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Le Nobel de l’argent

12 octobre 2018

  • Bertrand Schepper

Alors que la conclusion du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous dit qu’il faut radicalement modifier nos comportements et demande une coopération de l’ensemble des acteurs de la société (États, ONG, entreprises, etc.), nous apprenons que le « prix Nobel de l’économie » est attribué à des économistes qui ne partagent pas ce sentiment d’urgence et prônent notamment la diminution des interventions de l’État et une plus grande place au marché pour diminuer l’utilisation des ressources. Que faut-il en penser ?

Le prix Nobel du 1 %

Chaque année, le prix Nobel est décerné à des organisations ou à des personnes qui ont participé à développer « les plus grands bienfaits pour l’humanité ».  Ce prix provient de la dernière volonté de l’inventeur de la dynamite, Alfred Nobel, qui voulait, en quelque sorte, se faire pardonner de son invention qui avait participé à accélérer la course à l’armement. C’est pourquoi le prix Nobel le plus prestigieux est celui de la paix. Les quatre autres prix sont décernés en littérature, en médecine, en physique et en chimie.

Ce que l’on appelle le « prix Nobel de l’économie » ne fait pas partie de cette liste ;  en fait, il s’agit du « Prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel ». Cela veut dire que le prix est décerné par un jury choisi par une banque depuis 1969, soit plus de 70 ans après la mort d’Alfred Nobel.

La mise en place de ce prix ressemble donc à une tentative de rapprocher la science économique, qui est une science humaine, des sciences pures, comme les mathématiques. Ce quiproquo est en quelque sorte une forme de supercherie qui permet de diffuser de l’idéologie sous un vernis de scientificité. Bien qu’il soit arrivé que des lauréats de ce prix soient considérés comme de centre-gauche sur l’échiquier économique, la plupart des lauréats nommés depuis des années se situent à l’opposé. Il ne faut donc pas s’étonner que la plupart des lauréats soumettent des idées qui correspondent aux intérêts des banques et des grandes corporations. Les lauréats de cette année ne font pas exception à cette règle.

Qui sont les lauréats ?

Le premier, William Nordhaus, est professeur à l’université de Yale. Il est récompensé pour avoir conçu le modèle économique Dynamic Integrated Climate Economy (DICE) et ses variantes qui intègrent dans ses calculs les effets des changements climatiques. Si certains critiquent ce modèle, il est indéniable qu’il est un pionnier en économie environnementale.

La proposition vulgarisée de Nordhaus est que si on appliquait une valeur aux ressources naturelles, plus il sera possible de les préserver. Par exemple, plus la rareté d’une ressource serait grande, plus son prix serait élevé et entraînerait une diminution de la demande pour celle-ci.

L’humanité pourrait ainsi s’adapter selon les prix. C’est entre autres pour cette raison qu’il se positionne en faveur de tribunaux économiques internationaux afin de donner des sanctions financières aux États pour garantir le respect des contrats dans un « Marché-monde ». Selon lui, cette méthode serait plus utile que  la réglementation étatique, puisque les dirigeant·e·s politiques, trop occupé·e·s à se faire réélire, ne peuvent contribuer à gérer efficacement les problèmes de nature écologique.

Paul Romer est, quant à lui, professeur à l’université de New York. Il est reconnu pour sa théorie de la croissance endogène qui stipule, si on résume sommairement, que l’économie trouve toujours les meilleures pratiques pour améliorer la croissance, malgré les obstacles. Ainsi, chaque génération aurait perçu les limites de la croissance, mais une nouvelle idée ou technologie aurait permis de systématiquement dépasser ces limites.

C’est pourquoi Romer favorise aussi la monétarisation des ressources naturelles et pense qu’il faut soutenir la capacité technique de communication, afin de permettre à tous de faire des choix économiques rationnels et éclairés. L’évolution  de l’information permettrait d’optimiser systématiquement l’ensemble des choix individuels et donc de rendre la croissance endogène, malgré les limites réelles en ressources.

En ce sens, ce que l’on comprend du message du jury de la Banque centrale de Suède en sciences économiques, c’est que le marché doit reconnaître les problèmes qu’il cause à l’environnement et qu’il est vrai que les ressources naturelles ne sont pas disponibles en quantité illimitée. Cette reconnaissance représente une avancée pour la cause environnementale. Cependant, leur réponse à cet enjeu demeure le laisser-faire : il faut poursuivre le « business as usual » afin qu’à terme, l’économie s’adapte d’elle-même. Ce constat n’est pas étonnant provenant de cette organisation qui a tout intérêt à ce que les limites de la croissance ne soient pas contestées.

Cependant, à terme, alors que le GIEC est en train de démontrer que c’est spécifiquement le marché international et l’augmentation croissante de la production qui nuit à l’environnement, il faudra faire plus que d’écouter les prophètes qui proposent toujours plus de marché et chercher de véritables solutions au réchauffement climatique. Cela nécessitera certainement de réfléchir collectivement à notre rapport à l’économie mondialisée.

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