Les femmes, les femmes, c’est pas une raison pour se faire mal!
20 octobre 2014
Je vais être honnête avec vous. Parler de tâches domestiques et de leur répartition ne me semblait pas être le sujet le plus intéressant au monde. Je me disais, avant et même pendant la rédaction de la note que tout le monde savait déjà que les femmes en font plus, alors pourquoi encore publier là-dessus? Reste que c’est un thème toujours d’actualité, que de mettre ensemble plein de sources sur le sujet peut être utile, et que de lancer une réflexion sur la sous-traitance genrée demeure pertinent. Que je me disais. Avant la sortie. Puis il y a eu la sortie. Et, toujours honnête avec vous, je ne m’attendais pas au flot de réactions que cette note a pu provoquer.
Tout d’un coup, cette note qui abordait pourtant un sujet classique, avec un angle classique, cette note qui reprenait des rapports de l’Institut de la statistique du Québec, de Statistique Canada et de l’OCDE, cette note toute simple qui ne devait être un pavé dans aucune mare a soulevé les passions. Tout d’un coup, l’heure et demie de plus par jour qu’une femme passe en moyenne à réaliser des tâches domestiques était un complot féministe. Tout d’un coup, on appelait à l’androgynisation des hommes (si, si). Tout d’un coup, on s’immisçait dans les couples avec une discipline militaire pour réguler les tâches et les efforts nécessaires pour les accomplir. J’ai même lu qu’on cherchait à augmenter le nombre de divorces et de couples brisés afin de pouvoir trouver de nouvelles conquêtes (…).
Revenons un peu en arrière. Que disait cette note si perturbante? Pour aller à l’essentiel et résumer grossièrement, disons : trois choses.
D’abord, qu’il y a un construit social qui prétend que la femme est plus domestique, par nature, que l’homme. Faire le ménage serait dans nos gènes à cause d’une maternité vocationnelle qui nous aurait, de tout temps, occupé à temps plein à gérer notre cocon. C’est ici qu’on lamine toute une histoire de femmes dans les champs ou dans les ateliers. Ensuite, que le partage des tâches ménagères est à l’avantage des hommes, et ce, dans tous les pays étudiés, et dans tous les cas de figure au Québec (à l’exception du couple où la femme travaille à temps plein et l’homme reste à la maison). Enfin, que la définition du travail domestique devrait peut-être être revue pour prendre en considération des tâches de logistique et de soutien psychologique qui sont aussi un travail, et pas toujours celui qu’on a envie de faire.
Scandaleux, n’est-ce pas?
Précisions, parce que ça semble nécessaire à voir les chroniques qui ont été écrites, les commentaires qui ont été partagés, les débats qui ont été suscités… Jamais il n’a été écrit ou même sous-entendu que les hommes ne faisaient rien. Ils en font moins. Voilà tout. Oui, tondre le gazon, pelleter, changer les pneus et refaire la toiture entrent dans le travail domestique qui comprend non seulement le ménage et la préparation des repas, mais également l’entretien intérieur et extérieur de la maison. Oui, je sais. Vous avez mis des heures sans compter dans la nouvelle salle de bain. Elle est très belle d’ailleurs, bravo. Mais, malheureusement, ce concentré d’heures ne compense pas pour le travail de madame qui est, généralement, quotidien plutôt que ponctuel. Oui, bien entendu. Moi aussi j’adore préparer un bon repas pour ceux que j’aime. Mais c’est du travail quand même. Si je ne le faisais pas, faudrait aller au restaurant, ou payer un traiteur. Quand même étonnant, n’est-ce pas, qu’on encourage les gens à avoir un travail rémunéré qu’ils aiment, mieux encore s’il est bien payé, puis qu’on disqualifie toutes tâches ménagères plaisantes du travail domestique parce qu’on a osé aimer ça? Et, on va se le dire, il est bien plus amusant de faire des jarrets d’agneaux confit au gras de canard pour célébrer la réussite d’un bon ami que d’essayer tant bien que mal de trouver la recette magique qui fera avaler aux plus jeunes leur dose de légumes tout en restant appétissante pour les plus vieux. À tous les jours.
Non, je vous rassure. Je ne juge aucunement votre répartition des tâches. Je suis même très heureuse de savoir que ça vous convient. Toutefois, il faut admettre qu’il y a quelque chose d’un peu perturbant à savoir qu’une femme qui travaille à temps plein fait, en moyenne, plus d’heures de travail domestique si son conjoint reste à la maison que s’il travaille aussi à temps plein, non? Déstabilisant aussi de voir qu’un homme qui reste à la maison fait à peine plus de tâches ménagères qu’une femme dans un couple où les deux travaillent à temps plein. J’irais même jusqu’à dire que c’est choquant que votre vie heureuse vous dispense de regarder un peu plus loin, de vous demander si votre choix personnel n’est pas une contrainte dans d’autres familles, de voir que notre société possède encore des biais qui encourage cet état des choses. Est-ce si surprenant qu’une réalité qui pourrait sembler être de nature personnelle et individuelle pourrait en fait être un enjeu de société, une réalité structurelle qui demande à ce qu’on remette en question certains programmes, attitudes, façons de faire? Est-ce si terrible de vous dire que votre vie rêvée n’est peut-être pas si parfaite? Que votre choix s’est peut-être un peu imposé par la force des choses, même si vous l’aimez?
En fait, c’est surtout révélateur qu’une note qui ne nomme personne, qui n’accuse personne, qui ne fait que rappeler qu’il y a un déséquilibre persistant dans la répartition des tâches domestiques mettent autant de personnes, hommes et femmes, commentateurs anonymes et personnalités publiques, sur la défensive. Est-ce si épeurant que de se demander si les choses pourraient être mieux? Je pensais avoir écrit une note un peu ennuyante sur un sujet connu, mais, en fait, force est d’admettre que les questions féministes restent des champs de bataille où le statu quo a la peau dure.