Les technologies « propres » au service de la relance d’un capitalisme « vert »
8 septembre 2021
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L’environnement s’est imposé comme un sujet prioritaire de la présente campagne électorale fédérale. Alors que le prochain gouvernement aura pour tâche de planifier la relance économique pour se relever du choc de la COVID-19, le discours entourant la création d’emplois verts est populaire.
L’idée de développer le secteur des technologies propres est défendue par tous les principaux partis et apparaît dans leurs plans de lutte et d’adaptation aux changements climatiques. Que ce soit pour assurer un leadership international dans le domaine, pour développer des technologies de capture et de stockage de carbone ou pour électrifier les transports, les emplois verts ont la cote. Considérant la radicalité nécessaire des changements à entreprendre pour éviter les dangers d’un réchauffement planétaire de plus de 1,5°C, réitéré par le récent rapport du GIEC, et les critiques associées aux technologies propres, est-il judicieux de diriger massivement des fonds publics vers ce secteur ?
Émergence et expansion du secteur des technologies propres
Les technologies propres, communément nommées cleantech en anglais, émergent des cercles d’investissements au début des années 2000 pour devenir rapidement reconnues comme un secteur économique à part entière. Le développement de ce secteur est récent au Canada et en pleine croissance, particulièrement dans la région du Grand Montréal. Dans le cadre de la campagne électorale, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain a par exemple affirmé que l’adoption des technologies propres par les entreprises de tous les secteurs devrait être au cœur de la relance.
Le gouvernement du Québec définit les technologies propres, dans le Plan d’action pour la croissance et les technologies propres 2018-2023, comme des « produits, services et procédés servant à mesurer, à prévenir, à limiter, à réduire ou à corriger les atteintes à l’environnement, y compris ceux permettant d’économiser les ressources ou portant moins atteinte à l’environnement que leur contrepartie dans le marché ».
En 2019, le PIB canadien généré par le secteur a augmenté deux fois plus rapidement que l’ensemble de l’économie canadienne et, en 2021, le Canada arrive au 2e rang mondial de l’index Global Cleantech Innovation de l’organisme international Cleantech Group, qui classe les pays selon la présence d’entreprises susceptibles d’avoir un impact significatif sur le marché des technologies propres au cours des 5 à 10 prochaines années. D’après celui-ci, les emplois en technologies propres devraient croître de près de 50% d’ici 2030 et puisque l’industrie est principalement orientée vers l’exportation, le Canada pourrait devenir un joueur important dans le domaine. Environ 30,5% du PIB généré par le secteur des produits environnementaux et des technologies propres au Canada provient de la grappe industrielle québécoise, représentée par Écotech Québec.
Selon la Ville de Montréal, les technologies propres forment une grappe industrielle qui employait plus de 15 300 personnes en 2018, ce qui représentait 60% des emplois en énergies propres de la province. Le secteur comprend les industries de la chimie verte, de l’efficacité énergétique, de l’énergie renouvelable, de l’écomobilité, de la gestion des matières résiduelles, de la gestion de l’eau, de la réhabilitation des sites contaminés, du traitement de l’air et d’autres.
Intensives en matériaux, le bilan de ces technologie se salit
Dans un rapport de 2017, la Banque mondiale explique que les technologies propres nécessitent plus de métaux que les systèmes actuels utilisant les combustibles fossiles, ce qui pourrait possiblement empêcher les pays qui les produisent d’atteindre leurs objectifs en matière de lutte aux changements climatiques. Le bilan social des technologies propres n’est pas non plus sans tache puisqu’elles reposent largement sur l’extraction et le traitement conventionnel de matières premières, des activités où le non-respect des droits de la personne a été largement documenté.
L’ONG internationale Business & Human Rights Resource Center rapportait en 2019 que des allégations de meurtres, de menaces et d’intimidation, d’expropriation de terres, de conditions de travail dangereuses, de salaires sous le seuil de la pauvreté, d’atteinte à la vie et aux moyens de subsistance des populations autochtones, sont fréquemment associées aux projets d’énergie renouvelable. Dans certains cas, l’extraction des métaux essentiels à ces technologies est même en cause dans la diminution de l’accessibilité à l’eau pour les communautés locales, l’augmentation des maladies liées à l’exploitation minière, l’exploitation d’enfants, la corruption et les abus perpétrés envers les peuples autochtones. Plaider en faveur du développement massif de ce secteur sans se préoccuper de ses graves impacts sociaux revient en somme à dissocier l’action climatique de la justice sociale.
Au-delà des technologies propres
Bien que les technologies aient leur rôle à jouer dans la décarbonisation de l’économie, l’idée qu’elles nous sauveront du désastre écologique est donc à nuancer.
Les technologies propres sont au cœur du discours prônant l’avènement d’un capitalisme vert. Cette approche repose sur l’idée que les mécanismes du libre marché peuvent assurer le développement de technologies capables de ralentir le réchauffement global ou utiles pour l’adaptation aux changements climatiques. Pourtant, jusqu’ici, la décarbonisation s’effectue à un rythme qui ne permettra pas d’atteindre les seuils critiques de réduction de gaz à effet de serre d’ici 2030.
Bien que, comme le confirme Our World in Data, les énergies renouvelables soient maintenant moins chères que les énergies fossiles, le gaz, le charbon et le pétrole représentent toujours la majorité écrasante de la production mondiale d’énergie en 2019, soit 79%. Ainsi, ces nouvelles technologies ne font que s’additionner à l’industrie fossile plutôt que de la remplacer. Leur utilisation ne semble donc pas pour l’instant en mesure d’ébranler le statu quo.
Par ailleurs, les entreprises rendues plus « vertes » par l’utilisation des technologies propres et celles ayant la propriété intellectuelle sur ces innovations restent ancrées dans une logique de croissance infinie et d’accumulation des profits qui exacerbe les inégalités sociales. Rappelons que le 1% le plus riche au Canada s’est approprié 37% de la croissance économique des 30 dernières années d’après une étude de l’OCDE datant de 2014.
Espérer renverser la tendance climatique en cours grâce à une économie « verdie » par la technologie revient en somme à utiliser la cause du problème comme solution. Dès lors, réaliser des investissements publics dans les technologies propres ne semble pertinent que si l’on remet en cause de manière radicale le modèle économique capitaliste reposant sur l’extraction des ressources naturelles et l’exploitation des travailleurs.