculs réalisés actuellement sur l’impact économique de la crise ne valent pas grand-chose tellement les paramètres sont inédits. Il n’y a plus de bases solides pour faire des prévisions. En revanche, il y a des besoins à combler et c’est ce sur quoi le gouvernement doit se concentrer.

Une partie des dépenses sera absorbée par les paiements en impôt qu’effectueront ces salarié·e·s et par les taxes que paieront les entreprises qu’ils ou elles encourageront.

Maintenir ces effectifs à long terme

Toutes ces embauches et ces nouveaux services ne sont pas seulement des mesures exceptionnelles visant à sortir le Québec de la crise de la COVID-19. Ils doivent servir de fondements à la nouvelle « vie normale » qui nous attend. Rappelons-le, le virus dévastateur qui s’est propagé à travers le monde est le révélateur d’une situation déjà insoutenable qui se caractérisait par une crise climatique imminente, des inégalités indéfendables, une hausse des troubles de santé mentale et de l’usage des médicaments psychotropes, une perte de sens au travail, etc. Une situation d’autant plus insupportable qu’elle a servi de tremplin pour des mouvances politiques radicales ou extrémistes en croissance partout dans le monde. N’ayons pas la candeur d’idéaliser la société dans laquelle nous vivions avant la COVID-19…

Le retour à la normale n’est pas une option. Seule une société plus résiliente nous permettra à tous et toutes, ici et ailleurs, de satisfaire nos besoins de base, de retrouver la tranquillité d’esprit et les perspectives d’épanouissement personnel dans le respect du collectif.

Des embauches massives peuvent marquer le début de cette indispensable reconstruction socioéconomique.

Le premier ministre Legault a reçu des éloges jusqu’à maintenant pour sa gestion de la crise. L’essentiel de son approche consiste en une application raisonnable des mesures prônées par l’OMS, que d’autres pays n’ont pas suivies avec le même empressement. Nous pouvons nous en réjouir en ce qui a trait à la crise sanitaire.

Toutefois, la crise économique qui nous attend aura un impact durable encore plus grand sur notre vie quotidienne. C’est sur ce point que se démarqueront les gouvernements visionnaires réellement dédiés à l’intérêt collectif.

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