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Les belles histoires du pays d’en haut

15 juillet 2020

  • NP
    Normand Pépin

L’entrée en vigueur, le 1er juillet, de l’Accord Canada – États-Unis – Mexique (ACÉUM) suscite relativement peu de réactions dans les médias, la plupart positives, presque avec des lunettes roses. Un bel exemple en est la lettre ouverte des professeurs Jean-Frédéric Morin et Richard Ouellet, publiée le 2 juillet dans Le Devoir. Les deux auteurs s’évertuent à donner le beau rôle au gouvernement canadien, comme si ce dernier avait réussi à tromper l’administration Trump avec un traité bien plus favorable au Canada qu’il n’y paraît. Ce point de vue, aussi défendable qu’il soit, ne repose que sur une perspective partielle, celle de la concurrence entre les pays.

Des erreurs de perspectives

La première est de prendre les fanfaronnades de Donald Trump pour autre chose que du marketing politique. Ainsi, « le pire accord commercial jamais conclu » (l’ALÉNA), qu’il n’a pas négocié, ne peut devenir que son inverse quand il est aux commandes, soit « l’accord commercial le plus étendu, équitable, équilibré et moderne jamais conclu de l’histoire » (l’ACÉUM).

De même, décrire Trump comme un protectionniste est une erreur. C’est vrai qu’il n’hésite pas à imposer des tarifs prohibitifs sur différentes importations, mais il le fait dans le but d’obtenir un meilleur rapport de force dans les négociations d’un accord de libre-échange, pas d’un accord protectionniste. D’ailleurs, les auteurs sont les premiers à reconnaître que l’ACÉUM s’inscrit dans la continuité de l’ALÉNA. Or ils continuent à parler du « penchant protectionniste » de Trump sans voir que c’est un penchant temporaire, une arme pour lui dans la négociation et non une posture idéologique et économique solidement ancrée.

Une autre erreur est de considérer que ce sont des pays tout entiers qui s’affrontent lors des négociations de l’ACÉUM comme de tout autre traité. Ce sont plutôt des traités négociés en consultation avec les lobbyistes des entreprises transnationales qui, sans surprise, favorisent ces mêmes entreprises au détriment du reste de la population.

Si l’absence dans l’ACÉUM du chapitre sur la protection des investissements étrangers, que l’on retrouve depuis la signature de l’ALÉNA dans les accords de libre-échange, est une bonne nouvelle, elle est vite chassée par l’apparition d’un nouveau chapitre, celui sur les bonnes pratiques de réglementation (chapitre 28). Il est d’ailleurs surprenant que les deux savants professeurs n’en fassent même pas mention, eux qui disent du mécanisme permettant aux investisseurs étrangers de poursuivre des gouvernements « qu’il décourageait les initiatives réglementaires, notamment en santé publique et en environnement ». Ils n’ont de toute évidence pas poussé leur lecture de l’ACÉUM à fond parce que c’est précisément le but du chapitre sur les bonnes pratiques de réglementation. Malgré son nom, ce chapitre vise à rendre si compliquée la réglementation qu’il paralysera l’action des gouvernements et que la seule option sensée qui leur restera sera de déréglementer.

En effet, s’il est reconnu que ces bonnes pratiques de réglementation peuvent aider un pays à réaliser ses objectifs de politique publique, y compris en matière de santé, de sécurité et de protection de l’environnement, elles doivent d’abord faciliter le commerce et l’investissement internationaux et favoriser la croissance économique. En cas de conflit entre ces deux types d’objectifs, l’histoire du libre-échange nous indique que les seconds auront préséance.

Chacun des trois gouvernements doit aussi rendre publique chaque année la liste des réglementations qu’ils envisagent d’implanter dans l’année qui suit. De plus, ils doivent justifier le besoin d’une nouvelle réglementation et rendre publiques toutes les études scientifiques et toutes les données consultées. Tout cela représente un fardeau administratif considérable.

Si les gouvernements optent pour une étude d’impact de la nouvelle réglementation, ce qui est fortement recommandé, celle-ci doit comporter une explication de la nécessité de la nouvelle réglementation, de même que du problème qu’elle est censée régler, une liste de toutes les solutions réglementaires et non réglementaires qu’il aurait été possible d’appliquer, une analyse coûts/bénéfices de chacun de ces scénarios alternatifs et les raisons pour lesquelles la réglementation proposée a été retenue par rapport aux autres.

Enfin, dernière erreur et non la moindre : considérer l’ACÉUM comme un accord progressiste. C’est ce que dit la rhétorique du gouvernement canadien, or, pas grand-chose ne permet d’étayer l’affirmation. Oui, les chapitres sur l’environnement et sur le travail font partie intégrante de l’accord plutôt que d’être relégués dans des accords parallèles sans mordant. Mais leurs contenus demeurent très faibles. S’il peut paraître normal que le chapitre sur l’environnement ne fasse aucune mention de l’Accord de Paris étant donné que les États-Unis s’en sont retirés, comment expliquer qu’il ne contienne même pas les mots « réchauffement », « changements climatiques » ou « gaz à effet de serre », si ce n’est par la faiblesse des obligations à atteindre? Pour ce qui est du chapitre sur le travail, les violations alléguées des droits du travail doivent être récurrentes et avoir un « effet sur le commerce ou l’investissement entre les parties » signataires de l’accord. C’est donc dire qu’une violation grave, mais isolée ne pourra être sanctionnée, pas plus que les violations qui n’affectent pas le commerce ou l’investissement.

Peut-être que l’ACÉUM n’est pas à l’image de Trump, mais bien d’autres aspects de l’accord – dont quelques-uns sont exposés ici – devraient nous empêcher de le présenter comme une réussite pour le Canada.

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