Projet de loi 69: s’inspirer d’un échec pour réformer la politique énergétique du Québec
2 octobre 2024
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Le projet de loi 69 fait l’objet ces jours-ci d’une étude en commission parlementaire. Parmi les réformes envisagées, on compte la possibilité pour des producteurs privés d’électricité de vendre par eux-mêmes leur énergie à des tiers, brisant ainsi le monopole d’Hydro-Québec sur la distribution d’électricité. Les modifications législatives du PL69 visent à faire une plus grande place au secteur privé dans la production et la distribution d’électricité au Québec. Au Royaume-Uni, une réforme du secteur de l’énergie est également en cours qui emprunte une avenue en tout point inverse : la dé-privatisation de l’énergie.
Le retournement britannique
Les modèles politiques et économiques d’encadrement de l’électricité au Royaume-Uni et au Québec sont aux antipodes. Alors que les infrastructures de production et de distribution d’électricité sont majoritairement de propriété publique au Québec, leur pendant britannique est aujourd’hui presque totalement sous contrôle privé. C’est à partir des années 1980 et sous l’impulsion du gouvernement de Margaret Thatcher que les infrastructures électrique et gazière du pays ont été graduellement vendues à des entreprises privées. Avant cette victoire de l’idéologie néolibérale, les équipements de production et de distribution d’électricité étaient sous contrôle public depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, suite à la politique économique de nationalisation du gouvernement travailliste.
Ces jours-ci, le gouvernement du Labour Party met en œuvre une politique introduite par le gouvernement conservateur qui l’a précédé et qui prévoit le rachat public de l’opérateur national de distribution d’électricité pour une somme de 1 milliard $. Bien que la majorité des infrastructures de production et de distribution demeure la propriété d’entreprises privées, il semble que tant le gouvernement conservateur que l’actuelle administration travailliste aient décidé d’entamer une rupture avec le legs néolibéral du thatchérisme.
La justification de ce retournement repose sur l’exigence de la transition énergétique et de décarbonation de la société britannique. Le gouvernement anglais estime que ce défi ne peut être relevé que par une instance publique de planification de l’énergie et que la multitude d’entités privées fait obstacle à la planification de la décarbonation.
Le retournement québécois
Il existe déjà un secteur privé de l’électricité au Québec, où environ 17% de l’électricité produite est de source privée. Avec le PL69, un pas supplémentaire serait franchi en brisant le monopole de distribution de l’électricité détenu par Hydro-Québec. Les deux schémas suivants illustrent les changements envisagés, synonymes de libéralisation du commerce de l’électricité par le développement d’un marché de gré à gré. Le premier schéma montre le modèle actuel, tandis que le second présente le modèle proposé par le PL69.
Cette possibilité pour des entités privées de faire le commerce de l’électricité de manière autonome risque d’aboutir au même nœud que rencontre le Royaume-Uni et que le gouvernement anglais vise justement à surmonter: une multiplication des acteurs privés qui nuit à l’allocation planifiée d’électricité en vue d’une décarbonation de l’économie.
Le gouvernement de la CAQ n’a visiblement que faire des conséquences négatives qu’aura la multiplication d’acteurs privés sur la décarbonation de la société. Dans son mémoire publié sur le sujet, l’IRIS montrait que la réforme actuelle prend prétexte de la transition énergétique pour développer une politique industrielle qui augmentera la consommation d’électricité sans diminuer pour autant la consommation d’énergies fossiles. Ainsi, tout indique que l’objectif du gouvernement est moins de décarboner le Québec que de stimuler un certain développement économique délesté de toute ambition environnementale.
Entreprises privées et énergie font-elles bon ménage?
Cela étant dit, le gouvernement de la CAQ n’a même pas besoin de regarder du côté du Royaume-Uni pour réaliser que le PL69 et son projet de libéralisation n’est pas une avenue porteuse. Il pourrait simplement constater que la plus grave crise de l’histoire des sociétés humaines est en bonne partie le résultat de grandes entreprises privées de l’énergie à qui a été confié le soin de produire et de distribuer de l’énergie, principalement fossile, sans égard aux conséquences écologiques désastreuses.
Le développement des bien mal nommées « énergies renouvelables », qui dépend tout de même de ressources rares et écologiquement destructrices, doit être affranchi de la logique de profitabilité et orienté vers une diminution de la consommation d’énergie. Pour ce faire, une première condition est de préserver et renforcer le caractère public de l’énergie, soit la conclusion à laquelle parvient le gouvernement britannique depuis quelques années.
4 comments
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Pour le gouvernement de comptables qu’est celui de M. Legault, la solution aux problématiques de la société Québécoise passe par l’entreprise privée. Santé, énergies renouvelables, et même l’éducation sont des domaines de prédilection pour le recours au privée. Sincèrement il faut faire contrepoids à cette vague de lubies et je suis d’avis qu’il y a un besoin important d’informer davantage la population sur ces enjeux et la pertinence de laisser au publique la planification et l’organisation de ces secteurs d’activités. Merci à IRIS pour son travail de recherche et de diffusion de la connaissance.
Merci à l iris pour cette publication clairvoyante,la population devrait prendre connaissance de ce e la caq continue ….i.e. la maltraitance qui en résulte
Oui un gros merci à L’Actualité pour cette information. Nous avons un grand besoin d’informer le public sur cette façon de toujours vouloir à privatiser. Cette façon de vouloir privatiser nous vient des capitalistes. J’ai lu «Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé: histoire critique des CLSC et du système sociosanitaire québécois. 1921 Montréal.» par Anne Plourde, chez Écosociété.
Plusieurs de nos gouvernants ont un esprit de capitaliste qui ne pensent qu’à thésauriser au détriment de la plébe.
Le gouvernement caquiste a puisé son inspiration en Grande-Bretagne à quelques reprises, et pas toujours de façon heureuse. Souhaitons que cette fois il prenne les leçons qui s’imposent des séquelles de l’ère Thatcher! Merci pour cet article éclairant.