La fin du pourboire et la décence commune
30 octobre 2024
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Il est devenu courant lorsqu’on règle une facture dans un commerce à l’aide d’une machine Interac de voir apparaître l’option de donner un pourboire de 15, 18 ou 20%. On se sent alors coupable de ne rien donner à quelqu’un qui travaille fort, mais avec la hausse du coût de la vie, c’est le choix que plusieurs font. C’est un des (nombreux) problèmes avec le pourboire : il est facultatif. Et c’est une des raisons pourquoi, comme l’a déjà plaidé ma collègue, Eve-Lyne Couturier, il devrait être aboli et remplacé par un salaire minimum viable pour toutes et tous.
Dans une scène iconique du film Reservoir Dogs de Quentin Tarantino, le personnage de M. Pink explique à ses collègues qu’il refuse de laisser un pourboire à la serveuse du restaurant où ils sont attablés parce que c’est une norme sociale qui ne fait aucun sens pour lui. Ses complices (gardons en tête que ce sont tous des criminels) le trouvent particulièrement avare et, de fait, l’argumentaire de M. Pink contre le pourboire n’est pas tout à fait ancré dans la solidarité et dans l’équité. Il soulève tout de même une question cruciale : pourquoi les serveuses et les serveurs devraient-ils dépendre de la générosité de leur clientèle pour toucher un revenu décent ? Et plus fondamentalement encore : pourquoi cette pratique est-elle devenue une norme sociale?
Le pourboire : un système ancré dans le racisme et le sexisme
Le système de pourboires nord-américain prend racine dans l’exploitation des travailleurs noirs après l’abolition de l’esclavage en 1865. Plusieurs anciens esclaves se sont alors retrouvés employés dans des secteurs tels que l’hôtellerie et la restauration. Les employeurs du sud des États-Unis ont cherché à minimiser les coûts de la main-d’œuvre en payant peu ou pas de salaire fixe à leurs employé·e·s et en comptant sur la clientèle pour compenser à l’aide de pourboires. Ce mode de rémunération a donc été conçu en vue d’exploiter une main-d’œuvre qui, il n’y a pas si longtemps, n’avait pas de droits et qui en avait encore très peu. L’origine du pourboire est en ce sens bien ancrée dans le racisme, comme l’explique l’économiste Ellora Derenoncourt.
Cela dit, éventuellement, l’extension du salaire minimum fédéral aux États-Unis en 1967 aux serveuses et serveurs qui n’étaient pas couverts a permis une augmentation des revenus pour de nombreux Afro-américain·e·s œuvrant dans le secteur de la restauration. Cette réforme a contribué à réduire de 20 % l’écart salarial racial selon Derenoncourt. Par ailleurs, il est intéressant de noter que toujours selon les calculs de Derenoncourt, cette politique a entraîné une hausse moyenne du revenu des travailleurs et travailleuses afro-américain·e·s de 34%, une augmentation importante qui n’a pas donné lieu à une spirale inflationniste.
L’impact du salaire minimum sur les inégalités raciales
M. Pink, malgré le fondement individualiste de son raisonnement, soulève une question valide : pourquoi perpétuer une pratique simplement parce qu’elle est là depuis longtemps ? La persistance de la pratique du pourboire a permis jusqu’à ce jour à une forme d’inégalité économique de se perpétuer. Les travailleuses et les travailleurs à pourboire, qui sont en grande partie des femmes aujourd’hui, restent à la merci des préférences et de l’humeur de la clientèle, ce qui peut entraîner des discriminations.
C’est le cas aussi au Québec, où on estime que 71% des serveuses et serveurs étaient des femmes en 2019. La perpétuation du pourboire rend, en ce sens, le salaire de bon nombre de femmes dépendant de la bonne humeur des consommateurs et des consommatrices.
De toute évidence, les emplois à pourboire sont souvent vus comme une voie de salut pour les personnes peu scolarisées dans la mesure où les pourboires peuvent, additionnés au salaire de base, permettre à un·e employé·e de toucher un revenu annuel qui se trouve au-dessus d’un revenu viable. La suppression de la pratique du pourboire et l’établissement d’un salaire fixe garantiraient un revenu stable et décent aux travailleurs et travailleuses des services, tout en éradiquant une tradition qui maintient une hiérarchie défavorisant les personnes racisées et les femmes.
En somme, il est grand temps que les employeurs dans ce secteur prennent leur responsabilité et offrent de bons salaires stables à leurs employé·e·s. Ce n’est pas là seulement une question d’équité : c’est une question de décence commune.
J’ai vécu en Europe une grande partie de ma vie professionnelle. Le pourboire étant inclus dans ces pays, j’ aborde en ce sens. Il ya 8 ans que je suis revenue et cette pratique ne me convient pas. Non plus celles des taxes en sus à l’achat .
Le concept de salaire minimum devrait être un chiffre unique et couvrir tous les domaines de l’activité humaine. Les coût d’une telle mesure sont nettement moins élevés que d’avoir tout un appareil gouvernemental chargé de gérer une multitude d,exceptions.
Cette approche à règle unique ferait apparaître des économies substantielles dans la gestion de l’état ou de toute entreprise oeuvrant dans n’importe quel domaine.
Bonjour,
Voici ce qui m’est venu en tête en lisant cet article, très intéressant d’ailleurs:
Pour-boire: En référence à la fin de l’esclave:
Je veux bien te donner cela, au moins tu pourras boire (pour ne pas mourir)
Dans une économie capitaliste néo-libérale la grande tendance est à l’externalisation des coûts.
Le pourboire est un exemple flagrant de cette pratique maintenant bien ancrée (et ce dans tous les domaines).