Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Nominations à Santé Québec : le privé à la tête du réseau public

24 mai 2024

Lecture

4min

  • Anne Plourde

Avec la nomination fin avril de Geneviève Biron à la tête de Santé Québec et celle des membres de son conseil d’administration cette semaine, on sait maintenant qui dirigera la nouvelle agence gouvernementale. À l’encontre de toutes les données qui démontrent les échecs répétés du privé en santé ainsi que le rôle actif joué par le milieu des affaires et la privatisation dans la détérioration des services publics, le ministre de la Santé, Christian Dubé, promettait il y a un an de recruter des « top guns » du privé pour les placer au sommet de la structure ultra-centralisée qui gouverne désormais le réseau. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a tenu sa promesse.

La nomination de Geneviève Biron comme PDG et celle de Christiane Germain comme présidente du conseil d’administration signifie que l’équipe de direction et le CA de Santé Québec seront tous les deux dirigés par des femmes d’affaires directement issues du privé : alors que la première était jusqu’en 2021 PDG de Biron Groupe Santé, une chaîne de laboratoires médicaux, la seconde est la coprésidente et cofondatrice de la chaîne hôtelière du Groupe Germain (et membre fondatrice de la CAQ!).

On peut s’inquiéter que Madame Germain, qui n’a aucune expérience en lien avec la santé ou les services publics et qui considère que « le patient, c’est un client », ait une pente abrupte à remonter pour comprendre que la gestion des hôpitaux n’a rien à voir avec celle des hôtels. En effet, les personnes qui se présentent dans un hôpital n’y vont ni par choix, ni par plaisir, et c’est pourquoi la gestion des services publics répond à une logique très différente de celle qui gouverne les services privés.

Madame Biron peut quant à elle se targuer d’avoir une expérience du domaine de la santé. Or, loin de rassurer, ses liens étroits avec l’industrie privée des soins suscitent des préoccupations quant aux risques de conflits d’intérêts posés par sa nomination à la tête du réseau public. Si le ministre Dubé a promis qu’un « mur de Chine » serait dressé entre le rôle public de la PDG et ses intérêts privés, il semble qu’il faudra multiplier les cloisons visibles de l’espace pour éviter les dérives au sein du conseil d’administration de l’agence.

En effet, y siégeront également Anna Chif, cofondatrice de Dialogue, et Hélène Chartier, vice-présidente pendant onze ans de Telus Santé. Ces deux entreprises sont des joueurs majeurs de l’industrie privée des soins virtuels, qui constitue l’un des vecteurs importants de la privatisation des services de santé au Québec et dans le reste du Canada. C’est d’ailleurs sous la pression de cette industrie, et notamment de l’entreprise Dialogue, que le gouvernement Legault a adopté en catimini, en décembre 2022, un décret qui ouvre grand la porte à la télémédecine privée et qui ébranle des piliers importants du réseau public.

La nomination de plusieurs spécialistes de la gestion des « systèmes organisationnels » et de la « gouvernance » (mot-clé par excellence de la nouvelle gestion publique), ainsi que de trois ingénieur·e·s de formation sur le CA de Santé Québec traduit également la vision gouvernementale du système de santé, soit une vision comptable et gestionnaire qui conçoit la santé et la maladie comme des problèmes mécaniques à résoudre par des moyens techniques et bureaucratiques, plutôt que comme des phénomènes politiques et sociaux complexes qui exigent des mobilisations démocratiques et citoyennes d’envergure.

Enfin, et presque accessoirement pourrait-on dire, le CA de Santé Québec comptera aussi cinq professionnel·le·s de la santé (deux médecins spécialistes, une infirmière, une pharmacienne et une bachelière en psychologie), et aucun·e représentant·e élu·e des citoyen·ne·s.

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

Commenter la publication

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Les renseignements collectés à travers ce formulaire sont nécessaires à l’IRIS pour traiter votre demande et y donner suite. Vous disposez d’un droit d’accès et de rectification à l’égard de vos renseignements personnels et vous pouvez retirer votre consentement à tout moment. En fournissant vos renseignements dans ce formulaire, vous reconnaissez avoir consulté notre Politique de protection des renseignements personnels et politique de confidentialité.

2 comments

  1. Dans la santé et l’éducation:
    – On sous-finance le public;
    – On affirme que le public va mal;
    – On appelle ensuite le privé au secours;
    – On donne au privé la gestion du public.
    Si ce n’est pas le démantèlement du tissus social, expliquez-moi!

    Quand le privé fait concurrence au public, il ne devrait avoir droit à aucune forme de support financier de l’état.

    Après tout, c’est carrément fou de financer celui qui vous concurrence, n’est-ce pas?

    En plus, nous avons tout plein d’institutions mal baptisées.
    – Un ministère de la santé qui, ne gérant que la maladie, devrait s’appeler ministère de la maladie;
    – Un ministère de la justice qui, ne distribuant que des punitions, devrait s’appeler ministère de la punition;
    – Un ministère de l’éducation qui, ne faisant qu’instruire, devrait s’appeler ministère de l’instruction;
    – L’assurance-emploi qui, ne gérant que quelques-uns des sans emplois, devrait s’appeler l’assurance chômage;
    – L’assurance-vie qui, ne gérant que les décès, devrait s’appeler l’assurance décès;
    – La démocratie qui, ne menant l’état que via des individus non-imputables, devrait s’appeler le totalitarisme;
    etc.

    Nous vivons dans un monde de Babel ou tout est construit afin de diviser pour régner.

    Il est malheureusement évident que la Vérité n’a plus droit de séjour chez nous en commençant avec nombre de tractations douteuses entourant la rédaction et la proclamation de l’AANB jusqu’à son rapatriement lourdement imbibé de honte 115 ans plus tard, sans oublier toutes les iniquités qui se produisent encore de nos jours.