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L’insoutenable légèreté de l’Ordre (réponse au Collège des médecins)

18 décembre 2015

  • Guillaume Hébert

On parle souvent dans les médias de syndicats et d’associations, mais beaucoup plus rarement des ordres professionnels. Dans une note socioéconomique publiée mardi, nous nous sommes demandé si ceux-ci fonctionnaient bien, donc s’ils remplissaient correctement leur mission de protéger le public. Nous nous sommes aperçus qu’il existait d’importants problèmes.

Disons d’emblée que nos conclusions n’ont pas plu à tout le monde. En réaction à notre publication, le Collège des médecins, l’un des 46 ordres professionnels du Québec (et non le moindre), a publié un communiqué dans lequel il se défend d’avoir fait preuve de laxisme dans l’affaire des frais accessoires que des médecins imposent aux patient-e-s québécois. Nous sommes sidérés de lire dans cette réponse que le Collège des médecins considère que ses propres rapports annuels ne sont pas une source d’information fiable pour mener à bien une étude..! Ceci tend plutôt à confirmer nos doutes sur la capacité d’autorégulation des ordres professionnels…

Le Collège des médecins n’a pas apprécié que nous rappelions qu’après avoir modifié son code de déontologie le 1er janvier dernier de façon à interdire les frais accessoires, il s’est traîné les pieds face aux violations massives de ce même code par ses membres. Il préféré tantôt négocier des compensations avec des plaignants et tantôt renvoyer la balle au gouvernement et n’a donc manifestement jamais tenté d’enrayer une pratique pourtant interdite. Il a cru bon attendre alors que, pendant ce temps, on soutirait aux patient-e-s entre un et deux millions de dollars… par semaine! Peut-être les médecins avaient-il un urgent besoin d’argent?

Dans le dossier des frais accessoires, sur lequel nous nous penchons dans notre note, le Collège des médecins nous a répondu qu’il traite l’enjeu avec « sérieux ». Tant mieux. La population elle-même prend très au sérieux l’accès aux soins de santé. On a cru remarquer ces derniers temps qu’une partie de cette population apparaît de plus en plus agacée face au constat qu’en dépit de l’existence d’un système de tiers payeur (c’est-à-dire l’État qui paie les médecins dans le cadre d’un régime public) qui a permis au fil du temps à de nombreux médecins d’obtenir des salaires élevés, voire d’amasser de véritables fortunes, les médecins se sentent suffisamment en confiance pour imposer des frais accessoires, parfois de façon scandaleuse. Manifestement, les médecins savent qu’il était peu probable que leur ordre professionnel vienne leur taper sur les doigts. Dans son communiqué, le Collège ne dément d’ailleurs pas avoir géré les plaintes de frais accessoires à la pièce plutôt que d’avoir pris l’initiative d’agir à la racine des maux.

À l’heure où il ne passe plus une semaine sans que la rémunération des médecins fasse les manchettes pour de mauvaises raisons (cette rémunération, rappelons-le, a augmenté de 60% en six ans), le Collège devrait peut-être faire preuve d’un peu plus de retenue lorsqu’il accuse le manque de crédibilité des autres.

Le problème avec l’enjeu des frais accessoires, c’est qu’il n’est qu’un exemple parmi d’autres de défaillances dans notre système professionnel québécois et celles-ci nous font remettre en question la capacité des ordres professionnels à défendre le public. En fait, la tension entre la mission de protection du public et la promotion d’une profession dérape trop souvent dans le corporatisme.

Comment expliquer par exemple que l’Ordre des ingénieurs du Québec, pendant près de 15 années (!), a totalement échoué à protéger le public de la « culture » de collusion, de corruption et de financement illicite qui prévalait dans le dossier des contrats publics au sein de l’industrie de la construction?

Est-ce que c’est vraiment la protection du public qui a guidé l’ordre professionnel des travailleurs sociaux à réclamer (et obtenir) l’exclusivité de la réalisation des mandats d’inaptitude lorsque les besoins sont grandissants dans le domaine et que l’engorgement du réseau public pousse désormais les citoyen-ne-s à se tourner vers des entreprises de travailleurs sociaux privés?

L’énergie que les ordres mettent par ailleurs à permettre l’incorporation des professionnels est en soi un comportement louche. L’euphémisme utilisé pour se faire est la « modernisation des professions ». Cette pratique permet essentiellement d’éviter de payer de l’impôt. Récemment, on évaluait à 150 millions les pertes fiscales pour l’État pour la seule incorporation des médecins. Combien pour tous les autres qui peuvent se prévaloir de l’incorporation?

Il faudra certainement repenser l’administration des ordres professionnels si on souhaite les rendre plus à même de protéger le public. Peu de gens le savent, mais des représentant-e-s de la population siègent sur le conseil d’administration de chaque ordre. Hormis le fait que ceux-ci sont désignés à partir d’une banque de noms, on ignore comment ils sont choisis (ce qui est un autre problème) et on se demande si leur faible nombre leur permet d’assurer un véritable rôle de surveillance.

Bref, si l’on veut rompre réellement avec les réflexes corporatistes qui mènent certains ordres professionnels à valoriser et promouvoir une profession plutôt qu’à défendre – jusqu’au bout – le public, il faut moins miser sur l’autorégulation et accroître les contrôles par l’Office des professions (donc par l’État) et des citoyen-ne-s, voire même des organisations citoyennes.

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