État québécois et communautés autochtones : l’histoire de la Révolution tranquille mérite d’être relue
1 octobre 2019
La Commission Viens, qui s’est penchée pendant deux ans sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, déposait hier son rapport.
Celui-ci met en lumière les manquements de l’État québécois envers les Autochtones en matière d’accès aux services publics. Le juge Jacques Viens conclut de manière limpide à une discrimination systémique à l’endroit des Autochtones :
« Au terme de l’exercice, il me semble impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes les membres des Premières Nations et les Inuit dans leurs relations avec les services publics ayant fait l’objet de l’enquête. Si les problèmes ne sont pas toujours érigés en système, une certitude se dégage en effet des travaux de la Commission: les structures et les processus en place font montre d’une absence de sensibilité évidente aux réalités sociales, géographiques et culturelles des peuples autochtones. Résultat: en dépit de certains efforts d’adaptation et d’une volonté manifeste de favoriser l’égalité des chances, de nombreuses lois, politiques, normes ou pratiques institutionnelles en place sont source de discrimination et d’iniquité au point d’entacher sérieusement la qualité des services offerts aux Premières Nations et aux Inuit. Dans certains cas, ce manque de sensibilité se solde même par l’absence pure et simple de service, laissant des populations entières face à elles-mêmes et sans possibilité d’agir pour remédier à la situation. » (Rapport synthèse, p. 11)
L’héritage colonialiste se trouve au premier rang des causes qui expliquent cette situation déplorable : « Les rapports inégaux instaurés ont dépossédé les peuples autochtones des moyens susceptibles de leur permettre d’assumer leur propre destin et ont nourri au passage une méfiance certaine envers les services publics. […] Ajoutons à cela le fait que les politiques colonialistes ont pavé la voie à la mise en place de systèmes et d’organisations dominés par une volonté de normalisation qui ont très peu à voir avec les savoirs et les traditions autochtones. » (Rapport synthèse, p. 12) La méconnaissance des réalités autochtones, la persistance de préjugés à leur endroit, ainsi que l’intervention inconstante et fragmentaire de l’État expliquent aussi le traitement inéquitable et inadéquat que subissent ceux et celles qui interagissent avec des employé·e·s du secteur public. De ces constats sont tirés 142 appels à l’action transversaux qui consistent en autant de mesures dont la mise en œuvre contribuerait à remédier à la situation qui a été portée à l’attention de la commission.
Les conclusions qu’avance la Commission Viens nous amènent à penser que si l’on remontait le fil du temps, on constaterait en fait que c’est la consolidation même de l’État-providence québécois qui a reposé sur cet impensé : celui de la situation particulière des Autochtones au sein de la société québécoise, des rapports coloniaux qui ont marqué les relations entre Autochtones et non-Autochtones et des torts qui leur ont été infligés depuis le début de la présence européenne en Amérique. Dans son livre Contre le colonialisme dopé aux stéroïdes, qui raconte les négociations de la convention de la Baie-James et du Nord québécois à partir du point de vue inuit, Zebedee Nungak montre par exemple l’ignorance et l’attitude colonialiste du gouvernement québécois à l’endroit des communautés autochtones dans la mise en œuvre des projets de barrages hydroélectriques dans le Nord du Québec et en Jamésie. L’exploitation du potentiel hydroélectrique du territoire québécois était un des piliers du nationalisme de l’époque. Or, non seulement l’ambition de devenir « Maîtres chez nous » ne tenait pas compte de la présence ancestrale des Premières nations et des Inuit sur le territoire, elle s’est même fondée sur la reconduction du colonialisme britannique puis canadien par le gouvernement québécois (qui avait par exemple entrepris de franciser les noms des villages inuits…).
Refonder les institutions publiques pour mieux les mettre au service de l’ensemble de la société québécoise, et ce dans le respect des particularités de chacune des nations qui la composent, ne pourra ainsi se faire sans que l’on revisite notre histoire collective. C’est sans contredit un des angles morts de notre ouvrage Dépossession, dont le deuxième tome, qui s’intéresse aux transformations des institutions phares de la Révolution tranquille et revisite l’héritage de cette époque charnière, est en librairie depuis quelques jours. Pourtant, enrayer le processus de dépossession que nous identifions ne pourra se faire sans que la question autochtone ne soit prise en compte et sans que l’on ne questionne plus avant le rapport de l’État et de ses institutions avec les communautés autochtones. Il s’agit à n’en pas douter d’un point de départ nécessaire pour ne pas répéter les erreurs du passé.