Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Le billet vert: l’art du possible

22 avril 2022

Lecture

5min

  • Guillaume Hébert

Un adage conservateur veut que la politique ne soit rien de plus que « l’art du possible ». Force est de constater qu’il s’agit d’un point de vue partagé par M. Steven Guilbeault, un ancien militant écologiste qui, en 2001, pratiquait la désobéissance civile et qui en 2022, à titre de ministre de l’Environnement, a approuvé un mégaprojet d’extraction d’hydrocarbures. Certains cautionnent cette trajectoire en le qualifiant de « pragmatique ». La méthode Guilbeault est-elle une approche avisée pour mener le Canada à l’indispensable transition écologique ?

Pour certains, il n’est manifestement pas réaliste d’engager le Canada dans une transformation économique, énergétique et écologique digne de ce nom. On comprend ainsi que pour le gouvernement libéral, le pays est à la fois trop divisé sur la question en plus d’être excessivement dépendant de l’exportation de pétrole. Rappelons que le Canada est le quatrième producteur mondial de pétrole.

En matière d’environnement, le gouvernement libéral fait donc l’unanimité contre lui. Ceux et celles qui voudraient voir le Canada respecter ses cibles de réduction d’émission de GES vont de déception en déception avec M. Guilbeault (y compris d’anciens proches du ministre) tant les mesures adoptées sont insuffisantes, lorsqu’elles ne sont pas carrément contre-productives. D’autre part, les fans du pétrole considèrent que le ministre libéral n’est rien de plus qu’un militant « radical ».

Face à cet horizon largement bloqué, faut-il se résigner à l’échec tout en se consolant à l’effet qu’il soit l’œuvre d’un ancien environnementaliste dépité plutôt que celui d’un champion de l’industrie indifférent à la perspective d’un emballement climatique ?

Vous avez dit « pragmatisme » ?

C’est un bien curieux pragmatisme que celui qui privilégie la rentabilité d’une puissante industrie capitaliste aux dépens des politiques requises pour éviter les catastrophes climatiques qui causeront souffrances et ravages ici et ailleurs. Bien curieux aussi ce pragmatisme qui feint toujours d’ignorer que la crise est telle que l’inaction est devenue plus coûteuse que l’action, comme se tue à le répéter le GIEC, de rapport en rapport.

Au Canada, il faut recadrer d’urgence notre définition du « pragmatisme » qui consisterait à enclencher sans délai la transition écologique. La posture irréaliste est celle qui s’obstine à protéger les industries extractives et le maintien intransigeant d’un mode de vie insoutenable d’un point de vue environnemental et énergétique.

Le gouvernement Trudeau n’a pas hésité à afficher ses couleurs dans les dernières semaines à trois moments distincts.

D’abord, il a dévoilé un plan environnemental attendu depuis longtemps et qui a finalement accouché d’une souris. M. Guilbeault se borne à importer au Canada une approche nonchalante et tout à fait insuffisante dans laquelle le premier ministre Legault a d’ailleurs déjà « parqué » le Québec. Elle se résume à deux éléments principaux : électrification et taxation insuffisante. C’est trop peu. C’est trop lent. Et c’est une vision qui entretient l’illusion que notre mode de vie pourrait ne pas changer.

Ensuite, il a déposé un budget si accommodant envers le secteur privé et si timoré sur les impératifs écologiques qu’il risque d’alimenter le cynisme envers les institutions parlementaires qui se retrouvent à abandonner la population. Nous l’avons qualifié de « budget Don’t look up » en référence au récent film à succès qui mettait en scène une humanité incapable de prendre les mesures appropriées pour empêcher une météorite de pulvériser la terre. Comme dans ce film, le gouvernement libéral préfère faire appel au secteur privé, notamment en annonçant de nombreux subsides aux technologies de captation de carbone (dont l’efficacité reste à prouver) plutôt que d’emprunter les avenues les plus sûres pour répondre au défi climatique. Ce qui se joue est la tragédie d’une humanité qui s’abreuve davantage de discours irrationnels ou insouciants et qui idolâtre davantage de richissimes mégalomanes plutôt que les scientifiques qui ne savent plus comment faire pour attirer l’attention sur les malheurs qui viennent.

Enfin, le ministre libéral de l’Environnement a adopté un nouveau mégaprojet d’exploitation pétrolière au large des côtes de Terre-Neuve, Bay du Nord, qui ajoutera 200 000 barils par jour à la production canadienne et enverra des centaines de milliers de tonnes de CO2 de plus dans l’atmosphère, ce qui éloigne d’autant le Canada de ses cibles de réduction des gaz à effet de serre.

En somme, peu importe, comment ils présentent leur message, Steven Guilbeault et le gouvernement libéral en tentant de préserver le mode de vie actuel et l’économie des provinces productrices de pétrole, sont dans le même camp que les conservateurs, celui des adversaires de la lutte aux changements climatiques et des écologistes.

L’autre plan de match : la survie

Alors, comment reconnaît-on à l’inverse des politiques — et éventuellement des gouvernements — qui servent l’intérêt collectif et activent la transition écologique ? Les quelques grandes stratégies énumérées dans le rapport du GIEC publié au début du mois nous offrent de bons critères d’évaluation. Pour conserver une chance d’atteindre nos engagements en matière de réduction de GES, il faut cesser d’utiliser des combustibles fossiles, transformer les agglomérations urbaines, revoir les modes de transport et modifier les régimes alimentaires.

Et comme la transformation écologique ne pourra se faire sans l’adhésion massive des populations, toutes ces politiques doivent éviter de creuser les écarts entre les riches et les pauvres. Pour le moment, on est loin du compte.

Seul un gouvernement qui agit sur l’ensemble de ces axes pourra se targuer d’être « pragmatique » face aux changements climatiques.

VOUS AIMEZ LES ANALYSES DE L’IRIS? SONGEZ À DEVENIR MEMBRE!

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

1 comment

  1. La véritable source de nos problèmes au Canada est le train de vie des canadiens. Il est si élevé que ça peut prendre le revenu de 30 birmans pour égaler le revenu d’un citoyen sur l’aide sociale au Québec.
    En moyenne, nous consommons au dessus de cinq fois plus de ressources que sur le reste de la planète.

    Malheureusement, de réduire le train de vie des canadiens est souvent vu en fonction d’une division du revenu actuel de tout le monde. NON! La première étape doit être de transférer la richesse des plus nantis vers les moins nantis. Quand l’écart aura passé de 100,000:1 à 100:1 dans notre société, il deviendra tout à fait possible de réduire collectivement notre train de vie sans que cela n’aie de conséquences néfastes pour autre chose que l’égo de certains.
    Mais des truc comme les paradis fiscaux et les mesures fiscales favorisent la croissance des plus riches tout en rognant le pouvoir d’achat de plus en plus maigre de tous les autres.

    La survie est au prix de la remise à sa place du capitalisme monopolistique que l’oligarchie ploutocratique utilise pour s’enrichir à tout prix! Ce destructeur de monde doit être mit en cage!

    On doit se réapproprier le mot “ÉCONOMIE” qui a été détourné de son sens original dès le début de l’ère industrielle, autour de 1850. Une simple recherche éthimologique révèle la vérité à ce sujet.

    Il est minuit et cinq!
    Déjà, il est trop tard pour tenter de revenir à ce que nous avions avant 1945.
    Nous ne pouvons qu’espérer trouver un nouvel équilibre ou il y aura une place décente pour tous.

Les commentaires sont désactivés