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Les priorités de l’austérité

8 mai 2015

  • Eve-Lyne Couturier

Le ministre Barrette est heureux de nous annoncer qu’il y aura plus (plus, plus, toujours plus!) d’argent qui sera économisé grâce à ses réformes du système de santé. Les cadres fuient, les médecins aussi? Plus d’économies! Au-delà du fait qu’il est légitime de se demander si c’est rassurant qu’un ministre de la santé se félicite d’abord et avant tout des économies qu’il peut faire, cette déclaration nous ramène encore à l’obsession budgétaire du gouvernement.

Faire mieux? Que nenni. Il faut faire cheap. Et au final, pourquoi? On nous répète sans arrêt que c’est pour l’avenir de nos enfants. La carte de crédit gouvernementale est pleine et les huissiers internationaux menacent de nous exproprier de la transcanadienne. Mais ils vont aussi plus loin: il n’y a rien de plus séduisant pour un investisseur qu’un budget balancé. Au diable le taux de chômage, les inégalités, les statistiques des banques alimentaires, tout ce qu’on veut, c’est un déficit zéro.

La théorie veut que la rigueur budgétaire amène la population à retrouver confiance dans l’économie, et donc à dépenser plus. C’est ce qu’on appelle l’austérité « expansionniste » D’une part, on devrait être rassuré devant un gouvernement « responsable » qui prend de « bonnes décisions » pour l’avenir (entendre, couper maintenant pour ne pas avoir les moyens plus tard de réinvestir). On compare alors au budget personnel et on est d’accord: il faut vivre selon ses moyens (et un peu moins) si on veut, une fois à la retraite, pouvoir réaliser ces grands rêves qu’on caresse toute notre vie active. Selon cette façon de voir les choses, les dépenses publiques importantes paralysent l’économie. Ceux et celles qui en ont les moyens deviennent alors angoissés par rapport à l’avenir puisqu’ilsimaginent que les déficits d’aujourd’hui se traduiront en augmentation de taxes et d’impôt de demain. Ainsi, alors que le gouvernement choisit d’investir dans l’économie pour la dynamiser, les capitaux s’empilent dans les coffres des banques (et des paradis fiscaux…) pour se préparer à une catastrophe fiscale « inévitable ».

Prenons un moment pour réfléchir à tout ça…

Y a-t-il quelque chose de plus encourageant pour l’avenir que de voir le budget des écoles se réduire comme peau de chagrin, le nombre de bains offerts aux personnes âgées vivant en résidence se limiter à un par semaine ou les subventions pour les toxicomanes qui veulent aller en cure de désintoxications se faire abolir? Étrangement, la psychologie a tendance à nous démontrer le contraire. Qu’est-ce qui fait qu’on dépense plus? Est-ce un bonus inespéré? Ou alors le fait que nos voisins qui gagnent un revenu similaire au nôtre viennent de s’acheter une nouvelle voiture et préparent un voyage de 2 mois en Italie? Si le trickle down economics (donnez aux riches et tout le monde en bénéficiera!) ne s’est pas avéré, le trickle down consumption (faites consommer une partie de la population et les autres suivront le pas!) est bien vivant. Et voir le gouvernement couper partout risque de nous faire économiser pour payer les tarifs toujours plus nombreux et toujours plus chers qu’on voit poindre à l’horizon de l’austérité plutôt que de nous encourager à dépenser ici et maintenant. Du côté des entreprises privées, la volonté d’investir ou de créerde l’emploi est beaucoup plus liée à la demande (faible quand les gens ne consomment pas) qu’aux mesures austères d’un État. Selon Paul Krugman, les entreprises privées sont beaucoup plus intéressées par l’austérité pour sa capacité à réduire la taille du secteur public puis de réduire sa capacité à négocier. Bref, à donner le gros bout du bâton au privé. Une question de confiance? Non, juste de pouvoir.

Bref, viser l’équilibre budgétaire, c’est un beau slogan, mais ce n’est pas ça qui permet une saine gestion de nos finances publiques. À force de se faire répéter le mantra qu’on vit au-dessus de nos moyens, on se retrouve avec une économie qui n’allait pas si mal après la crise, qui traîne maintenant de la patte avec la reprise et où l’amélioration de la santé publique ne serait qu’un effet collatéral et secondaire des réformes de la santé. Que ce soit en éducation, en soutien aux plus pauvres ou aux services pour les aîné·e·s, la logique demeure la même : économisons d’abord, assurons-nous ensuite que nous n’avons pas fait trop de dégâts. Vraiment, on vit une belle époque.

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