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On ne s’est pas endetté en faisant l’épicerie

6 juin 2016

  • Eve-Lyne Couturier

Est-ce que le Québec vit au-dessus de ses moyens? A-t-on plus de programmes sociaux que ce que l’on peut se permettre? Devrait-on jeter la serviette du filet social et écouter les sirènes de l’austérité? Même si ça permet de générer des beaux compteurs que d’être alarmiste sur la dette publique, la réalité est toute autre. La dernière étude de l’IRIS permet d’identifier les réelles causes de notre endettement collectif.

D’abord, il faut souligner le travail exceptionnel de Raphaël Langevin et de Josué Desbiens, les auteurs de l’étude. À travers un minutieux travail qui s’est échelonné sur trois ans, ils sont parvenus à faire concorder des séries de données sur la dette sur plus de quatre décennies. Le défi n’était pas simple. Non seulement les différents organismes qui recensent l’information ne le font pas de la même manière mais, en plus, elles mettent en place régulièrement des réformes comptables qui rendent difficile la comparaison des périodes entre elles. Qu’à cela ne tienne, nous avons maintenant une série cohérente, et nous l’avons examinée attentivement.

Qu’est-ce qui en ressort? D’abord, que ce ne sont pas les fameuses dépenses « d’épicerie » qui expliquent notre endettement. Nos dépenses courantes ont surtout augmenté entre 1961 et 1981, pendant que le Québec créait ses programmes sociaux, mettait en place ses institutions publiques. La dette a bel et bien connu une croissance pendant cette période, mais bien moins importante que dans les années qui ont suivi. Alors que les dépenses dites « d’épicerie » ont légèrement diminué entre 1981 et 2001, la dette, elle, a augmenté de vingt points de pourcentage.

Si ce n’est pas l’épicerie, alors c’est quoi? Pour le savoir, nous nous sommes appliqués à élaborer différents scénarios. Qu’est-ce qui se serait passé si la Banque du Canada n’avait pas choisi de réagir à la crise de 1982 en augmentant drastiquement les taux d’intérêt? Est-ce que nous serions dans la même situation si la contribution fiscale des particuliers et des entreprises était restée au même niveau par rapport au PIB? La réponse est fascinante. Il n’aurait fallu qu’agir différemment sur ces deux points pour que le Québec se retrouve aujourd’hui en situation de surplus. Et si c’était le cas, si nous avions réussi à nous dégager toute cette marge de manœuvre, parions que notre réseau de CPE, nos écoles publiques et nos CHSLD n’auraient pas besoin de manifester et de se mobiliser autant pour réclamer les moyens dont ils ont besoin.

Rappelons toutefois que cette dette qu’on utilise à tort et à travers comme un épouvantail pour nous faire accepter les pires sacrifices et la lente destruction de nos institutions n’est pas « hors de contrôle ». Bien sûr, les deux éléments cités ci-dessus ont fait augmenter la dette à certaines périodes, mais la situation se stabilise rapidement chaque fois. Ce qui est plus inquiétant, toutefois, c’est de voir l’incapacité du gouvernement du Québec à apprendre de ses erreurs. Si la Banque du Canada cherche maintenant à contrôler la monnaie en réduisant plutôt qu’en augmentant les taux d’intérêt, le Québec continue de prétendre que ses réformes fiscales néolibérales sont des solutions à l’endettement public et à la stagnation économique, même si l’histoire (tout comme les institutions économiques internationales) suggère le contraire. C’est à se demander si ceux et celles qui nous gouvernent apprendront un jour que c’est en réduisant les inégalités et en investissant dans la qualité de vie des gens qu’on réussira véritablement à s’en sortir collectivement…

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