Paris 2015 : les engagements des pays permettront-ils de stabiliser le climat?
28 juillet 2015
Pendant que plusieurs gouvernements occidentaux mettent en œuvre des programmes d’austérité et n’ont d’yeux que pour l’équilibre des finances publiques, un autre type de budget est négligé : le budget carbone.
Alors que les États ont commencé à soumettre leurs engagements en vue de la Conférence de décembre 2015 de Paris sur le climat, il est intéressant d’examiner si l’on peut espérer que les cibles proposées permettront de respecter le seuil de réchauffement généralement considéré comme sécuritaire, soit 2°C. Dans un article publié la semaine dernière dans la revue Environmental Research Letters, mon collègue Damon Matthews de l’Université Concordia et moi-même présentons une méthode simple pour évaluer si les engagements climatiques des différents pays à la hauteur. L’article est inspiré d’une étude de l’IRIS publiée il y a quelques années sur le premier budget carbone du Québec.
Le budget carbone global : 1 000 gigatonnes de CO2
D’abord, il faut connaître le budget carbone global. Dans le dernier rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), on apprenait que l’humanité dispose d’un espace atmosphérique fini évalué à 1 000 gigatonnes de CO2. Cela inclut nos émissions de gaz à effet de serre (GES) à partir d’aujourd’hui et pour toujours. Si nous parvenons à réduire à zéro nos émissions nettes de GES sans dépasser ce budget carbone, nous aurons une chance « raisonnable » (environ 66 %) de limiter le réchauffement climatique à 2°C.
Notons à cet égard que selon des recherches récentes, même une augmentation de 2°C pourrait se révéler « très dangereuse » et pourrait provoquer une hausse du niveau des mers de « quelques mètres » au cours du 21e siècle, laissant la plupart des villes côtières du monde inhabitables. Ainsi, s’en tenir à une limite d’émissions de 1 000 Gt est primordial pour espérer demeurer à l’intérieur de la limite climatique sécuritaire.
Comment partager équitablement la « tarte carbone » entre les pays?
Lors des Conférences climatiques précédentes, comme à Copenhague, Doha et Lima, les pays développés et les pays en développement se sont tour à tour relancé la balle, s’accusant les uns les autres de ne pas en faire assez.
D’une part, il faut reconnaître que les émissions par habitant varient grandement d’un pays à l’autre. Par exemple, en 2013, l’Américain ou le Canadien moyen a émis environ 15 tonnes de CO2, tandis que l’Indien ou le Brésilien moyen en a émis seulement 3 tonnes. Si l’on reconnaît une égale importance intrinsèque à chaque personne humaine, telle que le reconnaît la Déclaration universelle des droits de l’Homme, alors chaque personne devrait avoir un accès égal à un niveau de vie décent. Ainsi, pour un budget carbone fixe, il est injuste que les habitant·e·s des pays industrialisés continuent à accaparer une portion disproportionnée de la « tarte carbone », empêchant celles et ceux des pays en développement de parvenir à combler leurs besoins fondamentaux.
D’autre part, il est irréaliste de penser que les pays développés puissent atteindre la moyenne mondiale d’émissions par habitant·e (5 t CO2/personne) demain matin. Nous prenons donc en compte une période raisonnable de convergence des émissions de GES par habitant (par ex. d’ici 2035).
Source : Gignac et Matthews 2015.
En multipliant ces trajectoires d’émissions par la population de chaque pays, nous pouvons déterminer précisément quelle portion de la « tarte carbone » de 1 000 Gt chaque pays peut légitimement revendiquer dans le cadre des négociations de Paris.
Source : Gignac et Matthews 2015.
Les cibles de réduction sont-elles suffisantes?
Ces résultats impliquent que la plupart des pays en développement, comme l’Inde et plusieurs pays du continent africain, pourraient augmenter leurs émissions de plus de 100% d’ici 2030. Malgré tout, des pays comme le Kenya et l’Éthiopie ont soumis des objectifs de réductions, lesquels se calculent toutefois à partir d’une trajectoire théorique d’émissions « business-as-usual ». Cela pourrait donc équivaloir à des augmentations des émissions absolues, ce qui est légitime.
En contrepartie, la plupart des pays développés devraient réduire leurs émissions d’au moins 70% d’ici 2030, par rapport au niveau de 1990. Pour sa part, le Canada s’est engagé à des réductions de 30% d’ici 2030, par rapport au niveau de 2005. Par rapport au niveau de 1990, cela correspond à une réduction d’à peine 12%. Parmi les pays développés, seule la France a adopté une cible qui s’approche de son budget carbone national (40% d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990). Il existe donc un clivage important entre les engagements actuels des pays développés et ce qui est nécessaire pour s’assurer un climat stable. Les populations devront donc continuer de faire pression sur leurs élu·e·s d’ici décembre pour que des engagements plus ambitieux soient pris – et tenus.
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